Éric Audebert baigne dans l’univers de la bande dessinée depuis sa plus tendre enfance. Directeur artistique du Festival Regard 9 et fondateur de l’association 9-33, Éric est habité par ce qu’il fait. Débordant d’enthousiasme, nous l’avons retrouvé en plein montage d’exposition, entre deux encadrements et la construction d’une passerelle, pour savoir qui se cache vraiment derrière ce passionné de bande dessinée ! Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Peux-tu nous parler de toi, de tes activités, de ton univers ?

J’ai toujours été un lecteur et un passionné de bande dessinée, depuis tout petit. Après avoir passé mon enfance et mon adolescence à Périgueux, où je passais mon temps à la librairie “Coconuts”, je suis parti m’installer à Paris. Je faisais des petits boulots mais ça ne me convenait pas. J’avais juste assez pour pouvoir vivre et ne pouvais rien faire d’autres. En clair, je m’ennuyais. Il y avait plein de choses qui m’intéressaient mais que je ne pouvais pas faire. A 22 ans, j’ai alors décidé de quitter la capitale et de retourner en province. J’avais 2 copains à Bordeaux qui m’ont alors proposé de me loger. Je suis arrivé à Bordeaux en octobre 1993.

Je connaissais un petit peu Bordeaux, mais pas très bien. Un jour, au détour de mes déambulations urbaines, je suis tombé sur une librairie qui s’appelait “Bédélire”. J’avais un peu lâché la bande dessinée à ce moment car je n’avais pas trop de sous pour m’en acheter. Je suis rentré dedans et voyais plein de trucs que je ne connaissais pas et que je trouvais chouette. C’est à ce moment là que je me suis dis, qu’il fallait que je travaille dans ce lieu. Le lendemain d’une grosse soirée, je me réveille et décide en buvant mon café, de rédiger mon CV à la main et d’aller à l’ouverture déposer une candidature spontanée. La patronne, Christiane Ribereau-Gayon, m’a vu arriver, je me suis présenté à elle et lui ai dis que je voulais travailler dans sa librairie. Elle m’a répondu qu’elle n’embauchait personne, mais on a continué à discuter. On a parlé de bande dessinée, on avait les mêmes goûts, les mêmes lectures. On parlait d’Henri Sirech, qu’elle connaissait. C’est comme ça que j’ai pu commencer à bosser dans une librairie, en décembre 93 pour les fêtes de fin d’année, à faire des papiers cadeaux, à conseiller les gens… Deux mois plus tard j’étais embauché. J’ai passé 15 ans dans cette librairie.

 
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Durant toute cette période, je rencontrais des auteurs de bande dessinée et découvrais les originaux, chose que je ne connaissais pas avant. Je découvrais l’univers de la création, je les voyais crayonner, les mettre en couleurs. Et puis, on avait le même âge, on se voyait souvent. Je découvrais leurs cartons à dessins, leurs carnets. Je les voyais dessiner, je passais les voir en atelier, en pleine création. Tout ça me nourrissait. Avec le temps, j’ai eu l’envie de partager ça et de le faire découvrir aux gens. J’ai alors commencé à monter des expos dans la librairie, à organiser des séances de dédicaces. On me laissait faire. J’étais en lien avec les maisons d’édition et les auteurs. On organisait des rencontres, ce qui me plaisait beaucoup plus que les séances de dédicaces, que je trouvais trop superficielles. Je n’ai jamais été un fan des dédicaces.

 
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Les rencontres permettaient aux auteurs de rencontrer leur public, d’expliquer leur travail, leurs textes, leur univers. La librairie fonctionnait bien. Christiane a acheté un petit local situé juste à côté, pour en faire une galerie d’exposition, qu’on a appelé Umbroglio. Dans cette galerie, on a commencé à présenter des grands auteurs comme Alex BarbierGus Bofa et Yves Chaland, qui était ma première grosse exposition. Tu ne peux même pas imaginer à quel point j’étais flippé quand j’ai monté l’expo de Chaland. Après tout ça, j’ai voulu monter plus d’expositions, plus d’évènements autour de la bande dessinée. Il y avait de plus en plus d’auteurs qui venaient s’installer à Bordeaux. Et je me suis dit qu’il fallait monter une asso, quelque chose qui pourrait monter des évènements. Puis, cette idée m’est complètement sortie de la tête. En 2007, on savait que la librairie allait mal, que la fermeture était proche.

