Peux-tu nous parler de toi et de ton travail au Musée des Beaux-Arts de Montréal ?
Mon travail consiste à imaginer de quelle façon le musée pourrait évoluer, à court, moyen et long terme. À court terme, il s’agit de penser toutes les stratégies autour des événements et des expositions, donc de travailler sur la programmation des expositions, sur les contenus.À moyen terme, l’importance est donnée aux projets d’expansion du musée. Nous avons deux projets conséquents sur une période de 5 ans, avec notamment la création de nouvelles architectures.Et à long terme, il y a la politique d’acquisition : nous voulons enrichir les collections permanentes pour les léguer aux futures générations. Un autre point important est tout ce qui touche à l’Education.La politique d’acquisition est très importante car c’est la collection permanente qui différencie une halle d’exposition d’un musée. Une collection, c’est « le cœur du réacteur » ; il n’y a pas de musée sans collection. Contrairement à certains pays d’Europe qui ont un patrimoine extraordinairement important, en Amérique du Nord, et au Canada en particulier, nous bâtissons notre patrimoine. Nous sommes donc plutôt dans la position de « bâtisseur de patrimoine » que dans une position de « défenseur d’un lègue reçu ». Ici, nous nous projetons.
Tu sembles passionnée par ton travail. Pourquoi ?
Parce que c’est passionnant ! (rires)Pas parce que je suis artiste donc, mais parce que je m’intéresse à l’histoire et que je suis plutôt quelqu’un de visuel. Les œuvres d’art permettent de découvrir le monde sans limite de frontière ni de temps, donc sans limite géographique ni historique. C’est un sujet de curiosité et d’apprentissage infini. Et j’adore voyager… et dans le temps et dans l’espace. Donc c’est parfait !
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé professionnellement ?
Quand j’étais jeune, j’aimais beaucoup Alexandra David-Néel, une exploratrice française de la fin du 19ème siècle tout-à-fait extraordinaire.À la fois savante et romancière, particulièrement intrépide, vers ses 40 ans elle est partie explorer le monde. Elle a notamment été la première femme à entrer au Tibet et à Lhassa, et surtout à en revenir, à pieds, déguisée en mendiante.
J’ai lu ses récits. C’était quelqu’un qui avait très mauvais caractère, mais qui était aussi extrêmement intelligent. Elle a décidé d’accomplir son destin sur le tard et avec une grande détermination. Elle m’a beaucoup inspirée quand j’étais jeune car je voulais être exploratrice.Dans mon quotidien, il y a énormément de personnes qui m’inspirent !
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Je travaille sur l’exposition Rodin, L’Atelier Secret de Rodin, projet dont je m’occupe personnellement. Cette exposition entend faire découvrir l’œuvre de Rodin par la pratique d’ateliers, d’un point de vue technique mais également du point de vue de ses collaborateurs. Rodin considérait que l’art n’est pas dans l’objet fini mais dans le processus. C’est donc ce processus auquel nous nous intéressons.Dans cette exposition, il y aura une salle dédiée aux non-voyants avec des répliques de sculptures en résine. Nous inviterons des artistes contemporains tels que le cinéaste Dennys Arcand (Le Déclin de l’Empire Américain), et le photographe Adad Hannah, qui s’associeront pour une création à quatre mains autour de la sculpture des Bourgeois de Calais, avec la participation d’immigrants, de chômeurs ou de personnes de la rue. Ce projet d’exposition a des aspects très ancrés sur le communautaire, le social, l’art-thérapie, ce qui est important pour nous, au musée.Mais le gros projet qui nous intéresse, c’est le Pavillon de la Paix qui va ouvrir fin 2016 et qui sera le 5ème pavillon du musée. Il va nous permettre d’accueillir une importante collection d’art ancien, mais sera également un pavillon où nous allons beaucoup nous intéresser à l’éducation. En effet, pour moi, il est très important que le musée ait un rôle social.Nous développons énormément de projets pilotes autour de l’art-thérapie pour l’autisme, la cardiologie, les troubles alimentaires, Alzheimer… Nous avons un pôle de recherche et nous travaillons en collaboration avec des universités et des instituts. Le musée sert alors de plateforme et accompagne des experts à l’aide d’ateliers. Par exemple, plus simplement, en association avec des hôpitaux, nous avons instauré des défis santé qui offrent un « marathon santé » aux personnes âgées, à l’intérieur du musée.
