Peux-tu nous parler de toi, de tes activités, de ton univers en quelques mots ?
Depuis 2002, je travaille dans le théâtre et depuis la rentrée 2015, mon activité quasi exclusive est la mise en scène, la création, la production de pièces et d’ateliers.
Cela fait 20 ans que je suis dans l’univers du théâtre. Pour moi, il n’y a pas de frontières entre l’artistique, la production ou l’administration.
Je suis quelqu’un qui vient du plateau car j’ai découvert le théâtre sur scène en jouant lors d’ateliers au collège et au lycée. En clair, depuis que j’ai eu mon bac option théâtre j’ai toujours gardé un pied dans le théâtre. Étudiant, j’ai travaillé comme libraire pour quelques théâtres ou pour la librairie Le Coupe Papier consacrée aux arts du spectacle et qui a un point de vente à la Comédie Française.
J’ai ensuite travaillé sept ans pour la Comédie de Reims qui était dirigée à l’époque par Emmanuel Demarcy-Mota, metteur-en-scène et actuel directeur du Théâtre de la Ville de Paris. C’est un peu là que tout a commencé car c’était le lieu de tous les possibles. J’ai suivi des comédiens sur des ateliers, et petit à petit à prendre moi-même la direction d’ateliers ou de modules avec des enfants. Lorsque l’on a monté deux spectacles avec des étudiants de l’école de commerce de Reims, je me suis dit que j’avais vraiment envie de faire de la mise en scène. Et au fil du temps, j’ai décidé de créer ma Compagnie Very Cheap Production pour monter des productions et me consacrer à la création. Entre-temps, j’ai travaillé aux relations publiques du théâtre national de Bordeaux Aquitaine. L’état d’esprit de la compagnie est que les moyens importent peu, l’important est de faire. Dans une production, il y a environ 60 à 70 % du budget qui va sur les salaires. Étant attaché à l’idée que tout travail mérite salaire, je préfère privilégier l’humain au matériel.
Mon travail repose essentiellement sur le jeu.
D’où te vient cette passion pour le théâtre ?
Mon souvenir le plus lointain de la scène remonte à mon année de CP pendant laquelle l’instituteur (dont nous étions la toute première classe) a décidé de nous apprendre à lire en montant un spectacle de marionnettes. J’ai ensuite participé à de nombreux ateliers théâtre ou chorales dans les établissements ou les centres de loisirs parisiens que je fréquentais.
«Je me suis éclaté à monter sur scène et j’ai pris conscience que c’était drôle de pouvoir faire toutes les bêtises qu’on n’avait pas le droit de faire dans la vraie vie.»
En quatrième, notre professeure de français a monté un projet de théâtre que l’on a travaillé tout au long de l’année avec des comédiens. Je me suis éclaté à monter sur scène et j’ai pris conscience que c’était drôle de pouvoir faire toutes les bêtises qu’on n’avait pas le droit de faire dans la vraie vie.
Ensuite, au lycée, j’ai découvert la rigueur avec la Compagnie Millefontaines, créée par Emmanuel Demarcy-Mota, en charge de l’option théâtre. J’ai en effet touché du doigt ce qu’était le professionnalisme. Cela m’a plu de savoir que, par le travail, on pouvait arriver à quelque chose. C’était d’autant plus enthousiasmant que l’on faisait des représentations avec les vrais moyens d’une compagnie (pour les décors, la lumière…). Cela a été un vrai tournant. Puis, j’ai suivi le travail de cette compagnie tout en continuant à suivre des études de droit. J’allais en coulisses, posais des milliards de questions aux comédiens, aux auteurs que je croisais… Jusqu’à ce que le directeur me propose de le suivre à Reims en 2002.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ?
Paradoxalement, mon père. Il n’a rien à voir avec le monde du spectacle, pourtant, c’est la personne – avec ma mère – qui m’a le plus motivé à faire ce que je fais. Pendant des années, ils n’ont pas arrêté de me demander quand est-ce que j’allais trouver un vrai métier ! Et c’est en m’accrochant, en persévérant, que je leur ai montré que c’était une vraie activité professionnelle.
