Peux-tu nous parler de toi, de ton activité de chanteuse lyrique ?
Je suis ce qu’on appelle dans le métier une Mezzo-soprano, ce qui correspond à une voix intermédiaire chez les femmes… Je chante dans l’aigu mais moins qu’une soprane et dans le grave mais moins qu’une alto… Je me situe “au milieu” littéralement en italien, à moitié soprane.
Je suis attirée par la musique depuis mon enfance, j’ai commencé le piano à 7 ans et la flûte traversière à 11 ans. J’ai fait des études de musique dès le lycée, avec un bac littéraire option musique puis ensuite à l’université avec la préparation de l’agrégation. J’avais dans l’idée de devenir professeur de musique plus tard.
Et j’ai découvert le chant… Je connaissais déjà l’Opéra à travers mes études, mais j’ai véritablement découvert la pratique du chant à la fac avec mes quelques cours de chant obligatoires. J’ai commencé à mettre un pied dedans concrètement après mon agrégation, vers 25 ans, quand je suis rentrée au Conservatoire de Bordeaux en 2004 dans la classe de Lionel Sarrazin. C’est également à ce moment que j’ai commencé ma thèse de musicologie, que j’ai par la suite arrêtée pour me consacrer entièrement et complètement au chant.
A la fin de mes études de chant, avec des copains du Conservatoire et le soutien de Lionel, nous avons créé l’association Opéra Bastide, “marrainée” par Béatrice Uria-Monzon, une grande chanteuse lyrique actuelle.
Nous trouvions à l’époque que nous manquions cruellement d’occasions de chanter et d’exercer notre activité. Ce projet nous a permis de peaufiner nos armes, de travailler à la fois la scène et la technique en créant nous même les opportunités d’apprendre et de tester des rôles devant un public bordelais – un public qui nous a plutôt bien accueillis d’ailleurs -. L’association nous a également permis de travailler avec de grands chefs de chant de l’Opéra de Bordeaux et nous a apporté un cadre et un accompagnement dans nos premiers pas de chanteurs.
Il faut savoir qu’il n’y a pas de troupe de chant rattachée aux Opéras en France, comme ça peut être le cas en Allemagne ou encore dans le théâtre. En France, il y a à peu près 35 théâtres d’opéra qui engagent des chanteurs en freelance alors qu’en Allemagne, il y en a plus d’une centaine où chacun a sa propre troupe. C’est une façon un peu différente de voir le milieu culturel et la pérennité du statut des artistes. Les chanteurs en France sont en freelance et dépendent du régime des intermittents du spectacle. Nous sommes amenés à beaucoup voyager, ce qui apporte son lot d’avantages et de désagréments, mais j’ai la chance de pouvoir habiter et vivre où je veux.
«Mais on ne peut que déplorer le manque d’enseignement de la musique et le fait qu’elle soit aussi mal valorisée et considérée en France.»
Et puis, j’aime aussi les rencontres avec le public, ça m’est déjà arrivé d’en faire quelques-unes et je trouve cela vraiment passionnant. Mais on ne peut que déplorer le manque d’enseignement de la musique et le fait qu’elle soit aussi mal valorisée et considérée en France. En Allemagne par exemple, les gens sont tous allés au moins une fois dans leur vie à l’Opéra, ce n’est pas quelque chose d’élitiste comme en France… la musique fait vraiment partie de l’éducation.
Comment se passe le travail quotidien d’une chanteuse lyrique ?
«Tout est destiné à nourrir mon activité.»
Toutes les activités que je pratique sont tournées vers le chant… que ce soit le sport pour entretenir mon corps ou encore à travers les langues que j’apprends et qui me sont essentielles pour la compréhension et le travail des textes que je dois chanter… Tout est destiné à nourrir mon activité.
Comme je ne peux pas chanter plus de deux heures à pleine voix par jour, je répartis mes activités de plusieurs façons. Souvent, le matin est dédié au maintien en forme du corps, à l’équilibre physique avec du sport, ou bien je peux travailler « à la table » ce qui peut se caractériser par le déchiffrage d’une partition ou bien encore le travail de la langue. L’après-midi est généralement consacré au chant, c’est le moment où je travaille la voix. Le soir c’est détente, les sorties avec les ami(e)s ou bien encore rester tranquillement à la maison au chaud, avec Sacha le chat. (rires)
Et puis, je passe également des auditions pour obtenir des rôles, devant des agents, des théâtres, des programmateurs de concerts. Je passe aussi des concours de chant internationaux, certains que j’ai remportés et d’autres non.
