Peux-tu nous parler de toi, de ton activité et de ton univers en quelques mots ?
Mon univers se situe entre le film Tron et l’univers de M.C. Escher.
Je ne suis pas monomaniaque mais la représentation de dimensions parallèles et la création d’objets 3D impossibles ont pour moi quelque chose d’obsessionnel. C’est mon activité professionnelle et artistique depuis plusieurs années : je réalise des expositions, des travaux commissionnés, des travaux collectifs et de nombreuses expérimentations nécessaires au développement de mon oeuvre.
Une part importante de mon travail se fait à l’étranger où je voyage pour réaliser des oeuvres in-situ. J’étais récemment à Moscou et au Maroc. J’ai un galeriste à Marrakech et un en Allemagne donc je m’y déplace souvent. Cette année, je vais aussi pas mal aller en Angleterre, en Italie…
J’ai d’abord pratiqué pendant quelques années un graffiti assez normé, entre murs et trains, à la bombe aérosol. C’est ce qui m’a ouvert les yeux sur pas mal de choses et plus particulièrement sur l’art de manière générale. Le graffiti m’a donné envie de voyager, de découvrir d’autres choses, d’expérimenter. Désormais, c’est un temps révolu pour moi, même si je conserve dans ma panoplie, le médium aérosol. L’intérêt de cette pratique pour moi résidait surtout dans les rencontres, les gens, les voyages et le processus de spontanéité par rapport à de grandes surfaces.
Depuis toujours, mais de manière grandissante, la relation entre artisanat et art numérique m’intéresse. Cet attrait m’a conduit à travailler dans de nouvelles disciplines comme la menuiserie, la marqueterie et plus récemment j’explore aussi le moulage avec du béton. J’aime travailler des supports minéraux comme le sable. Tous ces intérêts et supports s’entrechoquent dans ma production, j’essaie de naviguer à travers.
En quoi consiste ton activité ?
En ce moment, je travaille sur la notion d’artefact. J’aime me servir de machines pour produire une oeuvre qui ressemble à quelque chose qui a été fabriqué il y a très longtemps. Ou alors, créer de mes mains une oeuvre qui s’apparente au fruit de la production d’une machine.
Je prépare beaucoup d’esquisses sur ordinateur, qui sont ensuite éventuellement re-digitalisées, donc re-traduites, à travers des machines. Je me sers d’outils assistés par ordinateurs : machines de découpe numérique, plotters, graveurs laser…
De la même manière, j’essaie aussi de fabriquer mes propres outils, pour peindre ou pour réaliser des installations. Dernièrement j’ai fabriqué des râteaux qui servent normalement à faire des jardins secs Japonais. À l’origine, ces râteaux servent à évoquer les nuages et les vagues principalement sur du gravier. Je m’en suis servi pour faire des tracés sur une plage afin d’expérimenter quelque chose de plus minéral voire mécanique, avec un dialogue entre la plage et les vagues.
Le but à chaque projet est d’essayer de gravir un échelon. Pas par folie des grandeurs mais pour faire des choses de plus en plus grandes, de plus en plus imposantes.
En 2014, je cherchais un lieu pour m’exprimer et expérimenter. Des amis m’ont laissé carte blanche sur une maison qu’ils allaient démolir. J’y suis resté “40 jours”, seul, et je suis intervenu sur l’intérieur. 48 heures avant le vernissage, j’ai invité trois-quatre potes à faire les installations extérieures. Les visites se passaient sur rendez-vous car je voulais prendre le temps d’expliquer le projet à chacun. J’ai eu 2000 visiteurs.
J’ai eu envie de reproduire le projet à plus grande échelle et cette opportunité s’est présentée avec un programme immobilier qui comprenait le démantèlement de l’ancienne école Saint-Joseph, à Saint-Jean-de-Luz. Le projet se nomme “15 classes”, je l’ai réalisé avec Erwan Lameignère, qui publie Redux et Hotdogger.
En 3 semaines / 1 mois, nous avons préparé les lieux avec pré-peinture des pièces pour les artistes et leurs installations et ensuite les 14 autres artistes sont intervenus. Nous sommes restés ouverts 15 jours et avons eu 10 000 visiteurs.
Quelle est la personne qui t’a le plus marqué professionnellement ?
J’ai gravité dans pas mal de milieux artistiques, comme la mode, le design, la musique, et j’ai pu intervenir dans de nombreux pays différents. C’est cette exploration constante qui a façonné ma production et ma personnalité.
