Photographe originaire de Madagascar installé à Toulouse depuis 3 ans, Christian Sanna aime raconter des histoires à travers ses photographies en portant un regard tout particulier sur les gens qu’il rencontre. C’est chez lui puis dans les rues de la ville rose que nous l’avons rencontré et suivi, pour en apprendre un peu plus sur son amour de la photographie mais aussi sur l’homme passionné de beaux livres et d’objets. Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Peux-tu nous parler de toi et de ton activité de photographe ?

Je m’appelle Christian Sanna, j’ai 27 ans et ne vis pas encore de la photographie. J’ai fini mes études en juillet dernier à l’ETPA de Toulouse et viens tout juste d’être diplômé. Je suis originaire de Madagascar, de l’île de Nosy Be plus précisément. J’ai grandi à Madagascar jusqu’à mes 19 ans et suis arrivé en France en 2008 pour faire mes études. Lorsque je suis arrivé en Europe, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. J’ai commencé à m’intéresser à beaucoup de choses mais c’est finalement la comptabilité, la gestion et la finance que j’ai choisis. Quelque chose d’assez classique, plus tourné vers l’économie mais qui m’a permis de me rendre compte de ce que je voulais vraiment faire. C’est quelque chose qui m’aide encore aujourd’hui dans la photographie. J’ai donc passé 4 ans à Lyon, de mon BTS à ma première année en Master finance. Puis en 2013, j’ai intégré l’ETPA à Toulouse pour 3 ans, où j’ai pu trouver ma propre photographie en abordant des thèmes qui m’importent à travers des reportages et des documentaires.

Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Comment es-tu devenu photographe et que t’apporte cette pratique ?

J’ai commencé la photographie un peu à cause de Madagascar. Quand j’étais petit, j’écrivais et lisais beaucoup. J’ai toujours aimé lire et raconter des histoires. Quand je suis rentré à Madagascar après ma licence, j’espérais faire ça. Mais je n’étais pas très doué pour l’écriture et je suis tombé un jour un peu par hasard sur un appareil photo. J’ai commencé à prendre des clichés et petit à petit, je me suis rendu compte que les gens appréciaient ce que je faisais, ils trouvaient que j’avais un petit “oeil”. J’ai donc passé tout mon été à voyager à travers Madagascar, à visiter vraiment l’île qui est immense et à prendre des photos. J’ai fait beaucoup beaucoup de photos pendant ce voyage et j’ai eu un déclic au retour. Je ne m’étais jamais imaginé à quel point la photographie pouvait avoir une telle importance. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter tout ce que je faisais pour me consacrer complètement et entièrement à la photographie. Je suis parti un an en Australie pour voyager, améliorer mon anglais et aussi m’exercer à la photographie. En partant, je me suis dis que j’allais me perfectionner, prendre le temps pour moi avant de rentrer à l’école et tenter des choses. Je ne savais pas composer mes photos, j’avais une pratique d’amateur. Je faisais du paysage, du portrait, j’ai vraiment pu expérimenter pendant cette période. Puis je suis revenu en France, et je me suis installé à Toulouse pour commencer l’école de photographie.

 
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Je n’ai jamais été initié ou introduit à la photographie. Mes parents faisaient beaucoup de photographie sans que je m’en rende compte. Aujourd’hui la photographie a pris toute la place dans ma vie, c’est devenu mon moyen d’expression, ce pourquoi je fais la majorité de mes voyages. C’est aussi un moyen pour moi de renouer avec mon pays. Ce que j’ai trouvé dingue dans la photographie, c’est qu’elle permet d’enlever cette étiquette identitaire qu’on peut avoir. On n’est pas juste métisse, blanc ou noir, on est avant tout photographe. La photographie m’a permis de rencontrer beaucoup de gens et d’échanger avec eux.

