Nous sommes à Genève dans le cadre de notre partenariat avec le Mapping Festival. Après une balade en pédalo sur le lac Léman, nous regagnons le nouveau campus à l’architecture moderniste de la HEAD, Haute École d'art et de design Genève, où le festival a installé ses nouveaux quartiers. Nous retrouvons alors Antoine Schmitt, artiste plasticien qui présente 2 oeuvres au Mapping Festival cette année. Assis au milieu d’une grande pelouse verdoyante il nous raconte son parcours atypique et partage un peu de son univers en mouvement. Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Peux-tu décrire ton activité, ton univers artistique ?

Je suis artiste visuel, mais je fais aussi parfois du son; je suis un artiste plasticien, mais je préfère dire artiste pluridisciplinaire. Si je dois préciser pour le monde de l’art, je suis artiste numérique, dans le sens où j’utilise beaucoup la programmation comme matériau.Ce médium, je l’apprécie depuis toujours car il est actif : il agit sur lui-même, sur le monde et sur son environnement; il peut également être sensible au monde, à l’humain et devient donc interactif. Ce côté actif de la programmation n’existe pas ailleurs dans le monde de l’art, à part peut-être dans une certaine mesure les sculptures avec des moteurs.

La programmation me permet d’aborder et de traiter le thème qui occupe principalement mon travail, c’est-à-dire le processus du moment : pourquoi les choses bougent ? Et comment bougent-elles ?  C’est le rapport entre les causes du mouvement et les formes du mouvement. Et cela dans toute chose : dans les galaxies, les particules, les êtres humains, les sociétés, les animaux, le vivant…

Pour résumer, je dirais que je travaille sur les questions de qu’est-ce qui amène au mouvement, qu’est-ce qui amène au changement, et le rapport entre ces causes et ces formes.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
«La programmation me permet d’aborder et de traiter le thème qui occupe principalement mon travail, c’est-à-dire le processus du moment : pourquoi les choses bougent ? Et comment bougent-elles ?»
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Quel est ton parcours ?

J’ai un parcours assez atypique, car au départ, je suis programmeur de métier. Je conçois des programmes, généralement informatiques qui vont avoir une tâche à réaliser.

La programmation est une vraie passion que j’ai contracté depuis l’adolescence, je me sens totalement en phase avec.

Cela a été d’ailleurs une vraie rencontre lorsque j’ai découvert ce matériau : l’idée d’écrire quelque chose, et que cette chose agisse ensuite sur le monde est pour moi incroyable. Ce rapport-là, presque philosophique, quasi métaphysique, m’a parlé tout de suite.

J’ai donc très naturellement fait des études d’ingénieur pour ensuite travailler dans l’industrie à Paris et dans la Silicon Valley pendant plus d’une dizaine d’années. Et puis à un moment, je suis arrivé au bout de quelque chose, j’avais une certaine frustration et une envie d’aller plus loin, d’avoir une narration plus personnelle peut-être…

J’ai alors rencontré 2 artistes, et j’ai découvert le monde de l’art et surtout le processus du travail artistique qui était assez mystérieux pour moi.

L’une des 2 artistes était extrêmement passionnée, et l’autre était très fantasque mais avec une grande rigueur intellectuelle qui m’a tout de suite rassuré. J’ai compris que l’on pouvait être artiste et rigoureux. Ce processus de création et ces dimensions de passion, de liberté et de rigueur m’ont permis de réaliser que je pouvais être artiste, que je pouvais exercer mes envies et désirs dans une vraie liberté. Arrivant à la fin de quelque chose dans ma vie d’ingénieur, ça s’est bien articulé. J’ai fait un grand choix de vie et j’ai décidé de devenir moi-même artiste.

J’ai démissionné de mon poste de salarié dans une super boîte de la Silicon Valley et je suis rentré en France pour partir à la rencontre du monde artistique.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Ma vie d’artiste a mis un certain temps avant de fonctionner car j’étais autodidacte, je n’avais aucun réseau et utiliser la programmation comme matériau était inhabituel dans cette sphère-là à l’époque, en 1995.

