Est-ce que tu peux nous parler de toi, de ton parcours et de ton activité ?
J’ai 26 ans et je suis styliste-modéliste depuis 2013, l’année où j’ai passé mon diplôme à Bordeaux. C’était un double-diplôme, qui a duré 3 ans, en stylisme, c’est-à-dire tout ce qui est conception et design, et en modélisme, donc ce qui est confection et réalisation. À la suite de ce diplôme, je me suis installée à mon compte. Mon idée première, c’était de m’installer en sur-mesure féminin, et c’est ce que j’ai fait. Mais très rapidement, l’essentiel de mes commandes ont tourné autour de l’univers du mariage. A la base, ce n’était pas un univers qui m’intéressait : je le trouvais assez cucul, mièvre. Mais finalement, au vu de ce qu’on me demandait, c’est-à-dire surtout des robes de mariées alternatives, pas du tout classiques ou traditionnelles, pas la robe bustier meringue, ça m’a beaucoup plu!
On me demandait plutôt des choses assez fluides, assez simples, qui sont dans le prolongement du vestiaire quotidien, mais pour un jour un peu particulier. Mais de façon assez inconsciente, j’utilisais déjà beaucoup la dentelle, qui est une matière que j’affectionne particulièrement. Donc ça a été assez naturel, en fin de compte, de créer des robes de mariées! A tel point que j’y ai terriblement pris goût, et que j’ai décidé de me spécialiser uniquement dans la création de robes de mariées sur mesure.C’était 6 à 8 mois après la création de mon entreprise. Depuis, mon activité s’est développée, et depuis quelques mois j’arrive à en vivre. C’est une belle victoire quand on est jeune entrepreneur !
Quand une cliente me contacte pour un nouveau projet, elle me présente souvent ses idées sous forme de tableau Pinterest, et on regarde ensemble certaines créations que j’ai déjà réalisées. Tous les rendez-vous se font chez elle ; pour l’instant, mon atelier est trop petit pour que je puisse y accueillir mes clientes dans de bonnes conditions. Ensuite, je travaille à un premier croquis ; une fois qu’on est d’accord, je réalise un prototype en toile de coton pour vérifier que ma prise de mesure était exacte. On en profite aussi pour faire de derniers tests : manches courtes ou manches longues, décolleté plus ou moins ouvert, etc. Ce n’est qu’après toutes ces étapes que je m’attaque à la réalisation de la robe de mariée. Je dois avouer qu’on boit beaucoup de champagne pendant les essayages! Ce sont des moments pleins d’énergie positive. Je connais les témoins, je connais bien la mariée, je vais chez elle 5 ou 6 fois tout au long du projet. A la dernière séance, les clientes me disent souvent : “Quand je pense que ce n’était qu’un croquis!”.
En ce qui concerne mon univers… Ce sont des robes de mariées donc on retrouve des codes assez “classiques” : le travail du blanc cassé, de l’ivoire, de la soie, de la dentelle de Calais… Mais on a aussi des choses issues de la mode prêt-à-porter, avec des coupes fluides, avec une patte vintage, rétro ; des robes inspirées des années 20, 30, 40, beaucoup de 70 aussi cette année, avec une grosse tendance bohème. Ça va être aussi bien des robes que des ensembles top + jupe, et même prochainement la création d’un tailleur-pantalon. Ce qui revient toujours, c’est l’utilisation des matières nobles.
«Le sur-mesure, c’est beaucoup de travail : il faut compter 80 heures de travail sur une pièce.»
Le sur-mesure c’est beaucoup de travail, de l’artisanat : il faut compter à peu près 80 heures de travail sur une pièce, donc on prend soin de choisir de jolies matières : de beaux crêpes de soie, de beaux tombés, de belles dentelles, de belles guipures, etc. Forcément, on fait les finitions qui vont avec, qui sont issues de l’artisanat traditionnel, de la couture française : des jolis ourlets, des coutures anglaises, de belles doublures, etc. Cela fait des pièces uniques à chaque fois, puisque je m’adapte complètement aux demandes des futurs mariés. Bien sûr, il y a toujours mon ADN qui est présent, mais je ne refais jamais deux fois la même chose, et ça aussi c’est très chouette.
Je n’ai pas de stock, je crée des collections qui sont des collections d’inspiration, qu’on peut considérer un peu comme un fil rouge pour les futurs mariés : les inspirer, témoigner de mon univers, mais ce ne sont pas des pièces que je vends telles quelles. Je travaille uniquement sur-mesure, avec prises de mesure, création d’un patron unique, etc. Et en fait on ne me demande jamais deux fois la même chose, même si parfois il y a des tendances qui reviennent!