 
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Avant d’envisager de me consacrer à la photographie, j’ai eu une grande discussion avec mes parents pour les informer de ma décision. Ils ont toujours eu cette mauvaise habitude de dire : tu peux faire ce que tu veux tant que tu y arrives. Quand je leur ai dit ce que je voulais faire – arrêter mes études d’économie et me lancer dans la photographie -, ils m’ont dit de me faire accepter dans une école photo et de finir mes études dans ce domaine en faisant partie des meilleurs. J’ai un peu honte de dire ça, mais finalement c’est ce qui s’est passé. A la fin de chaque cycle de 3 ans, l’école élit un grand prix. J’ai eu la chance de recevoir ce grand prix à la fin de mon cursus cet été, qui m’a permis récemment d’exposer au Festival Manifesto à Toulouse et de présenter mon travail au public.

Comment définirais-tu ta photographie ?

«Si je devais définir ma photographie finalement, je dirais que c’est celle de raconter des histoires et des histoires vraies, réelles, pas factices»

J’ai une photographie très classique je dirais. Au niveau technique, je travaille avec un appareil argentique moyen format, qui fait des images au format carré. Je n’ai jamais aimé travailler avec des techniques particulières que ce soit à travers la retouche ou de la mise en scène, mais plutôt favoriser la photographie dite de reportage, de documentaire ou de portrait. J’essaye de travailler avec un focus sur la lumière – naturelle ou artificielle – et la composition. J’ai toujours voulu raconter des histoires. Comme je n’étais pas très bon à l’écrit, j’ai découvert cette possibilité à travers le médium photographique. Si je devais définir ma photographie finalement, je dirais que c’est celle de raconter des histoires et des histoires vraies, réelles, pas factices.

Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Pour l’instant, les thématiques de mes histoires tournent autour de l’humain. J’ai réalisé deux travaux photographiques qui racontent chacune une histoire : l’un sur la lutte à Nosy Bé, qu’on appelle “Moraingy”, un genre de boxe pratiquée par les villageois à un niveau amateur et qui fait partie des rites et coutumes du village. Tous les dimanches, la communauté assiste à la lutte, encourage ses champions et fait la fête en famille. Pour moi, c’est un moment très fort qui montre la vie et la culture de Nosy Be au delà du cliché touristique. J’ai voulu traiter de ce sujet parce que je me suis rendu compte que personne n’en avait parlé, qu’il n’y avait jamais eu de travail sur ce sujet. J’ai donc souhaité traiter de cette coutume en noir et blanc pour donner un côté un peu plus abstrait, pour se concentrer sur l’ambiance, sur l’esprit de la lutte, du combat et de ces jeunes. Il y avait une belle histoire à raconter et c’est ce qui m’a motivé.

 
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

L’autre travail que j’ai fait ensuite était sur le tabou des jumeaux à Madagascar, qu’on appelle aussi le Fady Kambana. Je suis tombé sur cette histoire lorsque je faisais mes différents travaux à Madagascar. Une ethnie malgache situé au sud de l’île qui a instauré un tabou sur les jumeaux, consistant à tuer ou à abandonner les enfants nés ainsi. Selon cette ethnie, les jumeaux sont considérés comme une malédiction et sont donc à bannir de la communauté et à abandonner dès leur naissance, dans des champs ou des centres d’adoption. Je ne croyais pas trop à cette histoire, alors je me suis renseigné et ai réussi à contacter les gens du village grâce à des associations. Quand je suis allé là-bas, je me suis rendu compte que c’était vrai, que les “Rois” interdisaient les naissances des jumeaux et que la solution aujourd’hui était l’abandon des enfants dans des orphelinats. Et cela va même plus loin que ça : pour supprimer toute trace de gémellité, les jumeaux sont séparés et placés dans des centres d’adoption différents. Cela m’a beaucoup touché et je me suis demandé comment je pouvais parler de cette histoire en ayant un regard militant.

 
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

J’ai donc décidé de parler des mères qui avaient fait le choix de garder leurs enfants, de briser l’interdit du “Roi”, de la communauté, en gardant leurs enfants. Ces mères sont chassées de leur maison, elles deviennent des parias et perdent toute forme de subsistance. Elles n’ont plus accès à leur “tombeau” et sont rejetées comme si elles n’existaient plus. Donc moi, je suis allé à leur rencontre. J’ai voulu faire une série de portraits sur ces mères pour parler de leur force, de l’amour qu’elles peuvent porter à leurs enfants face à leur communauté et malgré les difficultés et les conditions extrêmes de leur situation.