Certaines personnes disent même que je suis un des pionniers (rires), mais je n’irais pas jusque là. Il y a quand-même des artistes qui ont utilisé la programmation dès les années 50 et 60, comme Nicolas Schöffer qui était un grand architecte-artiste qui a programmé des robots danseurs en 1956, c’était un vrai visionnaire en fait. Après il y a eu quelques expérimentations dans les années 60 avec Vera Molnar ou Manfred Mohr qui sont aujourd’hui des artistes reconnus comme pionniers dans l’art numérique, mais qui ont eu à l’époque quelques difficultés à être compris.

Je ne dis pas que je suis un pionnier, il y a eu des pionniers avant. Mais dans les années 90 il y a eu une sorte de renaissance de l’art numérique, de l’art programmé, je fais donc plutôt partie de cette renaissance.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

En quoi consiste ton activité ? Comment la décrirais-tu ?

J’ai vraiment du mal avec les étiquettes. Je creuse les projets qui m’intéressent et ils prennent plusieurs formes.

Il y a une forme traditionnelle d’art plastique lorsque je travaille pour des galeries, notamment la galerie Charlot à Paris. Elle présente mon travail en galeries et dans des foires d’art contemporain, ce qui est vraiment le circuit classique. C’est comme de la peinture pour faire simple, sauf que ce sont des ordinateurs qui tournent, et des images en mouvement.

J’ai aussi toute une production autour de l’installation interactive, mais elle tourne plus dans des festivals d’art car ces installations sont de plus grandes ampleurs et nécessitent beaucoup d’espace.

Il y a également une forme urbaine, qui entre en relation avec l’architecture, comme mon projet City Lights Orchestra présenté ici ce soir au Mapping Festival (N.D.L.R.  Le projet consiste en une symphonie visuelle ouverte pour les maisons et immeubles du voisinage de la HEAD. La nuit, chaque ordinateur connecté à internet éclaire la fenêtre de la pièce où il se trouve et cligne, pulse, bat, s’allume et s’éteint, chacun selon sa participation propre, mais en rythme avec tous les autres), et qui est à l’échelle d’un bâtiment, d’un quartier voire d’une ville entière. Ce projet a été réalisé 2 fois à l’échelle d’une ville, à Albi et à Reims.

Je reçois aussi quelques commandes, j’ai par exemple travaillé sur une oeuvre pérenne pour la ville d’Anvers en Belgique ainsi que sur une oeuvre éphémère pour Vinci Immobilier dans le cadre de la Fête des Lumières à Lyon. J’aime répondre à des commandes car il y a toujours plus de contraintes imposées, et je me nourris de celles-ci pour développer ma réflexion.

Enfin, il y a la forme audio-visuelle pendant laquelle je suis en live sur scène avec un ou plusieurs musiciens. Ce travail “live”, c’est à dire en temps réel, et semi-improvisé, me plaît beaucoup notamment pour son rapport au temps différents justement et il fonctionne bien en résonance avec le public. J’ai plusieurs projets qui tournent actuellement, surtout ceux développés avec Franck Vigroux , musicien électronique. Demain soir, nous allons d’ailleurs jouer ensemble Chronostasis, qui est un projet assez neuf traitant du Temps (N.D.L.R. la chronostase est une illusion cérébrale qui correspond à ces moments durant lesquels le temps semble s’arrêter. La performance audiovisuelle Chronostasis reproduit ce sentiment en dilatant à l’extrême un instant présent catastrophique, par des étirements et des inversions du temps sur toute la durée de la performance).

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Comment se passe la composition d’un projet avec un musicien ?