Le réalisateur américain Spike Lee m’a également beaucoup influencé car il fait parti de ceux qui ont démontré qu’un acteur noir pouvait monter sur scène et valait autant qu’un acteur blanc. Enfin, pour Emmanuel Demarcy-Mota, je ne parlerais pas d’influence mais de transmission. C’est quelqu’un auprès de qui j’ai énormément appris.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Les sports collectifs – que j’ai beaucoup pratiqué – dans leurs rapports au mouvement, au déplacement et à l’autre. Je pratique maintenant depuis plus de deux ans le Viet Vo Dạo, un art martial vietnamien qui m’amène à me questionner sur ma pratique théâtrale. Le tatami nourrit le plateau.
«Le hip-hop, tel que je l’ai vécu plus jeune, c’est la possibilité de faire tout et n’importe quoi.»
Mais surtout, j’ai grandi dans les années 90 dans un quartier populaire de Paris et la culture hip-hop m’a ouverte à de nombreuses choses. Le hip-hop, tel que je l’ai vécu plus jeune, c’est la possibilité de faire tout et n’importe quoi. Le hip-hop est ce qui m’a le plus influencé car il n’est pas limitatif. C’est ce qui m’a donné le goût de la lecture, du cinéma de Kim Chapiron à Malcom X, de la musique, de la peinture. Si on écoute un morceau de NTM, on remarque qu’il y a de la funk, si on s’intéresse à la funk, on s’aperçoit qu’il y a d’autres influences derrière…Comme le hip-hop, mes sources sont diverses et variées car il n’y a pas de limites. Je ne me mets pas de barrières, je peux tout mélanger si cela va dans le sens du jeu.
Une passion particulière ?
«Le théâtre est un endroit de résistance et de vie.»
La vie, parce que depuis l’âge de six ans, je suis régulièrement confronté à la mort, et j’ai même vu ma propre mort. Cela m’a donné encore plus le goût pour la vie. C’est une chance. Je suis heureux de voir grandir les enfants de mes potes qui me montrent que, malgré toutes les horreurs que l’on voit, que l’on entend, la vie est plus forte que tout.Et pour moi, la création est d’abord une pulsion de vie. C’est mettre sur un plateau quelque chose de vivant et qui donne envie aux spectateurs de sortir du théâtre et de vivre, d’être curieux et de se poser des questions. On arrête de vivre à partir du moment où l’on ne réfléchit plus, où l’on subit les choses, où l’on devient esclaves de la technologie. Le théâtre est un endroit de résistance et de vie.
J’ai la chance de travailler régulièrement avec des jeunes adultes, des lycéens qui ont devant eux un champ de possibilités. Cela me régénère en permanence car cela m’oblige à requestionner mes pratiques. Il faut vivre et être à 100 %, surtout dans le climat mortifère actuel. Oui il y a des personnes qui “s’amusent” à tirer à la kalachnikov dans Paris, mais ils ne nous auront pas. Il ne faut pas être dans un délire sécuritaire. On prend plus de risques en restant chez soi qu’en prenant le métro ou d’aller à une terrasse de café. Il y a plus de chances de mourir d’un accident domestique que d’un acte terroriste. Vivons ! La sécurité est une ineptie contraire à la vie qui est de prendre des risques, de pouvoir tomber, se relever. Ceux qui ne prennent pas de risques sont déjà six pieds sous terre.
Sur quoi travailles-tu en ce moment et quels sont tes projets à venir ?
Je travaille actuellement sur le spectacle Fara-Fara qui se joue depuis samedi au théâtre de Belleville jusqu’à ce soir. Ce spectacle est né d’une rencontre avec un jeune congolais, Christian Bena Toko, en France depuis peu, qui m’a demandé de le mettre en scène pour raconter son histoire et son pays. Il a écrit un premier texte que j’ai trouvé trop personnel. On s’est alors tourné vers Alice Carré pour réécrire le texte.
