Peux-tu nous parler de ton métier et de ton univers en quelques mots ?
Je suis maître malletier d’art. Maître, car cela fait 20 ans que j’exerce ce métier. Malletier, parce que je réalise des malles sur-mesure. Art, parce que la création est permanente. Si je devais révéler mon métier en trois verbes, je dirais : imaginer, réaliser, transmettre.
J’imagine comment donner vie aux envies de mon client. J’imagine aussi comment donner vie à mes idées, j’en ai plein la tête ! Puis, je réalise la malle avec l’équipe. Ce moment de fabrication de l’oeuvre est important. La malle est un merveilleux contenant car elle peut tout accueillir, le tout petit comme le très grand. Nous avons emballé cannelés, bouteilles de vin, montres, lustres, souliers… C’est infini. Demain, et pour être très précis dans quelques jours, nous emballons un studio. Mon rêve prend forme !
L’idée de transmettre est également capitale dans notre métier car notre savoir-faire doit perdurer.
Si je devais illustrer mon métier en quelques mots, je tracerai le chemin de la malle, de sa création à sa livraison : imaginer, dessiner, découper, coller, habiller, aménager, peaufiner, emballer, livrer.
Pourrais-tu évoquer ton activité de malletier au travers des cinq sens ?
Tout d'abord l'odeur. Celle du bois, du cuir, mais avant tout celle de la colle, c'est certes moins glamour mais c'est la réalité de l'atelier. Ensuite vient le toucher : les échardes, ma fonction au sein de l'atelier étant davantage le travail du bois, je réalise les structures des malles. Pour le son, ce sera celui de la Robland, notre machine à bois. Pour le goût, je pense au bon goût, à ce souci permanent de l'esthétique. Enfin, la vue. Un moment magique. Celui de l'atelier en champ de bataille : traces de café, restes de clous, résidus de colle, bouts de cuir au sol... avec l'œuvre achevée, trônant au centre. Un moment précieux après tous ces gestes accomplis et ces heures passées à donner le meilleur de nous-mêmes.
Dans la réalisation d'une malle, on est vraiment dans une alchimie, voire plusieurs.
«Il y a l'alchimie artisan - artiste. Je suis autant artisan qu'artiste. Quand la main prolonge à ce point les idées, c'est magique.»
Je pourrais réaliser la malle sans faire un dessin détaillé parce que j'ai déjà le projet précis en tête. J'ai été frappé un jour par un menuisier réalisant tout à l'œil. Ce n'est pas encore mon cas, mais je m'en approche. Il y a aussi l'alchimie qui se crée par l'alliance de l'idée avec les matières (bois, cuir, toiles, colles) et les matériaux (crapauds, serrures, coins, équerres, clous, vis,...).
D’où te vient cette passion ?
J'ai eu une enfance à la Cosette. Je n'avais pas de jouets, alors je les fabriquais. Tout a commencé par ma passion pour les boîtes. Ma première réalisation était un coffret en carton avec des charnières. Une petite malle où je cachais mes trésors. Quelques années plus tard, je me suis retrouvé par hasard ou nécessité... dans une boîte... d'immobilier. L'immobilier, c'est un peu vendre des boîtes où les personnes vivent, non ? Puis, je me suis pris de passion pour les souliers... deux boîtes où on glisse nos pieds pour voyager. J'aimais ces objets, je les protégeais en leur concevant des abris... des boîtes. Je m'ennuyais profondément dans l'immobilier, alors je dessinais. J'ai des cahiers entiers remplis de croquis et de mots dessinant des projets de boîtes.
«Chaque personne a un don. Je tournais autour depuis tout petit. Je ne savais pas qu'il était là. Il se révélait de temps en temps.»
Un jour, j'ai eu le privilège de lui donner un visage et d'en vivre. Ce don, c'est ce geste des mains suivant le chemin des idées.
Quelle personne t'a le plus inspiré sur ton chemin ?
