Les apparences sont parfois trompeuses et Morgane Ortin le sait bien. Derrière une jeune fille pétillante résolument contemporaine se cache une grande passionnée de littérature et du patrimoine laissé par les amoureux de la lettre et de l’écriture. Éditrice en chef et chroniqueuse pour DesLettres, Morgane Ortin nous a accueillis au fond de la cour des petites écuries, dans son bureau aux allures de bibliothèque. Partons à la découverte de cette personnalité hors du commun. Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Peux-tu nous parler de toi, de ton univers et en quoi es-tu une personnalité créative ?

Wouah, quelle grande question ! Comment puis-je me qualifier moi-même de personnalité créative ?
Je travaille chez DesLettres depuis 3 ans maintenant. Peut-être que je suis une personne créative dans la mesure où je suis dans une réelle démarche qui tente de rendre accessible la littérature et le patrimoine littéraire à un maximum de personnes avec des outils d’aujourd’hui. Je pense que ce que je fais chez DesLettres c’est donner un écrin de l’époque à tout un patrimoine épistolaire qui est oublié et qui est un peu effacé des mémoires. C’est vrai que j’ai tendance à parler de patrimoine au sens large parce que finalement, dans l’épistolaire, il y a tellement de notions qui ressortent. C’est historique, c’est scientifique, ça peut tout être à la fois ! Tout le monde a écrit des lettres et surtout pour véhiculer de grandes idées.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

A la base donc, la création de DesLettres est partie d’un constat simple qui était de se dire que la correspondance était vraiment le parent pauvre de la littérature. Il était super délaissé que ce soit par les lecteurs, les universitaires, les critiques, les maisons d’édition, alors que mon équipe et moi, on y voyait un terrain hyper fertile et un bijou sans nom auquel il fallait redonner ses lettres de noblesse. Avec ce constat on s’est aussi rendus compte qu’on n’a jamais autant communiqué par écrit qu’à l’heure actuelle! Avec tous les tchats, les applications de rencontre, les SMS, etc. On se disait qu’avec cette hypertrophie de la communication écrite, à un moment, on allait revenir vers l’épistolaire, vers les beaux mots, vers le plaisir d’écrire. Je pense qu’on ne s’est pas trompés car à l’heure actuelle, il y a vraiment un retour de l’épistolaire et un regain de l’écriture, même si ça passe par les sextos par exemple (rires).
Rapidement, on a souhaité créer un site. Tout le monde nous disait que c’était peine perdue parce qu’une maison d’édition sur une telle niche ce serait un enfer et qu’on allait tout simplement parler à trois universitaires parisiens. Et en fait, pas du tout, ça a eu un effet qui nous a même dépassés nous-mêmes ! On était très, très contents !

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

On a un site et deux applications. Une application qui est la duplication simple du site et qui promet chaque jour de recevoir une lettre et une autre application qui s’appelle « Lettres Capitales » sur laquelle on a beaucoup, beaucoup travaillé cette année et dont on est très fiers du résultat. C’est un guide touristique de Paris qui utilise la correspondance. On propose deux façons de naviguer : soit tu te promènes au hasard et tu laisses l’application ouverte et on te dit « ici c’était l’appartement de Boris Vian et il s’est passé si… » Et tu as la lettre ! Ou alors, on te propose carrément des parcours pour vivre « l’Avant-garde à Clichy » ou « les Années folles à Montparnasse », et tout est ponctué de lettres. C’est vraiment les petits secrets de Paris, les petites anecdotes marrantes.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Aujourd’hui, mon combat, la chose que je crée, c’est vraiment de rendre tout ce patrimoine disponible pour tous et surtout de donner envie aux gens de le découvrir de nouveau, que ça soit des jeunes, des adolescents, des personnes plus âgées. C’est un vrai combat que de démocratiser ça pour le grand nombre, pour que ça ne reste pas seulement élitiste ou sur les étagères d’une bibliothèque. En réalité, on se rend compte, en dépoussiérant tout ça, que ça n’a pas à rester là et qu’au contraire il faut l’emmener partout, dans les rues, sur le web, dans la tête des gens, sur les téléphones, partout, partout !

Parle nous de ton parcours, d’où vient cette passion pour la littérature ?