Chaque rôle ou chaque concert apporte son lot de spécificités, que ce soit en termes de style de musique, comme le baroque ou le classique par exemple, ou bien encore par sa langue, tels que le grec, le tchèque et le russe, toutes ces langues qu’on ne parle pas beaucoup en somme. Quand on a un contrat avec une telle spécificité, on va devoir travailler et préparer un peu plus en amont… On va se diriger vers des spécialistes qui vont pouvoir nous aider, soit un coach de langues soit un chef de chant, c’est-à-dire un pianiste qui va posséder des qualités de linguiste mais aussi de pianiste accompagnateur. Mon travail préalable, avant de chanter sur scène, est d’abord de traduire ou de trouver une traduction du texte que j’aborde, ensuite je vais travailler par imitation, c’est-à-dire que je vais enregistrer le texte dicté à haute voix pour l’assimiler et ainsi me l’approprier. Cela fait partie du job de chanteur lyrique.
Quelle est la personne qui t’a le plus marquée et influencée professionnellement ?
Lionel Sarrazin, mon professeur de chant du Conservatoire de Bordeaux. Ce pédagogue – qui est devenu un ami depuis toutes ces années – a vraiment été une personne déterminante dans mon apprentissage et mon parcours. Sans lui, je n’aurais jamais fait ce métier. C’est quelqu’un qui m’a vraiment formée. Je n’avais pas une voix facile à travailler en fait. Mais Lionel, avec sa patience, sa recherche et sa force, un peu comme un orfèvre qui travaille la matière, m’a permis de développer une voix professionnellement exploitable. Il est toujours aujourd’hui mon coach de chant.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Je suis assez sensible aux autres arts, tels que la littérature, la peinture ou encore la danse. Le mouvement est quelque chose auquel je suis très sensible et je trouve que la danse permet de pousser le mouvement à son apogée, ce qui est en cela admirable. Et puis c’est quelque chose qui est également en rapport avec la scène, donc ça ne s’éloigne pas trop de mon univers.
Un métier que tu aurais aimé faire ou que tu aimerais faire ?
Quelque chose dans la cuisine ou la pâtisserie… J’aime le travail de la matière, mettre la main à la pâte! C’est quelque chose qui me détend et qui m’apporte du plaisir par anticipation… L’idée de déguster quelque chose de bon, de beau et de fait soi-même (rires) !
Une anecdote à nous raconter ?
Ce n’est pas vraiment une anecdote mais plutôt un fait cocasse… A l’Opéra, les chanteurs ont ce qu’on appelle des « emplois » c’est-à-dire qu’ils vont être choisis en fonction de leur type vocal et de leur physique pour interpréter tel ou tel rôle… un peu comme au théâtre.
Moi, comme je ne suis pas très grande et que je suis Mezzo, je suis souvent amenée à jouer des rôles de jeunes garçons… et du coup, il m’est déjà arrivé d’embrasser des femmes sur scène… ça fait partie du job ! Pour le côté historique, c’est ce qu’on appelle des rôles de « travestis », c’est-à-dire des femmes qui jouent le rôle de jeunes hommes.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
C’est un morceau sur lequel je travaille en ce moment, une « Cantate », La Lucrezia de Handel chantée par Janet Baker. L’écouter me permet de rentrer dans l’univers de cette œuvre et de me familiariser avec la technique vocale de cette chanteuse que j’aime beaucoup. La musicalité du morceau m’apporte une direction, une trace et sa sensibilité à elle me parle beaucoup.
Sinon j’écoute beaucoup le blabla de la radio (rires)… et tout particulièrement la chaîne de radio allemande « Eins » qui programme surtout de la pop musique et qui me permet par la même occasion de cultiver mon allemand !
Un lieu où tu aimes être ou aller ?
J’aime bien aller me balader à Notre-Dame, à Paris, c’est un lieu assez majestueux. Je trouve qu’il se passe quelque chose quand on rentre dans cette cathédrale.
Mais j’aime surtout être au bord de la mer, la Méditerranée, les odeurs, les couleurs vives comme les bougainvilliers, c’est un endroit très ressourçant pour moi… J’aime particulièrement Nice et ses environs qui sont juste superbes. Il y a la montagne et encore des petites villes côtières pas très loin, où l’on peut se ressourcer sans avoir à subir la foule de touristes.
Quelle personnalité nous recommanderais-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Lionel Sarrazin, sans aucun doute ! J’en ai beaucoup parlé mais c’est quelqu’un de vraiment génial. Il est coach vocal mais aussi chanteur. Il partage son temps entre Bordeaux et Paris aujourd’hui. C’est lui qui a su entretenir tout au long de ces années mon désir de chanter et m’aider à le développer, à le nourrir.