Le fait de travailler seule, à ton compte, c’est ce que tu voulais ?
Je ne voulais pas tellement travailler “seule” ; c’est plutôt l’envie d’être libre qui m’a encouragée à monter mon entreprise. J’ai rapidement découvert qu’en étant styliste en entreprise, tu es coincée entre un directeur artistique, un chef de produit, un chef commercial, et je n’avais pas fait tout ce chemin pour ça! C’est quand même un métier-passion, on bosse beaucoup, c’est aussi parfois épuisant. Je n’avais pas envie de gâcher mon plaisir, d’être frustrée en travaillant en entreprise. Je savais que ma seule issue pour faire vraiment ce qui me plaisait, c’était d’être à mon compte. Ce qui implique forcément d’être seule, mais c’est relativisé par de nombreux partenariats avec des prestataires, des artisans comme moi, qui gravitent autour du mariage et qui ont un peu la même conception que moi du mariage. On a notamment créé un collectif qui s’appelle “Les mariées clandestines”, qui résume assez bien mon univers : assez anticonformiste, très axé sur l’artisanat. On est toutes de jeunes entrepreneurs : il y a une décoratrice, une photographe, une maquilleuse, une coiffeuse. Plutôt des corps de métier qui tournent autour de l’esthétique du mariage : on n’a pas encore intégré tout ce qui est traiteur, lieu de réception, etc.
D’où vient ta passion pour la couture ?
Quand j’étais petite, j’avais ce qu’on appelle “le syndrôme Barbie” : je passais des journées entières à habiller et déshabiller mes poupées Barbie. Et comme je ne trouvais pas toujours ce que je voulais à portée de main, je me suis mise à fabriquer des choses, avec des chiffons, des tissus qui traînaient. Ma grand-mère m’emmenait tous les mercredis dans les magasins de tissus : je revenais avec des tissus, des lycras rose fushia magnifiques (rires), des paillettes, et j’habillais mes Barbies. Lors d’une fête des mères, j’ai fait une robe pour ma mère, en mode rose vichy hyper courte! Je crois qu’elle l’a quand même mise une fois, à la plage… C’est pour dire que j’avais vraiment envie d’habiller les femmes, très tôt. Des femmes un peu idéalisées quand même, c’est vrai. A l’adolescence, ça passait plutôt par de la customisation de vêtements.
Et puis quand j’ai passé mon Bac, je suis partie en fac de droit. En première année de licence, j’avais besoin d’une activité pour me détendre, et la couture avait toujours été quelque chose que j’aimais faire. Mais je n’avais pas de machine à coudre. Alors ma grand-mère m’en a offert une à Noël, et en fait dès lors que j’ai eu cette machine, je n’ai plus arrêté de coudre, j’avais le virus ! A tel point que mon code civil prenait carrément la poussière! Je cousais sans arrêt! Au grand désespoir de mes parents, au début, quand j’ai abandonné mes études de droit pour partir en école de mode et en faire mon métier.
«Si on ne sait pas coudre et réaliser ses idées, ça ne sert à rien, elles restent sur le papier !»
La partie design et création”, c’est aussi quelque chose qui m’avait toujours plu. Mais si on ne sait pas coudre et réaliser ses idées, ça ne sert à rien, elles restent sur le papier! Donc pour moi ça a toujours été super important de savoir aussi confectionner. Par contre je me dis maintenant que si je pouvais déléguer la partie confection et me consacrer vraiment uniquement au design, ça me plairait beaucoup. On verra ce que l’avenir nous réserve!
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
C’est très varié. Je pense que la matière première, c’est l’histoire. L’histoire de la mode qu’on peut trouver dans des films, dans des vieilles photos, dans des bouquins, sur Internet maintenant on a aussi une énorme banque d’images à portée de main! Les années 20 m’inspirent beaucoup, car c’est un super compromis entre l’élégance et le côté pratique. Il y a aussi un très beau travail d’ornementations et de motifs, très en vogue actuellement. Je trouve que c’est une période fascinante, pendant laquelle il s’est aussi passé plein de choses pour la femme! Les années 40, 50 et 60 m’inspirent aussi beaucoup. J’ai une sorte de nostalgie de cette époque, où la féminité était omniprésente, mais qui n’est pas forcément compatible avec nos modes de vie d’aujourd’hui. Pour moi, tout le challenge c’est de trouver un compromis entre tout ça, d’arriver à faire des silhouettes à la fois élégantes sans être trop habillées, en étant justes dans le contexte d’aujourd’hui. La problématique du mariage, pour moi, c’est de ne pas tomber dans le déguisement, de rester dans un vêtement de mode, qui est le témoin d’une époque. C’est un peu la problématique de la princesse des temps modernes on va dire!
