Peux-tu te présenter, nous parler de toi et de ta formation ?
J’ai 56 ans, et au début je n’étais pas très fort à l’école, donc j’ai fait un CAP de dessinateur en construction mécanique, qui me plaisait à moitié. En parallèle, j’ai fait des études dans un conservatoire national de région, à Aubervilliers – la Courneuve, à côté de Paris. J’y ai suivi 10 ans d’études et mon but c’était d’entrer au conservatoire de Paris, pour faire une carrière de musicien d’orchestre. Je jouais de la flûte traversière. J’ai passé trois fois le concours d’entrée ; il y avait 50-60 candidats pour une dizaine de places et j’ai pas pu y entrer. A l’époque on a réfléchi ensemble avec mes parents à ce que je souhaitais faire à la place : le dessin me plaisait à moitié, mais j’aimais bien la partie technique, la partie machine-outil. Donc pour allier la partie technique à la partie musique, j’ai postulé chez les fabricants d’instruments à vent, chez Selmer notamment, chez qui je suis rentré comme apprenti. J’étais finisseur de saxophones : finir, ça veut dire avoir toutes les pièces fabriquées et les monter.
Je suis ensuite rentré chez Buffet Crampon, qui était dans la même rue. J’ai considéré que pour pouvoir ensuite bien réparer il fallait que je fabrique, mais je ne voulais pas faire de travail d’usine, alors je ne suis pas resté. Là-bas c’est vraiment du travail d’usine : chaque poste est bien défini, avec ses tâches précises et répétitives. Chez Buffet il devait y avoir pas loin de 300 ouvriers. Moi je voulais avoir le contact avec le musicien, ce rapport de musicien à technicien. Cette expérience m’a permis de passer par tous les instruments : flûtes, tubas, hautbois, bassons, etc. Il m’a fallu une dizaine d’années d’apprentissage pour bien connaître le métier, car à l’époque il n’y avait pas de formation pour ça.
Ensuite j’ai été travailleur en chambre à Paris : je recevais des bois de fabricants et des clés, je les montais à la maison, et j’étais payé une somme fixe par instrument monté. J’ai commencé comme ça!
Mon épouse, enseignante, a été mutée dans la région de Bordeaux, alors j’ai fait une petite étude de marché et je l’ai suivie. J’ai ouvert ma boutique en 1985.
Quel est ton métier aujourd’hui ?
«Je suis réparateur d’instruments à vent, cuivres et bois, ce qui est rare.»
À la chambre des métiers on m’a mis dans une petite case qu’on connaît pas trop… Mais j’ai été un des premiers maîtres artisans dans mon métier : je suis réparateur d’instruments à vent, cuivres et bois. Ce qui est rare, car en général dans les ateliers il y a une personne spécialisée dans les cuivres, et une autre dans les bois, car c’est très long à apprendre : il faut connaître le mécanisme de chaque instrument, leurs spécificités de réglage, les matériaux, etc. Même si les matériaux restent toujours un peu les mêmes : l’argent, le laiton, l’or, le maillechort (un alliage d’aspect argenté). Puis le bois, l’ébène, les bois précieux comme le bois de rose, le bois des îles, etc.
J’avais 18 ans quand je suis rentré chez Selmer, donc j’ai toujours fait ça. Il y a des moments qui sont un peu rébarbatifs, mais il y a d’autres moments où j’ai de belles émotions sur certains instruments. Notamment des Adolphe Sax, l’inventeur du saxophone : c’est un peu émouvant quand vous avez dans les mains un objet issu du créateur des saxophones! J’ai fait de belles rencontres de musiciens aussi. C’est un métier qui amène certaines joies, mais qui reste assez solitaire. Je ne prends pas d’apprenti pour l’instant, mais j’aimerais l’envisager plus tard. Ensuite j’ai de tout comme clients : des gens qui font de la banda, des écoles de musique, le conservatoire, des musiciens d’orchestre, etc. Je vois aussi tous les styles de musique : des gens qui font du rock, du classique, du rythme and blues.
Je fais aussi un peu de vente d’occasion : les gens qui veulent passer par l’atelier me déposent leur instrument, un peu comme dans un dépôt vente. J’établis l’état de l’instrument, s’il y a des réparations à faire je les fais, mais je ne prends rien sur la vente. Les gens s’arrangent entre eux pour me payer les réparations, vendeur ou acheteur.
J’ai différents volets à mon métier : j’ai la réparation pure après des chutes, par exemple, j’ai la vente, mais j’ai aussi la partie instruments anciens et restauration, pour des collectionneurs et des musées. Restauration, ça veut dire faire dans le même esprit que cela a été fait il y a 60, ou 100 ans.
«On est aussi considérés, en France, comme les meilleurs instrumentistes au monde en matière d’instruments à vent.»
En France, on a une longue et belle tradition d’instruments à vent.
Le berceau des instruments à vent c’est dans l’Eure, à Ivry la Bataille. Comme son nom l’indique, il y a eu une bataille, pendant la guerre de 100 ans, à la fin de laquelle les anglais ont laissé des instruments à vent sur le champ de bataille. Les habitants du coin les ont ramassés, étudiés, et ont commencé à en fabriquer! Depuis de longues années, les français sont les leaders mondiaux des instruments à vent, du moins en ce qui concerne les hautbois, les saxophones, les clarinettes et certains bassons.
On est aussi considérés, en France, comme les meilleurs instrumentistes au monde en matière d’instruments à vent. Tous les grands orchestres mondiaux ont des français au pupitre.
La fabrication des instruments à vent a donc suivi : il y avait de bons musiciens sur place pour acheter.
Est-ce qu’il y a une personne qui t’a marqué professionnellement ?
