Est-ce que tu peux nous parler de toi, de ton parcours et de ton univers artistique?
J’ai fait une école de photo à Toulouse, l’ETPA, dont je suis sortie il y a un an et demi. En sortant, j’ai eu le Grand prix ETPA qui est le concours de fin d’année, et qui m’a permis d’exposer au Festival Manifesto deux séries que j’avais produites pendant l’année.
«(...) grâce au mouvement, je photographie des choses que je ne pourrai jamais plus photographier (...)»
Suite à cela, je me suis mise à mon compte en tant que photographe indépendante, et j’ai commencé à travailler dans ce cadre. Mais j’ai surtout pu participer à une résidence de 6 semaines, qui s’appelle 1plus2, et qui vient juste d’être créée cette année à Toulouse par Philippe Guionie. J’ai créé une nouvelle série de photos, pendant ces 6 semaines, qui sont exposées en ce moment aux Abattoirs, à Toulouse. Il y a également un livre qui vient de paraître, aux éditions Filigranes.
Si je devais définir mon univers, je dirais qu’il est en mouvement! Je travaille essentiellement en mouvement, en couleurs ou en noir et blanc, mais je suis très atteinte par la couleur. Je travaille en mouvement, autant moi que mon sujet. Ce que j’apprécie le plus en photographie, c’est l’inaccessible. Je ne sais pas comment le dire plus clairement : grâce au mouvement, je photographie des choses que je ne pourrai jamais plus photographier, il y a donc toujours une petite part de mystère. Moi je calcule mes photos, mais plus je découvre le résultat final et plus c’est fort pour moi. Je ne sais jamais, au moment de photographier, ce que ça va donner. Il y a vraiment une part de hasard qui est hyper importante. Je crois que c’est ça qui me passionne vraiment.
Tu as toujours fait de la photo ?
J’ai eu mon premier appareil à l’âge de 15 ans, et j’ai fait énormément de photos pendant ma période collège-lycée. J’organisais des petits shootings avec des filles que je trouvais dans la rue. Dès le début ça a été assez intense! Après le Bac, je me suis laissé un an pour réfléchir et décider si je voulais en faire mon métier ou pas. Au bout de 6 mois de fac, je me suis posé les bonnes questions et j’ai décidé d’arrêter. J’ai travaillé un peu en attendant la rentrée suivante, où je suis entrée à l’ETPA. Je n’ai que 23 ans, donc finalement ça ne fait pas si longtemps que je fais de la photo, même si sur toute ma vie c’est déjà pas mal! Mais il y a beaucoup de photographes qui ont commencé plus jeunes ; moi dans ma famille personne ne fait de photo, on ne m’a pas donné d’appareil très jeune pour tester. Il y a eu un côté un peu spontané : on m’a offert un appareil photo un jour, c’était mon premier amour d’ailleurs qui m’en a offert un (rires), et dès le début j’ai pris le temps de faire tout ce que je voulais faire avec. Mais là aussi, finalement, ça a surtout été une question de hasard !
Y a-t-il une personne qui t’a particulièrement marquée ou influencée professionnellement ?
Je pense que tout le monde m’influence! On rencontre tellement de monde en photographie… Chaque rencontre que je fais est super importante, très intense, même si ça peut être des rencontres très courtes. C’est un milieu où l’on rencontre des gens hyper intéressants tout le temps, alors j’ai du mal à trouver un nom qui ressorte vraiment.
Mais il y a mon professeur de 3ème année, Pierre Barbot, qui a été une personne très importante pour moi, c’est un peu notre “père photographique” à tous, dans le sens où c’est la personne qui nous suit pendant cette année qui est très intense, et qui nous lâche ensuite un peu dans la nature… C’est notre passerelle entre l’école et notre vie de photographe indépendant.
Quelles sont tes inspirations artistiques?
Elles sont assez variées. J’ai peut-être un style de photographie qui a un univers “mode”, mais je ne considère pas que ce soit de la mode non plus. Du coup, en tant que photographe mode, je vais me rapprocher de gens comme Sarah Moon, Paolo Roversi, etc. Ce que j’aime vraiment, c’est leur technique et la matière de leurs images. Sinon, je sais qu’il y a une expo qui m’avait beaucoup marquée, les premières années où j’allais à Arles : c’est celle de Josef Koudelka, sur les gitans. Loin de la mode!
En fait je ne me cantonne pas à un univers en particulier, ce sont des bribes qui m’inspirent. Ça peut être de la street photo, des portraits… C’est assez vaste, un gros mélange! J’aime beaucoup Denis Dailleux, Bruno Boudjelal.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Je viens de terminer un gros projet, une série qui s’appelle “Turbulences”, qui se compose de deux parties : un travail au Polaroïd le jour, et un travail au numérique le soir. C’est le résultat de la résidence dont je parlais tout à l’heure, pendant laquelle nous étions trois photographes : Diana Lui, qui était le “1”, le photographe de renom, et Léa Patrix et moi qui étions le “2”, les jeunes photographes. Ce qui était un peu compliqué, c’était de faire une résidence dans la ville dans laquelle j’habite. C’est difficile de réadapter son regard, car ça fait 7 ans que je suis à Toulouse et j’y ai mes habitudes. Au bout d’un moment, le regard se lisse quand on vit au même endroit. J’ai dû redécouvrir ma ville. Donc le jour j’ai vraiment vagabondé, avec mon Polaroïd, sans itinéraire. Je laissais mes pieds marcher tout seuls, et grâce à ça j’ai pu découvrir des endroits que je ne connaissais vraiment pas, et m’intéresser à des points précis.