D’où vient cette passion pour la bande dessinée ?

J’avais un papa qui lisait les magazines Spirou et nous achetait régulièrement, à ma sœur et moi, des bandes dessinées comme Pif Gadget et Mickey. On se faisait tourner les revues et j’attendais que tout le monde ait lu l’ensemble des magazines pour les prendre avec moi dans ma chambre pour les lire tranquillement. Je constituais déjà ma petite bibliothèque. Tous les mercredis après-midi, mon père m’emmenait à la librairie Coconuts à Périgueux pour choisir la bande dessinée qui me ferait plaisir. Vers 13 ans, je commençais à pouvoir sortir seul dans les rues de Périgueux, et le seul repère que j’avais était cette librairie. Donc je continuais à y aller et à y passer mes après-midi, plongé dans les revues… Le patron, Henri Sirech, me laissait faire.

Un jour, je lui ai demandé de me conseiller une bande dessinée qui pourrait me plaire et qui sortirait des revues que je lisais d’ordinaire. Il m’a alors mis une bande dessinée d’Yves Chaland entre les mains, Godefroid de Bouillon. C’est lui qui m’a fait découvrir la bande dessinée “adulte” et c’est ce qui m’a fait passer un cap très important à ce moment-là, car j’aurai pu abandonner la bande dessinée.

A la lecture de Chaland, j’ai pris conscience que la bande dessinée pouvait jouer avec l’iconographie jeunesse, tout en se moquant beaucoup de la bande dessinée des années 50. Ça me faisait marrer, je trouvais ça génial ! La semaine qui a suivi, je suis retourné à la librairie avec toutes mes économies et j’ai acheté tout ce que Chaland avait pu produire. Puis très vite, je me suis ouvert à d’autres auteurs, j’ai été très curieux. Grâce aux conseils d’Henri, je suis allé plus loin dans la bande dessinée adulte… et ça ne m’a pas lâché ! Henri était quelqu’un d’incroyable, il a été d’une importance capitale tout au long de ma vie.

Comment et quand as-tu fondé l’association 9-33 et le festival Regard 9 ?

En avril 2008, la librairie Bédélire a fermé, ça n’allait pas bien depuis quelques temps déjà. Pour moi, c’était plutôt une bonne chose car mes enfants venaient de naître. J’ai eu la chance de pouvoir passer quelques mois avec eux. Je ne me prenais pas la tête. Puis, en septembre, les enfants sont rentrés en crèche, je me suis retrouvé tout seul. Et je me demandais ce que je pouvais faire. Je voulais continuer à travailler dans le milieu de la bande dessinée, du livre tout du moins. Et l’idée de créer une association m’est revenue. J’en ai parlé, j’ai été voir tous les copains illustrateurs, ils étaient très motivés, alors je me suis lancé. En octobre 2008, j’ai commencé à bosser sur le projet. On a été rapidement contacté par la Mairie de Bordeaux pour nous proposer de prendre en main la programmation de l’évènement “Bord’images”. Nous avons accepté mais souhaitions repartir à zéro, redonner un nouveau souffle au festival. On a commencé par traiter le processus créatif, parler des métiers de la bande dessinée. Et surtout montrer toutes les étapes de création d’une bande dessinée. Et puis, on a organisé des rencontres avec des auteurs féminines et le tout premier concert dessiné avec David Prudhomme. C’était super. L’année suivante, on a renouvelé l’aventure en tant que prestataires de service avec la Mairie de Bordeaux. La troisième année, on a souhaité que l’association prenne entièrement la main et que le festival devienne un évènement à part entière organisé par l’association 9-33. On a alors changé le nom du festival et l’avons appelé Regard 9. Afin d’amener un regard différent et de montrer la bande dessinée autrement.

 
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
La philosophie de ce festival est de montrer que les auteurs ne sont pas uniquement des geeks de bande dessinée, mais bien des artistes très curieux qui ont besoin de s’inspirer et de se nourrir de plein de choses telles que l’actualité, la musique, le cinéma, l’art contemporain. Ce sont des hommes et des femmes comme tout le monde. Moi je voulais montrer ça, leur univers culturel, ce qui les rend curieux.