Cependant, il y a quelques années, j’ai rencontré les artistes du collectif AOC que j’ai intégré par la suite. Nous collaborons régulièrement et ils ont forcément influencé ma façon de voir mon travail. Je pourrais te citer au sein du collectif des artistes comme Remi/Rough, JayBo Monk, Carlos Mare qui m’inspirent et avec lesquels j’aime échanger.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Je reste beaucoup sous influence des peintres issus du mouvement futuriste ou encore de ceux du op art. Des artistes comme Vasarely, Théo Van Doesburg, Mondrian, Ellsworth Kelly, Soulages. Je pourrais t’en citer plein d’autres ! Ils partagent tous dans leurs domaines respectifs une vision d’intervention ou de réinterprétation de l’espace que ce soit par la couleur, les formes, les perspectives ou les jeux d’optiques.
«Bien prétentieux sera l’artiste qui prétendra avoir inventé un nouveau style ces dix dernières années»
Ces inspirations ont clairement dicté mes choix mais j’essaie de suivre ma propre route, d’amener mon truc. Toutefois, pour moi, en 2017, personne n’invente plus rien et tout n’est que réinterprétation de l’existant. Bien prétentieux sera l’artiste qui prétendra avoir inventé un nouveau style ces dix dernières années.
Les artistes que j’ai cité plus haut font partie de ceux qui ont inventé des choses, par des manifestes, des dogmes, des façons de définir leur travail et leurs process.
Quand des artistes issus du mouvement De Stijl comme Mondrian ou Van Doesburg disent qu’ils ne vont utiliser que des noirs, des gris, des blancs, des couleurs primaires : cela leur est propre. Si je dois m’imposer des règles, ou plutôt des choix esthétiques, ils correspondent davantage à une période de ma vie qu’à une référence précise. Je suis rarement dans les couleurs chaudes, tu verras principalement mes boulots en bleu, noir ou blanc.
Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?
Je travaille sur divers projets, notamment l’exploration plus en profondeur du sud ouest à travers des installations dans la nature.
Par ailleurs je déménage l’expo “The Grid” de chez Bleu Noir à Paris vers leur adresse à Biarritz. Elle y sera visible dans le courant du mois de février. C’est une série de travaux sur les textures et la matière dans lequel les machines réinterprètent une vision plus analogique que digitale.
Ce sont principalement des accumulations de grilles isométriques au feutre à encre sur des supports papier. À travers un procédé de digitalisation et de re-traçage par des machines, ces grilles ont été multipliées, déformées, réassemblées.
A cause du côté aléatoire du procédé, toutes ces grilles qui sont censées être parfaites, extrêmement numériques, en deviennent presque des reliques. L’usure du support ou des outils de traçage entraîne la création d’empreintes. On ne parvient plus à discerner le digital de l’analogique.
Un conseil à donner à quelqu’un qui souhaiterait se lancer dans cette activité ?
Ce serait extrêmement prétentieux mais : écouter, rester humble et essayer de faire ses propres choix, ses propres choses, sans reproduire quelque chose que l’on a vu et qui nous plait.
Une passion particulière ?
Je crois que je m’en suis trouvé une en venant habiter ici : le surf. J’ai commencé quand on a emménagé mais j’ai eu 2-3 accidents : chutes d’échelle, opérations des poignets à cause du boulot, etc. Je m’y suis vraiment mis cette année et j’essaie d’y aller le plus souvent possible. En tant que débutant, cela me plaît bien mais c’est chronophage comme activité. J’aime beaucoup le foot aussi mais au pays basque ce n’est pas un truc qui se pratique trop, ici on privilégie le rugby ! (rires)
Un artiste coup de coeur à nous faire découvrir ?
Larry Bell, un artiste américain de 77 ans qui travaille sur l’abstraction géométrique et le minimalisme. Il réalise des installations avec des verres trempés et teintés avec lesquels il recrée des volumes plus ou moins possibles.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute de la musique du matin au soir, en voiture, pour travailler, quand je fais du sport : tout le temps. Du jazz à la musique électronique, des vieux sons, du hip-hop, j’écoute de tout. Très peu de chanson française cela dit.
Si je devais citer un groupe pour moi ce serait Radiohead mais j’écoute aussi beaucoup Niels Frahm.
Quelle personnalité artistique nous recommanderais-tu de rencontrer pour un portrait 10point15 ?
Je vous suggérerais d’interviewer Jeykill de Bleu Noir, pour sa vision de la peinture, du tatouage et de la vie. C’est une personne que je suis content d’avoir rencontrée ici, avec qui je partage aussi la même passion pour le surf. Allez voir ce qu’il fait !