Déjà tout petite, dès que j’ai su écrire et lire, je lisais tout ce qui me passait sous les yeux, vraiment tout ! Toutes les affiches publicitaires, les panneaux dans la voiture, c’était un véritable enfer pour ma mère. Petit à petit, je pense que mon premier vrai coup de cœur littéraire a été avec Marguerite Duras, « Le marin de Gibraltar ». C’est ma tante qui m’en avait parlé pendant que j’étudiais cette auteure pour le Bac de Première et là, ça a vraiment été un déclic, j’ai lu tout ce qu’elle a écrit et j’ai fait mon mémoire sur elle. Je pense que ça a été mon premier vrai coup de cœur. Je pense aussi que la littérature est très vite devenue quelque chose dans lequel j’ai su me réfugier, dans lequel j’ai pu trouver plein de réponses à plein de choses, des réponses peut-être moins évidentes à trouver par les autres arts.

En terme de parcours, j’ai fini mes études et j’ai fait une prépa hypokhâgne à Montpellier que j’ai détestée, parce que c’était hyper élitiste, et justement, la classe préparatoire, c’est un peu ce contre quoi je combats aujourd’hui. Toujours est-il que ça m’a donné plein d’outils très cool, et que j’ai rencontré des gens incroyables qui m’ont ouvert l’esprit, notamment sur la poésie et la correspondance.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Ensuite, je suis venue à Paris pour étudier la littérature et la communication à la Sorbonne puis j’ai fait une école qui s’appelle l’IESA («Institut Supérieur des Arts») sur le management, les projets culturels.
Après plusieurs stages, dont un au service communication du musée d’Art moderne de la ville de Paris, j’ai trouvé DesLettres qui cherchait un stagiaire. J’ai eu un vrai coup de cœur pour cette maison d’édition qui était super, super petite et tout en bordel au début ! J’ai donc commencé par un stage et tout s’est goupillé, j’ai été embauchée puis j’ai récupéré la direction éditoriale il y a un an.

Quelle est la personne qui a le plus marqué ton parcours ?

C’est une question à laquelle j’ai beaucoup de mal à répondre, c’est drôle. Alors certainement Marguerite Duras. Je ne sais pas si elle a beaucoup influencé mon parcours professionnel, quoique… En fait si ! Je réfléchis en parlant et oui, je vais vous parler de Marguerite Duras et vous expliquer pourquoi. Elle a influencé mon parcours par sa hargne, sa détermination, par sa capacité à foncer sans jamais renoncer. C’est une philosophie de vie dont j’ai certainement hérité dans mon travail. J’aime y aller même si je n’ai pas assez réfléchi, même si tout n’est pas assez élaboré. Je pense que c’est quelque chose qu’elle aussi faisait beaucoup. Est-ce que c’est un mythe de dire qu’elle ne relisait jamais ses textes ? Je pense, mais il y a quelque chose de cet ordre-là. Professionnellement, j’essaie aussi de m’impliquer dans des projets pour lesquels je défends vraiment des idées et je pense que ça aussi ça vient peut-être d’elle.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.
Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Mes amis m’inspirent, humainement, artistiquement, et surtout de par leur frénésie. L’homme qui partage ma vie également, Marc Resplandy, m’inspire artistiquement car je trouve admirable sa détermination dans tout ce qu’il fait, sa démarche est toujours stimulante autant dans la direction artistique de la Machine du Moulin Rouge que dans les événements de 75021.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Après dans un rapport plus direct à l’art, mes sources d’inspiration je vais souvent les puiser chez les grandes femmes. Chez Frida Kahlo que j’adore, pour sa sensibilité, son intelligence ou encore chez Marina Tsvetaïeva, pour sa poésie sans bornes. D’ailleurs, je suis aussi très inspirée par la poésie, René Char, qui me rend complètement dingue ainsi que chez des poètes qui sont moins connus. En ce moment, je suis complètement subjuguée par Ghérasim Luca. C’est un écrivain d’origine roumaine qui compose des poèmes vraiment magnifiques, le travail qu’il fait sur la langue est super avant-gardiste et, fait rare en littérature, les traductions sont très bonnes. Mais wouah ! C’est une des choses qui me scotche le plus aujourd’hui et c’est à découvrir car pour moi, il n’est pas assez reconnu pour son travail. Je vous recommande plus particulièrement son ouvrage « Héros-Limite ». Malheureusement, c’est souvent des morts, je n’ai pas trop de modèles vivants, c’est un peu mon problème… Moi je vis beaucoup dans le passé (rires), la folle !

