Depuis des années dans les rues de Bordeaux, on voit un type qui se promène. Une silhouette résolument noire contrastant avec ce visage tendre, presque chérubin. Nicolas Gavino a longtemps été une énigme. Et puis un jour il se dirige vers vous, et sans savoir comment vous en êtes arrivés là, vous vous retrouvez à philosopher gentiment sur un bord de trottoir. Quand il repart, on se dit qu’il est poète et vagabondeur. Ce que l’on ne sait pas encore, c’est qu’il est également photographe et dessinateur. Rencontre avec un artiste de l’intime. Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Peux-tu nous parler de toi, de tes activités, de ton univers ?

Pour faire simple, je dirais que je photographie et dessine l’intime.

J’ai commencé par le graphisme. Puis j’ai eu une grande période graffiti, et s’en est suivi un long passage à vide durant lequel je me suis intéressé sérieusement aux filles, à l’érotisme, à la sexualité, à la pulsion de mort – j’ai notamment découvert la philosophie de Georges Bataille -.

Je suis monté à Paris et là-bas j’ai rencontré des mecs dont le quotidien consistait – concrètement – à draguer des filles dans la rue. On appelle ça “les pick-up artists“. C’est un courant né à Los Angeles qui a cherché à théoriser ça. Avec eux donc, j’ai commencé à apprendre ce jeu de la séduction – observer ce qui fonctionne et au contraire ce qu’il vaut mieux éviter.

«je ne me reconnaissais pas dans les photos dites “érotiques”»

Au début, le caractère direct et frontalier de ces rencontres me traumatisait. Ton égo, ton orgueil sont réduits à néant. J’ai dû mettre 4h avant de pouvoir aborder la première fille dans la rue! J’ai fait ça pendant deux ans presque tous les jours, je m’enregistrais avec un dictaphone que je réécoutais le soir. J’ai fait de belles rencontres, c’était cool. Mais le problème c’est que tu peux vite devenir une sorte de robot social sans âme et, paradoxalement, te retrouver très seul.

Cette expérience a totalement désacralisé ma vision de la femme et mon rapport aux autres, et j’ai eu besoin de traduire ça avec des images. C’est là que je me suis acheté un appareil photo.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.
Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

J’ai commencé à photographier des amies, des modèles, mes amoureuses, des choses abstraites, moi-même. Je ne savais pas trop où aller, je ne me reconnaissais pas dans les photos dites “érotiques”; tu sais, ces images de filles cambrées dans des chambres d’hôtel 4 étoiles. À mon sens la sexualité, le désir, c’est un univers hyper violent. On est tous névrosés à 300%, ça nous dépasse totalement.

Au début je suis tombé dans le piège de faire juste des images de jolies filles. Et puis j’ai décidé d’appuyer là où j’avais peur d’aller, et de me permettre davantage de liberté. On a commencé à se mettre en scène nus dans des situations qui n’ont rien à voir avec la sexualité – je trouve ça beaucoup plus intéressant aujourd’hui. J’utilise le noir et blanc car il homogénéise l’image et agit comme un écran. L’imaginaire de chacun s’ouvre alors à un champ d’idées et de fantasmes infini.

Comme beaucoup d’occidentaux ma pensée est fondée sur la tragédie, je vois une grande profondeur dans le dramatique. D’où mon attirance pour les scènes tombantes comme les cheveux, les corps abandonnés, les rideaux…

 

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.
Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Tu travailles à l’argentique, tu développes toi-même tes photos ?

Oui, le grain argentique a ce côté désespéré qui me plaît. Mais en réalité, je ne connais pas grand chose à la photo! À la base je viens du dessin. Mon appareil photo est un automatique, j’appuie, et c’est fini. Je serais incapable de régler un canon 5D et ne sais toujours pas ce qu’est la focale…

  Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Je développe moi-même dans ma petite salle de bain, avec du Destop – c’est moins cher. Pour me la jouer pro, j’avais acheté une lumière rouge à 15 balles, mais elle a grillé le soir-même. Du coup je fais ça à la lumière de la lune qui traverse mon vélux – ça brûle légèrement mes tirages, mais par flemme je garde cette méthode de travail.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Travailles-tu sur un projet particulier en ce moment ?

J’ai récemment découvert “les peuples de l’Omo” en Ethiopie. Ce sont des tribus qui se maquillent, se coiffent, se parent de toutes sortes d’ornements végétaux, et c’est absolument grandiose. Leur vision du monde et du corps m’a complètement fasciné. J’aimerais essayer de ramener ça dans ma propre réalité. Faire un truc très primaire en me basant sur des maquillages au charbon. Le problème c’est que je veux éviter de tomber dans la parodie. Je vais tenter de travailler essentiellement avec ce que j’ai sous la main – j’aime assez l’idée d’enfermement dans mon appartement, de construire à partir de rien.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

As-tu fait une rencontre qui t’a particulièrement influencé ?

Il y a deux ans j’ai rencontré quelqu’un dans la rue. J’observais sa façon d’être, de bouger, et je me suis dit : ce mec-là, il fait exactement comme moi. Il drague des filles. Il y a une trame connue pour cela, c’est très corporel : d’abord tu mets ta main, ensuite vient ta phrase d’approche, etc… et là son jeu était très clair.

