Peux-tu nous parler de toi ? De ton activité en quelques mots ?
Je m’appelle Pablo Cots, je suis artiste avec une production personnelle en atelier et suis également graphiste et directeur artistique pour des marques et différentes agences de publicité.
J’alterne entre ces deux casquettes au fil de la journée.
Quand j’étais petit je ne dessinais pas, je suis arrivé dans le domaine de la création graphique par le biais du graffiti. Je parcourais la ville quand j’étais ado et, petit-à-petit, cette pratique de l’aérosol m’a amené à faire du dessin. C’est vraiment le graffiti qui m’a permis de m’orienter professionnellement. Le dessin de la lettre m’a ouvert les yeux sur un domaine inconnu puis j’ai eu une sorte de révélation lors d’une visite aux portes ouvertes d’un lycée d’arts graphiques.
«Mon activité n’est pas vraiment une vocation mais je l’ai construite au fur et à mesure de mes expériences.»
Je me suis dit que c’était ce domaine que je voulais conquérir. J’ai alors passé des concours pour entrer dans des lycées spécialisés sans être retenu. J’ai alors pris des cours de dessin avec un vieux monsieur, j’ai travaillé dur pour retenter mon entrée dans une formation de technicien dessinateur maquettiste. Ensuite, je suis entré à l’EPSAA que j’ai rapidement quitté car l’approche trop scolaire ne me convenait pas. J’ai finalement intégré les Beaux Arts de Paris et j’ai obtenu mon diplôme en 2005.
D’où te vient cet intérêt pour ton activité ?
Comme je le disais dans la question précédente, c’est le graffiti qui a forgé mon oeil et ma vocation. Le graffiti et le skateboard également que je pratique depuis mon enfance. Je passais mon temps dans la rue à observer l’architecture, que ce soit pour trouver des terrains vagues pour peindre, ou à essayer d’utiliser le mobilier urbain, marches, rampes d’escaliers, toutes sortes de plans inclinés… Bref, des surfaces où ça roulait bien pour skater. Quand tu fais du graffiti, tu cherches des bonnes places, tu regardes en hauteur, tu cherches des endroits qui sont bien vus et où tu peux peindre sans être vu. Quand on a 14 ans, on ne se rend pas compte de cette influence, mais en réalité, cela contribue à aiguiser le regard que l’on a sur la ville et les éléments qui la compose, tu attires ton attention sur des choses qui, pour la plupart des gens, semblent futiles.
Mon activité n’est pas vraiment une vocation mais je l’ai construite au fur et à mesure de mes expériences, je n’étais pas le surdoué du fond de la classe en dessin, cela s’est fait progressivement.
De quelle manière travailles-tu ?
J’alterne entre mes deux casquettes : peintre et graphiste. Parfois, mon studio est entièrement dédié à la peinture et à la sculpture, j’en mets un peu partout, un vrai chantier ! Alors que dans d’autres périodes, je reste 16 heures par jour devant mon ordinateur à travailler sur des projets d’édition, des dessins pour une marque ou autre, et tout ça sans me salir les mains (rires).
Même lorsque je travaille pour des commandes classiques, j’essaye toujours de faire le maximum d’éléments à la main, mes typographies, mes illustrations, etc. Je n’utilise pas de tablette numérique par exemple, je travaille souvent à l’encre, puis je numérise mes créas et les assemble sur l’ordinateur.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé professionnellement ?
Alors là, vraiment, je sèche… Je ne suis pas fan en particulier d’un designer ou d’un artiste. Il y a plein que j’apprécie mais c’est difficile pour moi de n’en choisir qu’un seul. Mais si je dois citer une personne, ce serait mon père, qui n’est pas du tout dans l’art mais qui a fait énormément de choses très différentes. Il bricolait beaucoup, créait des maquettes et décors, il a aussi fait pas mal d’éditions faites maisons. Je dirais que c’est plus ce savoir-faire de bricoleur, utilisant divers matériaux comme le plâtre, le polystyrène, etc… qui m’ a marqué. Le fait de le voir travailler quand j’étais petit m’a inconsciemment poussé à reproduire ces activités et m’a un peu inculqué avant l’heure, les valeurs du « Do It Yourself ».
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Pendant un bon moment je me suis pas mal intéressé à l’esthétique des gangs sud américains. J’ai beaucoup travaillé sur les différentes formes picturales qu’ils utilisent, et de manière plus générale, la culture mexicaine me parle beaucoup. L’influence de la religion dans cette culture m’a toujours passionné. Moi, je suis athée mais le côté naïf des traités, les symboliques, les couleurs, ont été une véritable source d’inspiration pour moi. Je travaille un peu moins sur ces thématiques maintenant car j’ai produit beaucoup de choses dans ce registre, au point de m’en fatiguer.
Ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui font du graphisme mais dont ce n’est pas le métier à la base, ou encore ceux qui le pratiquent comme hobby. Quand je suis allé à Mexico, j’ai été très surpris par le nombre de façades peintes dans la ville. Ce qui est marrant, c’est qu’il y a énormément de personnages de Disney, de typographies manuscrites, et rien n’est parfait, on retrouve plein de maladresses, d’erreurs, et ce côté non normé me séduit particulièrement. C’est vivant.
En Europe, quand on voit les enseignes réalisées en numérique et imprimées sur du PVC, je trouve ça catastrophique, et tellement aseptisé. Cependant, j’ai l’impression que le métier de peintre en lettre reprend ses marques; désormais, on voit de plus en plus de travaux faits à la main dans les bistrots, sur les devantures, et on sent clairement l’influence du graffiti dans cette nouvelle vague.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
En ce moment, je suis en train de finaliser des pièces pour une exposition collective à Hambourg sur le thème de la culture “skate/surf”. La galerie m’avait déjà proposé de travailler sur une exposition par le passé, mais la thématique était résolument Street Art et cela ne me convenait pas. Je ne me retrouve pas dans ce terme de « street art » qui a proliféré et qui, selon moi, a été utilisé à tort et à travers.
Je présente également une exposition personnelle, “Keep Scrolling” qui aura lieu du 22 avril au 5 mai, à la Galerie Central à Liège, en Belgique.
Enfin, je prépare en ce moment une collaboration avec une marque de boisson, ce sera présenté chez Colette au printemps et je finalise également sur une affiche pour Sosh, l’opérateur mobile.
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Je crois que je fais le métier que je veux : artiste et graphiste.
J’aime naviguer entre ces deux pratiques et pouvoir passer de l’un à l’autre.
Une anecdote à nous raconter ?
Il m’est arrivé une histoire assez incroyable en 2004, lors des attentats de Madrid dans la gare d’Atocha. J’étais en échange à Valence et j’habitais en colocation avec une vraie punk. Je faisais beaucoup de carnet de voyages à cette époque, que je remplissais avec tout ce qui m’influençait et je faisais pas mal de dessins sur cette thématique punk, pour le groupe de ma colocataire. Des graphismes assez agressifs et énervés : des cagoules, des mitraillettes, des slogans anarchistes, etc. En parallèle, je peignais des trains sur des tableaux. J’ai voulu aller à la gare d’Atocha, puis en chemin je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée, le côté morbide m’a effrayé. Je me suis alors retrouvé dans un bar ou la TV diffusait les informations en boucle et j’ai dessiné et pris des notes dans mes carnets, en notant des horaires, des mots, des numéros de lignes. En sortant et me baladant, et sans avoir fais gaffe, je me suis retrouvé à deux pas de la gare, je me suis mis à longer les voies pour arriver sur le lieu où il y avait des badauds qui regardaient la scène. Pour voir la scène, il fallait passer de l’autre côté des barrières de la Renfe, donc j’ai commencé à grimper et soudain, j’ai entendu un gyrophare de la Guardia Civil et ça a été le début d’une situation assez compliquée pour moi. Pendant 1h et demie, ils m’ont soupçonné d’être un des terroristes. Un français, né en Algérie (en plus, j’avais de la barbe à l’époque), avec mes carnets de voyages plein d’informations et de dessins qu’ils trouvaient suspects. En ayant regardé la TV, j’avais bien plus d’informations qu’ils n’en avaient, et avec la langue, les quiproquos se sont enchaînés et je me suis retrouvé au milieu d’une dizaine de véhicules de police autour de moi… Sale histoire, c’était vraiment une situation dingue.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute un peu de tout, je n’ai pas de morceau favori. Quand je travaille, j’écoute la radio ou des playlists, mais je n’ai pas de registre de prédilection. Gainsbourg est mon artiste français préféré.
Sinon en ce moment j’écoutes la mixtape “Sadevillain“, un mash-up entre le travail de MF Doom et Sade.
Un lieu où tu aimes aller ?
Santa Pola, une petite commune d’Espagne dans la province d’Alicante, la ville dont ma famille est originaire et où j’aime aller me ressourcer.
Quel artiste coup de coeur nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Je dirais Liliane Phung, une artiste peintre qui à étudié aux Beaux Arts avec moi. Elle réalise de très grands formats et je vous conseille de jeter un oeil à sa production.