«Outside the box but not too far from the core»
Nous avons également des projets autour de l’intégration, l’inclusion, la francisation, et avons reçu à ce titre le Grand Prix de l’Office québécois de la langue française (merci beaucoup !). Le volet éducatif et social est fondamental pour le musée.Il existe l’expression « outside the box but not too far from the core », c’est-à-dire « penser à l’extérieur de la boîte, mais sans trop s’en éloigner non plus », c’est ce que voulons faire au Musée des Beaux-Arts de Montréal, et en particulier dans ce pavillon. C’est un lieu qui va aider à l’intégration du monde, et c’est pour cela qu’il s’appellera le Pavillon de la Paix. Nous ne sommes pas dans un musée, mais dans un lieu où les arts et la culture nous aident à être mieux, à nous sentir bien.
Je dois dire que l’exposition Jean-Paul Gaultier a été un pas important, car ce qui m’intéresse chez lui, c’est son humanisme, mais aussi le fait qu’il ait un discours extrêmement rassembleur sur les stéréotypes de la beauté. Alors qu’il règne une tyrannie de l’image, que nous sommes dans une culture narcissique, une culture de Facebook, une culture extrêmement dictatoriale sur les apparences, les musées sont des lieux où l’on peut relativiser, où l’on peut objectiver le regard, se rendre compte que dans des pays différents, dans des époques différentes, les canons de beauté sont aussi différents.
L’art est un outil extraordinaire pour pouvoir aborder toutes sortes de sujets. Nous sommes au service du musée, et le musée est au service de valeurs.
Un métier que tu aurais aimé faire ?
J’aurais aimé être astronaute ou aventurière, mais l’art fait voyager dans le temps et dans l’espace, et j’ai la tête dans les étoiles, donc finalement, je fais le métier de mes rêves.Sinon, j’aurais peut-être aimé être vétérinaire ou travailler dans un zoo.
Un artiste coup de cœur à nous faire découvrir ?
« Coup de cœur » est une expression que l’on utilise trop…Je pourrais parler de Velasquez, mais il est déjà connu et reconnu…A vous faire découvrir, je dirais Laurent Craste, dont le travail est à la frontière entre les arts décoratifs et le contemporain, ou Dominique Blain, artiste montréalaise qui a réalisé les motifs sur le foulard que je porte.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Ma fille a 16 ans, et me fait découvrir son univers musical; donc en ce moment, j’écoute Lana Del Rey, c’est de la musique « feel good », notamment le morceau Queen of disaster.
Une anecdote à nous raconter ?
Pour la préparation de l’exposition Picasso Erotique, je ramenais beaucoup de documentation, notamment avec Jean-Jacques Lebel, grand expert de l’érotisme. Nous avions toute une documentation de pornographie érotique dans une caisse que nous ramenions d’Europe pour le projet montréalais, avec toute une vidéothèque de films muets et des livres anciens, et je me suis fait arrêter par la douane… Et évidemment, c’était un peu étonnant (rires). J’ai dû expliquer que c’était pour mon travail, dans un musée…
Une passion particulière rien que pour toi ?
Les oeufs, c’est la forme parfaite!Les voyages.Sinon, les chats. Je dis toujours que je vis avec mes six chats et non pas l’inverse ; c’est une république de chats! Mais attention, c’est une collection de chats, ils sont tous différents. (rires)Je pense que c’est très important d’être en contact avec des mammifères, parce que nous SOMMES des mammifères. C’est majeur ! D’ailleurs, dans la thérapie, le rapport avec les animaux est très important, et notamment avec les personnes âgées qui ont la plupart du temps un animal de compagnie.On veut toujours nous analyser comme des êtres pensants uniquement, ce qui est très français. Les français partent de l’analyse de Descartes qui a une vision de l’homme différent de l’animal, alors que dans un monde anglo-saxon, et encore plus dans le monde asiatique, on a un rapport très différent, beaucoup plus proche de l’animal. Sur ce sujet, je te suggère de lire un auteur que j’adore, Pascal Picq, qui est un anthropologue remarquable !
Quelles personnalités nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
– Isabelle Bonnard, Restauratrice et Conseillère scientifique à la BNF,– Emma Lavigne, Directrice du Centre Pompidou de Metz qui va représenter la France à Venise– Thierry Loriaux, Commissaire pour l’exposition Jean-Paul Gaultier et Directeur Artistique de l’ouvrage de l’exposition– Dominique Blain, Artiste montréalaise– Nathalie Crinière, Scénographe et Architecte d’intérieur– Bruneau Girveau, Conservateur du Patrimoine, Historien et Historien de l’art français. Actuellement Directeur du Palais des Beaux-Arts de Lille.