Au tout départ mon prof de flûte évidemment. Et après des gens qui m’ont formé dans mon métier, qui connaissaient parfaitement leur métier et qui ont su me transmettre ce qu’ils savaient, ce qui est énorme! J’aimerais ensuite transmettre, actuellement je n’ai pas la possibilité financière de le faire. Avoir un apprenti c’est pas pour le voir partir un ou deux ans après, c’est pour le garder, forcément! Je ne vais pas donner mon savoir à une personne que je ne reverrai plus.
Quels sont tes projets en cours ?
Je suis diffuseur d’une invention qui s’appelle le LEFREQUE. C’est un petit accessoire acoustique composé deux deux plaques de métal, qui se placent l’une sur l’autre, en général au début de l’instrument, là où se forme le son. Pour un saxophone, on va les placer par exemple entre le bocal et le bec, pour une clarinette entre le bec où se fabrique le son et le barillet, ou entre le barillet et le corps du haut, en fonction du son recherché.
Généralement, les LEFREQUE arrondissent le son de l’instrument, amplifient le rayonnement du son et la sensation d’une plus grande richesse acoustique, ce qui donne plus de confort au musicien.
Pour trouver le bon LEFREQUE, on joue sur les métaux, et les longueurs de plaque. Il faut que je passe à peu près une heure, une heure trente par musicien pour trouver la bonne plaque qui lui va bien. En général, quand on a choisi ses plaques on n’en change plus.
Mais attention : c’est le métal qui choisit le musicien, pas le musicien qui choisit sa plaque !
Les plaques classiques mesurent entre 33 et 41mm. Il y a des plaques en or, entre 18 et 24 carats, qui coûtent autour de 3 000€. Les petites plaques en laiton coûtent 50€. C’est un matériel destiné aux professionnels, qui connaissent bien leur instrument, ou qui sont encore en recherche de son, en sortie de conservatoire par exemple.
C’est assez récent, c’est sorti il y a deux ans. Personnellement, je trouve ça intéressant : ça me fait sortir de l’atelier, rencontrer des musiciens, et surtout leur apporter une innovation qui va leur rendre service, en améliorant les caractéristiques de leur instrument.
Après je suis sur ma lancée, je fais toujours de la réparation, de la restauration. Par la suite, si je peux, j’aimerais pouvoir former quelqu’un pour reprendre l’atelier, que tout ça ne se vende pas à la ferraille. Puisque mes enfants ne veulent pas prendre la suite!
Est-ce que je connais déjà la réponse à ma prochaine question : quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Non je ne crois pas : j’aurais adoré être prof de gym ! En dehors de mon métier, je suis Président d’un club de judo. J’adore le sport j’en ai toujours fait, notamment du rugby. C’est un métier qui m’aurait bien plu!
Y a-t-il un lieu dans lequel tu aimes te rendre ?
Revenir à Paris, pour le tourisme ! C’est le lieu de mon enfance, c’est une ville que je connais bien, c’est toujours un plaisir. C’est une ville qui a énormément changé en 20-30 ans, qui a beaucoup évoluée. Une très belle ville.
Un artiste coup de coeur ?
Ibrahim Maalouf. Je l’ai vu l’an dernier, et j’ai eu la chance de le rencontrer. Humainement, c’est un gars vraiment bien. Il a été professeur dans le conservatoire où j’ai étudié ; pas à la même époque évidemment !
Il connaît très bien la partie classique, c’est assez rare quelqu’un qui soit aussi bon dans le jazz que dans le classique : il joue aussi bien le concerto d’Haydn qu’une de ses créations. Il y a peut-être aussi Wynton Marsalis !
Un morceau de musique que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute Kékélé. C’est de la rumba congolaise, achetée chez Total Heaven (disquaire indépendant à Bordeaux), il me l’a fait venir exprès. Pour danser, c’est vraiment chouette.
Sinon pour travailler j’écoute France Inter, ça change plus : les infos, la musique, de belles émissions.
As-tu une anecdote à nous raconter ?
Oh oui, j’en ai beaucoup! Mais il y a un truc extraordinaire qui m’est arrivé une fois.Un flûtiste (je ne dirai pas son nom!) m’amène une fois un piccolo, qui est une petite flûte. Il me dit que sur la main droite le son ne va pas du tout, comme s’il était bouché. Il est inquiet, car le son a changé tout d’un coup, et qu’il a un concert deux jours plus tard. Alors je regarde, tout semble bien fonctionner. Je le démonte, et là, sur un trou de l’instrument, je vois une petite bille rouge. Quelque chose de collé à l’intérieur du bois. Je regarde à la loupe, et je fais tomber cette boule rouge avec une petite aiguille. C’était une boule de Babybel !
Je remonte tout, j’essaie, et impeccable : c’est ça qui coinçait !
En fait les musiciens avaient mangé du Babybel, et ils m’ont raconté qu’ils faisaient des petites boules avec lesquelles ils arrosaient les violonistes, il se servaient de leurs flûtes comme des sarbacanes. Mais là la boule est restée dans le piccolo! (rires)
As-tu une personnalité à nous recommander pour un prochain portrait ?
Mon filleul, Stéphane Carricondo. Depuis très longtemps, il a créé un collectif avec trois copains de collège ; maintenant ils ont 40-45 ans. C’est le collectif qui fait référence au niveau street art en France : “Neuvième concept”. Ils ont été précurseurs, ils sont très bons! Ils travaillent pour Heineken en ce moment, ce sont eux qui font le design des bouteilles de Despe. C’est aussi le seul collectif qui a été exposé à Beaubourg, avec leur concept “Face à face”. Ils ont aussi fait une expo qu’on visitait en skate…
Chacun des membres du collectif peint de son côté, et Stéphane vient de faire une expo à Biarritz.