Je suis donc allé le voir, et j’ai appris à le connaître. Il se trouve que ce mec n’a rien à voir avec moi. Très chrétien, d’une écoute et d’une humilité incroyables. Très vite, on est entrés dans une sorte d’échange permanent; moi je lui parle de Marcel Duchamp, lui va me montrer des textes de Saint Augustin. On n’est pas dans un débat de pouvoir, il n’y a pas de jugement. Cette relation m’aide et m’enrichit car elle est totalement en marge de mon univers de base – tu sais, Bordeaux, les amis artistes, tout ça… Il croit à une forme de transcendance et m’en apprend beaucoup sur moi-même et mes petites certitudes prétentieuses. C’est une admiration réciproque, deux opposés qui finalement se retrouvent sur tant de choses.

Est-ce que tu as un coup de coeur artistique ?

De nombreux artistes m’influencent, notamment ArakiFrancis Bacon, ou John Baldessari. Mais Dirk Breackman reste celui qui m’a mis la plus grande claque, je n’ai jamais ressenti un truc aussi juste, aussi puissant. Il y a une noirceur raffinée dans ses photographies. Pour moi, c’est le plus grand. Je regrette de ne pas être allé voir son exposition au «Bal» à Paris l’hiver dernier.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Un métier que tu aurais aimé faire ?

«Quand tu regardes le ciel, il y a quelque chose qui met tout le monde d’accord : c’est la non-réponse de rien.»

Je dois dire que le mot “métier” me pose problème. Mais si je devais choisir, ce serait un métier solitaire, lié à l’observation. Peut-être en relation avec l’espace, le ciel. Quand tu regardes le ciel, il y a quelque chose qui met tout le monde d’accord : c’est la non-réponse de rien. Tout devient possible, et ça, ça me fascine.

As-tu une autre passion que la photographie ?

Le dessin. Je dessine uniquement au fusain; en ce moment je fais des silhouettes en un trait. J’ai également fait une série de portraits, dont j’ai effacé légèrement le regard en grattant. Dans mes dessins comme dans mes photos, je cherche en permanence une forme de destruction, de fusion entre les choses.

L’essence de l’idée est toujours dans le croquis – quand tu commences à y mettre trop de technique ça devient bouché et lisse. Je trouve quelque chose de rassurant dans le primaire. Comme Lascaux, moi ça me fascine. Avec un bout de charbon, tout le monde joue à égalité.

 
Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.
Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Une anecdote à nous raconter ?

Alors, oui! Le jour où l’on m’a installé ce fameux détecteur de fumée au plafond. C’est un type de l’immeuble qui s’en est chargé, une sorte de concierge très insistant socialement – tu sais le genre qui te met un mot si tu laisses tes poubelles devant ta porte. Il doit être assez seul et triste au fond ce monsieur – il me fascine et me touche énormément.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Bref, quand il a sonné, j’étais en train de faire des photos avec deux amies, alors allongées par terre en pleine position de ciseaux lesbien. Quand je dis ciseaux lesbiens, on n’est pas dans le porno hein, on cherchait vraiment à faire quelque chose de joli. Et puis bon, il y avait cet énorme Monsieur Patate en plastique avec lequel on était à moitié en train de jouer, et puis c’était l’heure du goûter alors on mangeait du Savane, il y avait des miettes partout, c’était n’importe quoi.

Bref, le mec sonne, j’ouvre, il me dit qu’il en a pour deux secondes. Je refuse, il insiste. Je regarde les filles qui se marrent derrière… et puis hop, recouvertes d’un drap, le type a fini par entrer. Là-dessus, la radio a lancé un bon vieux France Gall, les filles ont commencé à chanter comme des folles, et le type était au milieu de tout ça, perché sur son échelle… la scène était irréelle. En partant je l’ai vu sourire pour la première fois : “bon eh bien en tous cas, je vois que votre journée va être plus agréable que la mienne!”.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Une musique que tu écoutes en ce moment ?

J’écoute soit de la musique ambiante, soit carrément des playlists Nostalgie, ces tubes que tu n’entends qu’en fin de soirée dans les mariages. Mais en ce moment, j’écoute beaucoup la musique de Philippe Glass, dont son album “Glasswork”. C’est un compositeur contemporain de musique classique. Il y a aussi Terry Riley – c’est le fondateur de la musique minimaliste. Pendant ses concerts il était au piano, avec sa grande barbe blanche, et il jouait la même phrase musicale pendant des heures. Une musique machinale, hypnotisante. Tu retrouves cette sensation dans la techno, le même motif répété devient comme une spirale dans laquelle tu es littéralement happé.C’est la même chose avec la photo: ton imaginaire s’en approprie les motifs et fait surgir des émotions qui te sont propres.

 

Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?

Pour ne pas faire de jaloux je vais proposer une artiste que je ne connais pas personnellement, c’est plus objectif… Makiko Furuichi, ses aquarelles sont magnifiques ! Elle a fait une expo récemment à la Galerie Sun7 à Bordeaux.

Nicolas Gavino, Photographe à Bordeaux.

Pour suivre l’actualité de
Nicolas Gavino :