Romainville, bruine fraîche. C’est au bout d’une allée isolée, dans un insoupçonnable havre de créativité et de calme, que Jean-Baptiste nous attend. Murs de vinyles, portraits de Johnny et autres collections d’objets oubliés, le créateur rock du label indépendant Born Bad Records vit et produit des artistes depuis 10 ans dans ce cabinet de curiosités. Rencontre avec un esthète radicalement libre.
Peux-tu nous parler de toi et de ton activité en quelques mots ?
J’ai créé un label qui s’appelle Born Bad Records, un label qui est plutôt rock, résolument indépendant et assez radical. Il existe depuis 2006-2007, je fête donc ses 10 ans cette année. Je n’ai pas toujours travaillé dans la musique. J’ai fait une formation de juriste ! En fac, j’étais un élève assez médiocre mais suffisamment malin pour passer d’une année à l’autre. Moralité, j’ai eu toute ma vie 10 sur 20, jusqu’à un bac +5, un DEA de droit. Je continuais cette filière mollement et je me suis retrouvé dans l’univers du travail au service juridique de France Loisirs. Ce que j’avais pas compris en 5 ans, je l’ai compris en quelques mois. C’était que j’aimais tout sauf ça dans ma vie !«J’avais cette espèce de poste prestigieux, mais qui ne me convenait pas du tout. J’espérais un truc un peu épique, entier…»Donc j’ai essayé de rebondir en me disant que j’allais aller vers ce que j’aimais, en l’occurrence la musique. Je suis rentré par la petite porte, stage photocopies. De fil en aiguille, je suis devenu directeur artistique chez EMI, un poste que j’avais longtemps convoité. Mais, une fois promu, il s’est révélé assez décevant. C’est toujours pareil quand tu as fantasmé quelque chose et que tu découvres une réalité qui est toute autre ! On était déjà sur un secteur en crise, à cause du téléchargement. Très vite tu te rends compte que tu es là pour signer des artistes, mais que ce n’est pas forcément toi qui a la clef, c’est davantage la direction financière. Ça fait naître une certaine amertume, une certaine frustration. J’avais cette espèce de poste prestigieux, mais qui ne me convenait pas du tout. J’espérais un truc un peu épique, entier… Donc je me suis fait virer, je suis parti avec un petit magot dont j’ai investi une partie dans un label pour ne pas rester sur cet aveu d’impuissance ou ce constat de semi échec. Pour aller au bout de l’idée de ce qu’est un label et un producteur.
Du coup, je me suis lancé avec un label de rock, ce qui était audacieux pour l’époque parce que c’était encore la musique électronique qui dominait. Ça faisait très longtemps qu’il n’y avait pas eu de label rock’n’roll un peu glamour en France ! Il fallait remonter aux années 80, à New Rose ou à Skydog par exemple. Sur le papier, c’était assez peu probable que ça fonctionne. Et puis à force de ténacité, de boulot, sans doute de discernement et d’intuition, j’ai réussi à installer le label. Il a grossi tant et si bien que je crois en toute modestie que c’est devenu un peu une référence, en tout cas sur cette niche musicale. J’ai cette satisfaction de faire ce que je veux, comme je veux, et de faire très peu de concessions. J’ai cette chance d’arriver à faire valoir des projets qui sont quand même assez difficiles, parce que je vais toujours vers des artistes un petit peu difficiles à défendre. C’est des gens comme ça qui m’intéressent, des gens qui essaient d’aller de l’avant ! Et j’ai cette chance que ça marche. Même si à l’heure actuelle le label a une certaine résonance publique, je n’ai pas vocation à devenir mainstream. Je suis un acteur de la contre-culture, je suis une force de contre-proposition, et c’est ça ma vocation. Je le fais sans aucune frustration. C’est pour ça qu’au bout de 10 ans, je continue à être seul pour faire le label. J’ai jamais eu de stagiaire, j’ai toujours fait les choses par moi-même. Je suis vraiment dans cette culture DIY où tu transcendes tes propres limites et où tu vas au bout de toi-même. Je ne sais pas si je suis heureux ou pas. Ce qui est sûr, c’est que je fais quelque chose en donnant le meilleur de moi-même.