Pour moi les auteurs ne sont pas des représentants de commerce. Ce qui m’importe c’est de pouvoir leur donner l’opportunité d’échanger avec le public et de les rencontrer. Je suis en quelque sorte un “passeur” entre les deux. Ce n’est pas un festival guindé. On veut accompagner les auteurs dans la création. On leur demande de créer une programmation et une exposition en lien avec leurs univers. C’est aussi pour leur donner l’opportunité de trouver d’autres pistes de création. Le festival est là pour ça. Ce qu’on veut faire, c’est ce qu’on propose, mettre les rencontres au cœur de la programmation. Depuis le temps que le festival existe, il a des temps de créations, de performances mais aussi des moments privilégiés, des rencontres. J’ai beaucoup de plaisir à organiser ce festival et je crois que le public et les auteurs ont aussi plaisir à le vivre.

 
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Quelles sont tes inspirations artistiques ?

J’étais un gros lecteur de bande dessinée lorsque je travaillais en librairie. Aujourd’hui, je reprends plaisir à en lire. Je redeviens ce petit garçon qui aimait s’abandonner et découvrir de nouveaux univers. Mais je suis aussi très curieux de tout ce qui m’entoure. J’ai aussi besoin de musique, de littérature, de cinéma, de théâtre, d’art contemporain. Il y a beaucoup de choses qui m’animent et qui me plaisent. Et je veux retrouver ça dans ce que je fais au quotidien. Le festival Regard 9 est le miroir des auteurs mais aussi un peu mon propre miroir. La bande dessinée n’est pas une fin en soi.

Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

En ce moment, on est sur le montage du Festival Regard 9. Cet évènement nous prend plus de 6 mois de travail à l’année. J’espère pouvoir continuer à le faire évoluer lors des prochaines éditions. Mais très sincèrement, je le verrai évoluer quand les pouvoirs publics auront décidé de nous accorder plus de subventions. On tourne avec de très petits budgets, que ce soit pour le festival ou l’association. On tente de donner une image du territoire, de le valoriser à travers ce que nous entreprenons. Je ne veux pas nous cirer les pompes, mais je trouve qu’on n’a jamais autant parlé de bande dessinée à Bordeaux depuis que le festival existe. On n’a jamais eu autant d’articles dans la presse.

 
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.
Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Et il y a également l’association 9-33 qui mène d’autres projets à l’année. On porte des projets sur le territoire avec des programmes d’éducation artistique et culturelle. Par exemple, on amène des mallettes dans des lycées, contenant une palette d’ouvrages réalisés par des auteurs aquitains. Puis on leur fait rencontrer des métiers liés à la bande dessinée, tels que des scénaristes, des coloristes, des auteurs, etc. J’essaie de leur faire rencontrer des personnes qui vivent à côté de chez eux, pour qu’ils se rendent compte que ce n’est pas si éloigné d’eux. On pense souvent à tort que la bande dessinée est lue par les jeunes alors que pas du tout. Il y a beaucoup de jeunes qui ne lisent pas de bande dessinée pensant que c’est pour les enfants. Pour eux, la bande dessinée c’est Titeuf et Bécassine. Ils ne connaissent pas la bande dessinée adulte. Alors, on leur fait découvrir les bandes dessinées d’aujourd’hui, on essaie de leur donner les clés de compréhension. On est aussi sollicités par des profs et des instits pour de courtes interventions en classe dans des collèges et des écoles. Et puis, on mène aussi un soutien à la création auprès des auteurs de bande dessinée. Ils ne sont pas dans une situation facile aujourd’hui et ça se dégrade de plus en plus. On essaie de les soutenir pour les alléger financièrement et leur permettre d’être dans de très bonnes conditions pour travailler. Au quotidien et dans tout ce que j’entreprends, il faut que les choses aient du sens, il faut que ça me raconte quelque chose.

Éric Audebert, Directeur Artistique à Bordeaux.

Une anecdote à nous raconter ?

«J’ai eu la chance avec tout ça de rencontrer Chaland après sa mort. C’était une expérience incroyable.»

Un jour, lorsque je travaillais à Bédélire, il y a un mec qui est venu avec des originaux de Chaland. Je connaissais assez bien Chaland pour savoir qu’il ne donnait pas ses originaux. Il faisait quelques échanges avec ses copains mais il gardait vraiment tout. Il voulait les vendre. Je trouvais ça très étonnant que ce mec ait ça dans ses mains. Je lui ai donc raconté qu’on allait les faire évaluer et expertiser à Paris. Dans ma tête, je me disais que j’allais mener une enquête pour savoir d’où venaient ces dessins et trouver l’histoire de ces originaux.

