D’où te vient ce nom “Specio” ?
Mon vrai nom est Olivier Michard. Quand j’étais plus jeune, je faisais du graffiti dans les rues. Durant cette période, je réalisais une série qui s’appelait les « Specio d’agent », des personnages très simples, dans des situations diverses. Les gens ont alors commencé à m’appeler comme ça, Specio ! Et puis avec le temps, c’est resté. Je ne peux pas trop en sortir. Dans l’univers professionnel, tout le monde me connaît sous ce nom… difficile de leur dire de m’appeler Olivier Michard. Je suis donc Olivier Specio depuis une quinzaine d’année. Et puis, specchio signifie « miroir » en italien ; c’est le reflet de l’eau, le reflet du miroir et ça me plaît plutôt bien !
Peux-tu nous parler de ton univers, de tes activités en quelques mots ?
Si je dois parler de mon univers, je dois parler d’une expérience qui inévitablement induit qui je suis et ce que je fais aujourd’hui. Quand j’étais gamin, il m’est arrivé quelque chose qui d’une certaine façon, m’a poussé à aller dans cet univers-là, le milieu de la création. Je devais avoir 9 ans. Je me suis aventuré sur un lac gelé et la glace a craqué sous mes pas. Pendant que j’essayais de me sortir du lac, il y avait un renard sur la rive, qui regardait la scène… La nature pouvait m’avaler. J’ai failli me noyer. Bon, je m’en suis sorti tout seul (rires), mais je crois que je me suis rendu compte à ce moment-là qu’on pouvait mourir et de la position que l’Homme pouvait avoir dans le monde en tant qu’animal. Comme une prise de conscience très tôt de ce que l’on est et de la force intérieure que nous pouvons avoir… notre instinct de survie. Maintenant je peux mettre des mots sur cet épisode de mon enfance qui m’a permis de développer ma sensibilité, de fabriquer un univers et la relation que je peux avoir avec les animaux, la nature, la forêt, la sauvagerie. D’une certaine façon, cet évènement a commencé à fabriquer l’univers de mes peintures, ma position sur cette terre et mes divers territoires inventés.
J’ai d’abord commencé à penser les choses avec les mots, à écrire. Je crois que j’écris depuis plus longtemps que je ne peins. J’ai fait des choses dans la rue, parce que j’aimais traîner avec mes potes et me mettre en danger. J’étais un graffeur anachronique et utilisais des médiums que personne n’utilisait. J’ai toujours été un peu branleur aussi, faut le dire !
A 18 ans, j’ai bossé dans la galerie Pascal Vanhoecke à Paris. Puis, me suis installé à Bordeaux en 1999. J’ai continué à faire des collages dans la rue et enfin à peindre, à faire du dessin de traits, des choses très détaillées. J’ai monté ma propre galerie en 2000, rue du Pas Saint Georges, qui s’appelait le Kube. Ça a duré deux ans. J’ai fermé la galerie parce que ce n’était pas mon truc d’être dans une boutique, même si c’était une boutique d’Art… J’avais d’autres choses à faire avec ma peinture.Parallèlement à tout ça, j’ai fait une licence d’arts plastiques et trois ans d’atelier aux Beaux-Arts de Bordeaux en auditeur libre, ce qui m’a permis de compléter ma formation universitaire. J’ai également fait une licence d’histoire de l’art.
Le passage à la peinture est venu comme une évidence, comme pour mieux visualiser les images poétiques. Les choses se complètent. J’écris comme je peins. Je monte des expos avec tout ça. J’aime beaucoup d’ailleurs faire des lectures pendant mes expositions, j’aime ce type de proposition. C’est une expansion de l’esprit, du geste. Si je n’avais pas cette liberté d’écriture, je n’aurai sûrement pas cette liberté dans la peinture.
Je fabrique des territoires, je m’intéresse à la relation qu’on peut avoir entre l’intime et la surface extérieure. Je pense que chaque être est un territoire en mouvement, comme une capsule qui a une face visible et des territoires fabriqués externes. Il y a une porosité entre ces deux limites. Ce qui me plaît, c’est de présenter cette relation-là. Ramener en surface, à l’extérieur, ce qui est à l’intérieur. Je montre ce qui fait partie de mon territoire intime, interne, caractérisé par les animaux, l’homme, les matières, les paysages, la nature. Dans ce que je fais, il y a souvent une confrontation entre deux territoires, entre des paysages internes et des personnages externes. C’est finalement un jeu constant entre l’intérieur et l’extérieur… entre un paysage extérieur et un territoire intérieur. Les compositions picturales sont maitrisées.