Par exemple, si j’avais fait la place du Capitole (mais ce n’est pas le cas!), j’aurais pu m’intéresser seulement à une porte ou à un banc. Le soir, je suis revenue sur ces endroits que j’avais sélectionnés, avec des jeunes filles que j’avais abordées dans la rue – j’ai fait beaucoup de casting de rue – et avec mon amie Mélodie Giraud, on a imaginé ensemble de grands costumes qu’elle a créés à la main. Je parle vraiment de costumes car ce sont des pièces immenses avec de grandes plumes! On en a affublé les jeunes filles, et j’ai ensuite réalisé des portraits, toujours en mouvement. Pendant une heure à une heure et demie de prise de vue, je leur demande de se relâcher et d’être dans le mouvement. Les costumes sont aussi créés pour susciter ce mouvement, avec de grandes capes, de grandes manches. L’idée c’est, à travers le mouvement, de faire ressortir un portrait psychologique d’elles-mêmes et de ce qu’elles peuvent extirper de leurs corps, de ces fluides qui circulent constamment. Ça donnait des choses assez mystérieuses, avec des regards, des transformations, dans la nuit avec cette fausse lumière, c’est très coloré.
Il y a sans doute quand même, visuellement, cet esprit un peu “mode” qui ressort par la couleur, le côté brillant du costume, mais ça reste du portrait pour chaque femme! Cette série est exposée au Musée des Abattoirs jusqu’au 27 novembre, et le livre est actuellement en librairies.
Je vais commencer prochainement un nouveau projet, par une phase de recherches : j’aimerais bien bosser en binôme avec un journaliste pour construire un sujet ensemble, et hors de France. Je voudrais retourner sur la terre de mon enfance, puisque j’ai grandi à Mayotte, où je sens le besoin de retourner pour voir ce qui a changé. Ce serait un projet plutôt orienté documentaire ; j’ai envie de me tester sur d’autres choses. Mais comme tout n’est pas sûr, je préfère ne pas trop en dire pour l’instant…
Quel autre métier aurais-tu aimé faire?
Je n’y ai jamais trop pensé à vrai dire ; la photo ça a très vite été une évidence pour moi. Dans tous les cas j’aurais fait un métier manuel, c’est sûr. Peut-être faire des bijoux, quelque chose comme ça, dans le domaine du “bricolage”.Pour moi la photo, c’est déjà du bricolage : dans la construction de l’image par exemple. C’est de l’artisanat.Sinon j’aurais bien aimé être décoratrice d’intérieur je pense!
Y a-t-il un lieu où tu aimes te rendre?
Oui ! La salle 1 du cinéma Gaumont, place Wilson à Toulouse. C’est une des plus grandes d’Europe, la salle est vraiment extraordinaire ! Quand tu regardes un film, c’est la perfection au niveau du son et de l’image ! C’est un endroit qui me réconforte beaucoup !
Une anecdote à nous raconter ?
J’ai fait un stage au studio Pin-up à Paris, un très gros studio de production où tous les réalisateurs passent à un moment. A ce moment-là c’était un photographe anglais qui bossait sur la prod, pour Garnier je crois. Et l’assistante me dit “tiens, occupe-toi de la musique!”. C’était horrible de me demander ça, sur une prod où il y avait 50 personnes! La musique c’est vraiment ce qui rythme l’intégralité du shooting! A un moment j’ai mis “Bad Girl”, de M.I.A. Moi j’aime bien, sauf que je n’avais jamais fait attention à l’intégralité des paroles. Et le photographe, ça ne lui a pas plu du tout! Il est sorti du set, il a hurlé sur tout le plateau, et il est venu me voir en me demandant ce que c’était que ce choix de musique pourrie, alors je suis vite partie me cacher! Ça m’a un peu terrorisée cet épisode!
Un morceau de musique que tu écoutes en ce moment ?
Pour moi la musique c’est assez particulier, car j’écoute vraiment de tout, c’est très extrême!Je peux écouter de la musique française, assez ancienne, comme Brel, ou des trucs assez “has been”. J’adore tout ce qui est un peu “has been”! (rires) Des musiques ringardes, à l’eau de rose quoi! Mais j’écoute aussi de la musique hyper commerciale.Mais pour la version officielle à faire figurer dans le portrait, le morceau de musique que j’écoute beaucoup en ce moment c’est “Makambo”, de Geoffrey Oryema.
As-tu une personne à nous recommander pour un prochain portrait 10point15?
Mélodie Giraud évidemment! Elle est avant tout créatrice de sacs, elle a développé sa propre marque de sacs à main : Mutin. A côté de ça, elle fait du stylisme sur les plateaux. On travaille aussi ensemble pour des marques, ou des catalogues, plus sur le côté “alimentaire” de notre travail. C’est un binôme important dans ma vie de photographe! Elle pose aussi : c’est même comme ça que je l’ai rencontrée. Je l’ai abordée dans la rue et depuis on n’a pas arrêté de travailler ensemble.