Ensuite, je suis passionnée par la musique, et notamment par le jazz, et là aussi c’est toute une époque qui m’inspire beaucoup.La décoration, et notamment les textiles, peuvent être une très belle source d’inspiration.
Les stimuli peuvent venir de partout : d’une balade, d’un échange.
Il y a bien sûr aussi quelques “mentors”, quelques créateurs que j’adule : Coco Chanel évidemment, par son travail en noir et blanc qui me parle beaucoup ; Sonia Rykiel ; Yves Saint Laurent. Mais en fait ils sont tous morts! Je m’en rends compte maintenant, je suis quand même très tournée vers le passé, c’est pas très “feng shui” tout ça! (rires)Dans la peinture évidemment, il y a Degas, Modigliani, Toulouse Lautrec. Ce sont des choses qui me parlent.
Et la nature évidemment, notamment les fleurs, qui sont omniprésentes dans la dentelle.
Quels sont tes projets actuels et à venir ?
On vient de réaliser une séance d’inspiration avec les Mariées clandestines : on était 10 prestataires pour réaliser ce shooting, donc c’était une vraie collaboration artistique. Tout le monde a apporté sa patte, après s’être mis d’accord sur une thématique commune : l’ethnique. On a été publiés sur le blog “Queen for a day”, c’est tout frais, ça date de quelques jours !
Par ailleurs, tous les ans on réalise une édition du festival Mariage, qui se déroule au cours d’une soirée, à la boutique “M&Vous”, 27 rue Arnaud Miqueu à Bordeaux, et cette année cet événement aura lieu jeudi 13 octobre à partir de 19h. Cette soirée est consacrée aux futurs mariés : on enlève tout dans la boutique, on crée notre mini-salon le temps d’une soirée, où chaque artisan a son corner. Les futurs mariés peuvent venir pour faire le plein de bonnes idées, pour nous rencontrer, découvrir notre travail, échanger, prendre des rendez-vous. C’est un bon moyen de nous faire connaître! Et c’est aussi un moment super convivial : il y a de la musique, un petit pot qui est servi, etc. Pour l’événement, on choisit aussi une thématique commune, qui cette année sera le mariage folk. Ça va être très sympa mais je n’en dis pas plus, il faudra venir voir!
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Franchement, un autre métier que j’aurais été capable de faire, et qui m’aurait plus plu que ce que je fais aujourd’hui ?! Honnêtement, je ne vois pas !
Peut-être que j’aurais aimé faire plusieurs métiers, plutôt! Il faudrait avoir plusieurs vies. Peut-être que j’aurais aimé devenir une super pianiste de jazz alors que je ne sais jouer que “Frère Jacques”! En tout cas, ça aurait toujours été tourné vers l’artistique, c’est sûr.
Y a-t-il un lieu où tu aimes particulièrement aller ?
Oui, à Pentrez en Bretagne. C’est une maison de famille, de la famille de mon mari. C’est une maison qui est sur la falaise, sur la baie de Douarnenez. C’est un lieu majestueux, que j’adore, où tu ne penses plus à rien!
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Il y a un album que j’écoute beaucoup actuellement, celui de Julien Lourau.
Un artiste coup de coeur ?
Il y a un deux artistes, un duo de danseurs, pour qui j’ai eu un coup de coeur récemment. Ils s’appellent Amy Yakima et Travis Wall.
Une personnalité que tu nous recommandes de rencontrer pour un prochain portrait ?
Pierre-Michel Viart, c’est un graphiste. C’est un ami que j’ai rencontré à l’école ; il était dans ma classe en première année, mais lui son truc en fait, c’est le graphisme. C’est quelqu’un qui a une super personnalité. Il s’est mis à son compte lui aussi, un an après moi, il est tout jeune, il a 22 ans, et c’est une super sensibilité. C’est une très belle personne, avec beaucoup de talent! Il est capable de faire un travail très artistique, mais aussi de répondre aux exigences du marché de l’infographie et des clients.