Je suis également à l’origine du collectif De mèche, que j’ai fondé en 2010 avec Loic Doussin et Nicolas Lavalade. Ce collectif est né d’une envie de concevoir des projets. Des projets qui ne sont pas forcément nos propres productions. Mais pour créer de nouvelles formes, accueillir des artistes et leur proposer des collaborations. Actuellement, il y a une bonne trentaine d’artistes membres.
Aujourd’hui, j’ai la chance de faire ce que j’ai envie, en plus d’intervenir dans des écoles, aux Beaux-arts ou ailleurs.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ?
«Etre artiste, c’est un positionnement dans la vie.»
Mon grand-père. Il était paysan et menuisier dans le Cantal, un coin paumé dans la montagne, sauvage et magnifique à côté de Murat. Il avait une façon de faire et d’être, très ancrée dans son environnement. C’était quelqu’un de très fort. Il m’a appris à être ce qu’on doit être et pas autre chose. Il n’était pas du tout intéressé par l’univers artistique mais il m’a appris à savoir comment se positionner dans son environnement. Etre artiste, c’est un positionnement dans la vie. Il y a un certain courage à être artiste aujourd’hui. Il faut savoir se mettre un peu en danger.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
J’en ai beaucoup ! J’aime l’Histoire. J’aime également aller à Rome, chaque année. J’essaie d’aller y passer quelques jours. J’ai besoin de me confronter à Fra Angelico, à des monuments historiques, à l’Histoire. C’est un rapport avec la beauté. Je suis aussi impressionné par Bacon, et influencé par de nombreux de nos contemporains tels que David Hockney, Borremans, Louise Bourgeois, Georg Baselitz par exemple.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Actuellement, j’ai plusieurs projets avec Myriam Mechita, dont un bouquin notamment. Nous montons aussi un atelier de sérigraphie à Berlin pour réaliser nos propres tirages et être indépendants. Nous allons également exposer en juin à la Galerie des Etables à Bordeaux, Myriam vient pendant 10 jours pendant lesquels nous allons être en résidence directement dans la galerie. J’ai aussi une grosse expo de peinture à Berlin à la rentrée. Pour cet évènement, je produis directement sur place, ce qui m’évite les frais de transport des œuvres. Et puis, j’ai également une production aux Beaux-Arts de Caen. C’est pas mal déjà (rires) !
Un métier que tu aurais aimé faire ?
J’aurai aimé être naturaliste… Soigner les animaux, prendre soin de la nature, être perdu un peu loin. Et faire des petits croquis de l’environnement qui m’entoure dans un carnet de poche.
Un coup de cœur artistique que tu souhaiterais nous faire partager ?
Eh bien, Myriam Mechita. Son boulot est impressionnant ! Elle a un travail qui n’accepte aucun compromis, ses territoires qui sont souvent à la rencontre du noir et de l’éclat brutal me touchent et me parlent. C’est un travail guidé par la vision, par la fabrication d’espaces magiques, secrets, parfois primitifs. Je me retrouve dans cette façon de se tourner vers l’intérieur des surfaces, de se tourner vers la beauté de l’instinct et de chercher la lumière dans les espaces sombres. Il y aurait beaucoup à dire sur les œuvres de Myriam. Dire que son travail me parle souvent au plus profond est déjà beaucoup.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
China Woman et leur morceau Party Girls. Il tourne pas mal !
Une passion particulière ?
Mes gamins… C’est une belle passion !
Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Louie Otesanek, un jeune peintre qui vit à Reykjavik. Je l’ai rencontré à Berlin le mois dernier, c’est un type chouette. Il est assez simple et humble sur ce qu’il fait. Il peint de belles choses. Le fait qu’il ait choisi de vivre en Islande est intéressant et percute directement l’orientation de son travail. C’est plutôt bien, je trouve, de voir comment les choix de déplacements et les paysages qu’on peut rencontrer, influent sur la production.