Je sais que ce n’est pas trop dans les mœurs du théâtre actuel mais j’ai du mal à me projeter dans une autre création, car j’ai besoin de vivre celle-ci à fond et d’aller jusqu’au bout. Je suis donc à la fois chargé de diffusion, attaché aux relations publiques, à la production, à la mise en scène de ce spectacle, pour le faire vivre et tourner la saison prochaine.
J’ai toutefois en prévsion, une pièce qui s’appelle Faire l’amour est une maladie mentale qui gaspille du temps et de l’énergie, de Fabrice Melquiot, dont j’ai déjà en tête la distribution.
Et j’ai le rêve un peu fou de m’attaquer à l’écriture d’un scénario que j’ai en tête, et qui deviendra un film d’arts martiaux. C’est une exclusivité pour 10point15 car personne n’est vraiment au courant de cette envie, mais je vais m’en donner les moyens.
J’ai également envie de remonter La Visite de la vieille dame de l’écrivain suisse Friedrich Dürrenmatt que j’ai déjà eu plaisir à monter avec des étudiants. Il faut beaucoup de monde pour cette pièce.Mon rêve est de faire des choses qu’on me dit impossibles à faire.
Un morceau que tu écoutes en boucle ?
En ce moment, je n’écoute rien ou plutôt le bruit du silence. Le silence est une belle musique. J’adore me lever très tôt le matin et me balader, particulièrement le dimanche matin, quand, paradoxalement, il n’y a pas de vie apparente, pas d’agitation et je peux alors écouter la ville vivre autrement. J’aime l’idée d’être en ville et de ne rien entendre.
Un lieu où tu aimes particulièrement aller ?
«Ce que j’adore dans ce quartier, c’est la diversité.»
Paris 13e. C’est mon refuge. Depuis que j’ai quitté Paris en 2002, à chaque fois que ça été difficile ou que j’ai eu besoin de prendre un nouvel élan, je suis retourné dans le 13e. Étant fils d’immigrés sénégalais, mes racines sont là où j’ai grandit. Je me sens parisien, je me sens français mais avant tout je me sens du 13e. C’est chez moi. L’endroit où je me sens particulièrement bien est aux pieds des tours du 13e, à la porte de Choisy, sur l’avenue d’Italie, sur la Butte-aux-Cailles, aux Frigos – un site de création et de production artistique encerclé malheureusement maintenant par le nouveau quartier autour de la Bibliothèque Nationale de France. Ce que j’adore dans ce quartier, c’est la diversité.
Une anecdote à nous raconter ?
Il y a cinq ans, une camarade de lycée avec qui je faisais du théâtre m’a appelé pour me demander de venir absolument la voir lors d’un prochain passage à Paris. Et avec son mari, ils m’ont demandé d’être le parrain de leur petit garçon… Cette personne est comme une sœur pour moi. Le théâtre crée, en ce qui me concerne, des liens indéfectibles avec des personnes avec qui tu vis des moments forts et importants. C’est le lien que j’ai avec les personnes avec qui j’ai travaillé ou que j’ai en atelier.
Quelle personnalité artistique que tu nous recommandes d’interviewer pour 10point15 ?
Deux personnes avec qui j’étais au lycée…
Elie Wajeman, qui a réalisé notamment deux longs métrages : Alyah, présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs en 2012 et Les Anarchistes présenté en ouverture à la Semaine de la Critique en 2014, réunissant Tahar Rahim et Adèle Exarchopoulos.
Mais aussi Elsa Flageul, romancière qui a publié quatre romans aux éditions Julliard.
Je pense également à Kacem Wapalek qui est un des meilleurs rappeurs d’aujourd’hui, que j’ai connu il y a un an grâce au groupe O’Styl dont Yacine Bayan – que vous avez déjà interviewé – est le guitariste.