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?

Je travaille sur DesLettres, tout le temps.
J’ai pour projet de monter un nouveau concept lié à DesLettres et qui serait un service d’écrivain personnalisé. J’aimerais écrire des lettres pour les gens, pour les aider, pour leur redonner les mots, la liberté de régler leurs problèmes et leurs situations.

«Je m’oriente souvent vers des projets qui sont des projets de rêveurs.»

Sinon, je suis impliquée depuis quelques mois dans un projet complètement indépendant qui s’appelle «Le Salon des Dames» et qui a été fondé par deux femmes, Céline et Patricia. Elles font plein de choses merveilleuses, sont impliquées dans pleins de choses différentes. Aujourd’hui, elles essaient de créer, enfin, de remettre au goût du jour, les salons littéraires et féminins de discussion du 19ème siècle mais avec des femmes d’aujourd’hui qu’elles trouvent « influençeuses » chacune dans leur domaine. Chaque femme, chaque « Dame », faisant partie du « Salon des Dames » a des particularités différentes et chaque mois, on se regroupe pour « brainstormer » et réfléchir ensemble au cours de discussions qui sont très longues et qui durent à peu près 7h. Les sujets ont trait au féminin et à tout ce que ça requiert dans le but, peut-être, de créer un nouveau mouvement qui serait post-féministe, qui irait plus loin que les limites que nous pouvons voir aujourd’hui au féminisme.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.
Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur parce que je ne suis pas forcément dans une lutte pour le féminin mais je suis passionnée par la féminité. Je pense que c’est un mouvement dans lequel je me retrouve parce que les armes sont la discussion et la réflexion, la pensée, c’est quelque chose qui m’est cher.

Je m’oriente souvent vers des projets qui sont des projets de rêveurs.

Un métier que tu aurais aimé faire ?

Vous allez rire mais fleuriste ! Tout simplement car j’adore les fleurs ! J’ai eu cette révélation en passant devant une fleuriste à Pigalle qui avait une boutique magnifique, toutes les fleurs étaient classées par couleurs pastels et je me suis dit que c’était tellement rare de si jolies boutiques que j’aimerais bien faire des bouquets de fleurs avec des lettres qui y soient liées selon les occasions. Oui, je crois que ça me parlerait ça !

Un morceau que tu écoutes en boucle ?

En ce moment, ce que j’écoute en boucle c’est le nouvel album de Frank Ocean et quelques morceaux du nouvel album de La Femme. Je puise mes inspirations dans plein de scènes différentes, mais si je devais ici citer trois tracks, ce serait L’amour à la plage de Niagara, Violence and divinity de Silent Servant et Broken English Club et Since I Found my baby de The Metros.

Une passion particulière ?

J’en ai tellement ! Mais je dirais m’habiller, j’adore ça ! Ca ne va pas tellement plus loin, c’est très superficiel mais j’adore aller chiner partout, composer ma propre mode, me renouveler à chaque fois, cela m’amuse beaucoup ! Je voue également une passion à mes amis, à la frénésie de la jeunesse, et à la nuit.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.
Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Un lieu où tu aimes te retrouver ?

Sans réfléchir je répondrais «La station – Gare des mines». C’est un lieu planté à la lisière du périphérique que j’ai découvert récemment et que j’aime beaucoup. C’est à la Porte d’Aubervilliers, un laboratoire convivial et festif dans lequel des fêtes consacrées aux scènes musicales émergentes sont organisées et qui est résolument cool.

Il y a un très beau coucher de soleil et quand la nuit tombe, les lumières sont très belles. Je crois qu’il se passe quelque chose de magique là-bas quand on fait la fête.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

Quelle personnalité nous recommanderais-tu de rencontrer pour 10point15 ?

Je vous recommande vivement de rencontrer DJ AZF! C’est une amie qui joue de la musique techno directe et brutale et qui est hyper active, elle joue beaucoup en France et en Europe. Je pense que c’est elle que je vous recommanderais simplement parce qu’elle est passionnante et qu’elle a une intelligence et une sensibilité qui me bouleversent particulièrement. Pour les parisiens, elle a une résidence à la Java et sinon vous pouvez l’écouter dans son émission “AZF & Friends” sur Rinse où elle invite la crême de l’underground français.

Morgane Ortin, Chroniqueuse et Éditrice à Paris.

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