Dans les projets que j’aime bien, ou du moins que j‘ai envie de pousser, on conçoit vraiment le projet à deux. On choisit un sujet et on prépare nos matériaux. Le musicien prépare ses sons et ses matières sonores et de mon côté, je fabrique un instrument - différent pour chaque projet - c’est à dire que je programme mon propre instrument visuel qui va servir mon live. Quand je parle d’instrument, il s’agit d’un logiciel que je paramètre et que je contrôle sur scène avec un contrôleur MIDI, avec plein de potentiomètres. Je programme un univers visuel paramétré et paramétrable, et pour chaque projet, je crée un univers différent et une manière de jouer différente.

Le musicien et moi travaillons donc chacun de notre côté et dans un second temps nous entrons en résidence ensemble et on y répète beaucoup. On avance comme ça, on construit le projet ensemble dans un dialogue entre nos médiums. La performance est un projet immersif audiovisuel où le son et l’image se répondent et se font écho en permanence.

 

«Je programme un univers visuel paramétré et paramétrable, et pour chaque projet, je crée un univers différent et une manière de jouer différente»

Quelle est la personne qui t’a le plus marqué ou influencé ?

Globalement, je dirais les grands artistes abstraits. Kasimir Malevitch a été mon premier choc esthétique avec le Carré noir sur fond blanc, la rencontre avec son travail m’a subjugué. Et puis viens la littérature, il y a Philip K. Dick que je lis depuis très jeune et qui m’inspire beaucoup.

Mais c’est difficile de répondre à cette question en fait… J’ai pas mal d’inspirations que je puise dans de nombreux domaines : en philosophie, en littérature, en musique, mais j’ai toujours un peu de mal à citer des noms lorsqu’on m’en demande.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

Il y a un nouveau projet audiovisuel que je travaille avec Franck Vigroux prévu pour 2019. Je travaille également sur un spectacle chorégraphique avec Jean-Marc Matos et Marianne Masson de la compagnie K. Danse. Nous allons travailler avec une danseuse et une oeuvre visuelle autonome et sensible aux mouvements la danseuse. Cette oeuvre visuelle reflètera aussi quelque part la danseuse elle-même; une sorte de dialogue entre un être humain et un être non-humain.

Je suis aussi en train de préparer plusieurs oeuvres plastiques que la galerie Charlot va exposer à la foire VOLTA à Bâle en juin prochain; la foire VOLTA est une foire off de la Art Basel qui prend place à Miami et Hong-Kong.

Mais j’ai aussi d’autres projets plastiques - et un peu politiques - pour l’espace public. Ces projets traitent de l’idée de programmer et de déprogrammer la société; il y a des programmes à l’oeuvre dans la société qu’il faut débusquer et déprogrammer.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.
Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Un conseil à donner à quelqu’un qui aimerait se lancer dans l’art ?

J'’aime bien cette question, et on me l’a déjà posé récemment d’ailleurs… Le conseil serait juste d’y aller, de ne pas hésiter. Si le désir est là, il faut foncer.

As-tu un autre métier que tu aurais aimé faire ?

J’en ai déjà fait d’autres des métiers, et je suis allé au bout. Aujourd’hui, je ne pourrais pas en faire d’autre. Mon métier, mon activité, est une manière d’être au monde, tout s’y rattache - à part l’hyper personnel comme les enfants et l’amour.J’ai mis du temps à trouver ce que je voulais faire, et maintenant je ne voudrais pas en changer.

«Mon métier, mon activité, est une manière d’être au monde»

Y-a-t-il un lieu où tu aimes aller ?

J’aime bien retourner dans ma maison de famille dans les Vosges. C’est une région que j’aime beaucoup et dans laquelle je me ressource.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Un morceau que tu écoutes en ce moment ?

Ce n’est pas une question facile car depuis quelques mois, j’utilise Soundcloud et notamment sa station de radio. Je pars d’un morceau que j’aime bien, et je laisse filer le flux; je me fais nourrir par toutes sortes de morceaux que le système me donne. En fait, je n’écoute rien de fixe en ce moment, juste des flux musicaux mais le morceau qui est souvent le point de départ de ces flux s’appelle La Chambre Bleue du groupe Saschienne.

Antoine Schmitt, Artiste et Plasticien à Paris.

Remerciements au Mapping Festival <3

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