Mon père a vraiment été le déclencheur. Il m'a donné accès à ses outils et à ceux de l'école où il travaillait. Il était instituteur. Quand j'étais jeune, je réalisais des meubles. Je lui ai réalisé son bureau. Je me vois encore en train de taper sur les outils. Il était là devant moi. Il me regardait assis dans son fauteuil défoncé. Il ne disait rien. Son absence de mots et la présence de son regard voulaient tout dire. En 1997, il part. Je me jette à l'eau. Il m'avait laissé un peu d'argent. Cela m'a permis de quitter mon boulot dans l'immobilier pour réaliser mon rêve. Je me consacre alors un an pour donner vie à ma passion et permettre à mes idées de mûrir. En 1998, à 35 ans, je crée Ephtée (clin d'oeil à mes initiales). Aujourd'hui, nous sommes trois. A mes côtés, Volcie et Vincent. Volcie est artisan maroquinière et chef d'atelier. Nous travaillons ensemble depuis huit ans. Le mot "ensemble" a vraiment du sens : quand je commence un geste, Volcie le termine. Vincent est artisan maroquinier avec un sens aigu de la perfection.
Quelles sont tes sources d'inspiration artistique ?
La Gazette Drouot. C’est une revue hebdomadaire française très ancienne consacrée aux ventes aux enchères publiques et au marché de l’art. J’adore les vieilles gazettes, elles ont beaucoup nourri mes idées. Entre deux gazettes Drouot, il y a aussi Beaux-Arts magazine. La source d'inspiration la plus importante reste la curiosité. Comment cela a été fait ? Comment l'améliorer ? Je trouve les réponses dans le quotidien.
Quelles sont tes plus belles réalisations, passées, actuelles… et celles dont tu rêves ?
Ma plus belle réalisation est une malle bureau. La première "malle à complications" que j'ai réalisée. J'y ai passé des jours et des nuits. Elle est aujourd'hui au Musée du bagage près de Strasbourg. Je cherche avec espoir la personne qui me demandera de la refaire. Il y a eu aussi cette boîte prestige réalisée pour… une boîte de nuit réputée, le Byblos à Saint-Tropez. Un écrin accueillant une marque renommée de champagne, des verres Bacarat et une parure Van Cleef.
«Aujourd'hui, nous réalisons la malle de mes rêves : la malle studio. La malle est contenant et contenu.»
Dans le cas présent, on peut vivre dans cette malle car elle offre plusieurs fonctions avec un lit pour deux personnes, une table de travail, un dressing, une coiffeuse… Elle représente près de 1000 heures de travail. Pour nous, c’est un exercice, une malle concept montrant l’alliance de notre créativité et de notre savoir-faire. La malle à complications par excellence au sens où elle est complexe et complète.
Mon rêve ultime serait de faire ma propre malle : la malle cercueil. La boucle serait ainsi bouclée. Elle sera très simple. Les personnes présentes le jour de mon enterrement verront ce qui aura représenté une grande partie de ma vie.
Un autre rêve pour une malle ? Une malle susceptible d'enfermer l'univers de la nuit et tout ce qu'il représente, un peu à l'image du film de Stanley Kubrick "Eyes Wide Shut". Cela restera une malle fantasme.
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Celui que je fais aujourd'hui mais avec une formation d'ébéniste car je suis autodidacte. Le matériau m’a tout appris, nous avons cheminé ensemble. Les gestes sont simples quand les doigts suivent bien les idées.
Une anecdote à nous raconter ?
Une belle histoire plutôt. Un jour j'étais au fond du trou. La boîte allait mal (c'est le cas de le dire). Plus de travail, plus d'argent. C'était la fin. J'étais triste, car j'avais encore envie de réaliser de belles œuvres… mais les huissiers, le RSI et l'URSSAF ne partageaient pas mon point de vue. C'était un matin d'octobre, il faisait froid, très froid. Je n'avais pas allumé la lumière dans l'atelier. Le téléphone sonne. Je décroche. A l'autre bout : Rolls Royce. La maison nous commande une malle pique-nique chic. Pour nous artisans, c'était l'apothéose, car Rolls Royce représente l'artisanat d'art et le luxe par excellence. Cela nous a sauvé.
Un morceau que tu aimerais nous faire écouter ?
Mort à Venise. La Symphonie n°5 de Mahler… un pur bonheur pour moi.
Une personnalité artistique à nous recommander pour un portrait 10point15 ?
Pierre Monserant, le patineur. Ce n'est pas un pro du patinage… mais un magicien de la patine, amoureux de son métier. Un brillant artisan et artiste