Et puis il y avait un gamin, Marius, qui venait lire des bandes dessinées régulièrement à la librairie. Ses parents avaient toujours l’habitude de s’installer en terrasse pour boire un café pendant ce temps. Un jour ce gamin est venu au comptoir, il y avait une sérigraphie de Chaland, il la regarde et me dit que c’est son oncle qui l’a fait. Je lui demande d’appeler ses parents pour que je les rencontre et ils reviennent tous ensemble. Il s’avérait que le papa de Marius, Jérôme, était le cousin d’Yves Chaland. Je leur ai donné les originaux afin qu’ils puissent les montrer aux parents d’Yves et nous dire si c’était effectivement des dessins de lui. Il s’agissait bien des originaux de Chaland, mais ils ne savaient pas comment ce mec pouvait avoir eu ça en sa possession. Le mec en question est repassé à la librairie quelques semaines après pour réclamer les originaux, on lui a alors dit qu’ils étaient en la possession des parents d’Yves Chaland pour les faire expertiser, le mec est parti, on ne l’a plus jamais revu.

J’avais sympathisé avec les parents de Marius et avais dit à Jérôme, que j’aimerai bien monter une exposition sur Chaland, que ça me tiendrait à cœur. Il m’a dit de voir avec Isabelle, la veuve de Chaland, pour lui proposer le projet. Je l’ai appelé et elle était partante. Je suis allé à Paris, chez eux, pour choisir les planches qui seraient présentées dans l’exposition. Lorsque je suis arrivée devant l’immeuble où elle vivait, j’ai mis une heure à me décider à sonner et à monter. J’étais tremblotant. Puis je suis monté et me suis retrouvé dans l’appartement où vivaient Yves et sa famille. Isabelle était en pleine création et préparait un défilé. Elle m’a dit d’aller dans l’atelier d’Yves pour choisir les originaux et qu’on verrait la sélection ensemble en fin de la journée. Je me suis alors retrouvé dans l’atelier d’Yves Chaland à choisir des dessins originaux qu’il avait réalisés, assis dans son fauteuil, entouré de sa table lumineuse et de ses cartons à dessins dans toute la pièce. C’était incroyable. J’avais des étoiles dans les yeux. J’ai fait le choix des planches et elle était d’accord avec la sélection.

J’ai eu la chance avec tout ça de rencontrer Chaland après sa mort. C’était une expérience incroyable.

Un métier que tu aurais aimé faire ?

Un métier sans frontières (rires) ! J’aurais aimé travailler pour médecins sans frontières ou pour reporters sans frontières. J’aurais aimé avoir un métier qui aille vers les gens qui sont dans des situations compliquées et leur apporter une aide, un soutien.

Un coup de cœur artistique à nous faire découvrir ?

Benjamin Chagneau, un régisseur, scénographe de talent. C’est quelqu’un que je connaissais déjà depuis quelques années et avec qui je travaille maintenant. Il m’apporte une aide, un soutien, des idées. C’est lui qui nous a monté les structures sur le festival. Il m’amène à aller plus loin dans la scénographie du lieu, de la façon à rendre les choses réelles. Souvent j’arrive avec mon petit croquis et il prend le truc en main. Il nous a monté quelque chose de super, de très professionnel. Il ne se positionne pas comme un artiste, mais l’artistique est très présent chez lui et l’amène avec lui. C’est un super mec avec qui ça colle parfaitement !

Un morceau que tu écoutes en ce moment ?

J’aime beaucoup le hip pop ! Alors, je te dirais Action Bronson et son morceau When I Rise. J’adore danser et j’adore le hip pop. Pour moi la danse, c’est tellement beau, graphique. Ça m’émeut et me captive énormément, peu importe le style. J’admire beaucoup ces métiers-là.

Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?

Je dirais Sebastião Salgado, un photographe. J’adore son travail. Je ne connais pas l’homme, je ne sais même pas à quoi il ressemble, mais à chaque fois que j’ai vu ses expositions, ça m’a ému. Ses images sont très fortes. J’aimerai par 10point15, le découvrir un peu plus !

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