Cette série a aussi été réalisée pour lutter contre cette condition et faire prendre conscience aux gens du village et aux “Rois” d’abolir cette tradition et de reprendre ces femmes et enfants au sein de leur communauté. Au niveau technique, les photos ont été prises dans leurs maisons et parfois en extérieur dans le village. J’ai choisi de traiter ce sujet en couleur et non en noir et blanc, pour ne pas jouer sur le côté sentimental et triste que peut véhiculer la photographie monochrome. Cela afin de garder un aspect au plus proche du réel, que les gens se rendent compte que cela se passe maintenant, au temps présent. C’est ce sujet qui m’a permis de remporter le grand prix de l’école.

Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ou marqué professionnellement ?

Un ami qui fait de la vidéo documentaire, Alexandre Poulteau. Lui aussi vient de Madagascar et vit à Toulouse. On se connait depuis qu’on est enfants mais on s’est retrouvés bien plus tard, ici à Toulouse. Il fait de la vidéo documentaire, militante et engagée socialement et fait partie d’une association qui s’appelle Fil Rouge et qui fait de l’audiovisuel.

Quand on s’est retrouvés, on a beaucoup discuté de l’action militante, de pourquoi raconter des histoires, de pourquoi faire du film ou de l’image. C’est une personne qui m’a beaucoup inspiré parce qu’il avait déjà réfléchi à toutes les questions que je me posais à propos de l’image. J’ai toujours considéré que la photographie était quelque chose d’important à partir du moment où on savait qu’en l’utilisant on avait une certaine responsabilité. C’est quelqu’un d’hyper dynamique et qui fait des choses incroyables, qui a une pensée claire et qui m’a aidé à faire les bons choix et à bien réfléchir.

Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Quels sont tes projets en ce moment et à venir ?

J’ai démonté il y a quelques jours mon exposition présentée au Festival Manifesto à Toulouse où étaient exposés deux de mes projets.

Maintenant que je suis diplômé, je vais continuer à me consacrer à ma photographie tout en restant basé à Toulouse…

Je suis en train de trouver des financements et de mettre de l’argent de côté pour pouvoir continuer le travail sur la lutte. J’aimerais faire un livre sur cette série et aller plus loin en parlant des jeunes qui s’entraînent pour devenir lutteurs. Mais aussi parler de leur vie, de la dureté de la vie à Madagascar, de la raison pour laquelle les gens luttent. Et essayer aussi d’aborder le sujet de la prostitution chez les jeunes sur l’île de Madagascar, qui a été amenée par le tourisme.

J’aimerais aussi pouvoir diffuser la série des mères, me diriger vers des magazines féminins à Madagascar pour raconter cette histoire. Je sais que c’est un sujet qui peut toucher un public qui est plus à mène de s’impliquer dans cette cause. J’aimerais aussi pouvoir exposer cette série à Antananarivo, la capitale, là où se trouvent les politiciens qui pourraient faire quelque chose. Mon rôle est d’apporter l’information à un système qui pourra à son tour prendre acte de ce qui se passe. Je veux utiliser la photographie pour apporter une vérité aux gens et ne veux pas arrêter de m’intéresser aux gens.

 
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Une anecdote à nous raconter ?

En décembre dernier, j’ai réalisé que la photographie était finalement très présente dans ma famille. Mon père prenait toujours beaucoup de photos quand on était enfants, il a beaucoup de photos de mon frère et moi sur les murs de sa maison. Mes parents n’ont jamais voulu que je fasse de la photographie mais mon père m’a dit un jour : “ je fais beaucoup de photos mais n’ai jamais fait de belles photos, alors que ta mère lorsque je lui passais l’appareil, elle prenait toujours de belles photos”. Mon père est donc persuadé que je suis le juste mélange des deux.

Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Un lieu où tu aimes aller ?

«Je suis un “bouffeur” d’images, j’y passe beaucoup de temps pour feuilleter des livres et discuter.»

J’aime deux lieux en particulier à Toulouse… J’aime beaucoup aller au Filochard, un “petit” bar où il y a énormément de gens différents. C’est un bar multiculturel, un peu bizarre, un endroit dans lequel j’aime bien aller, dans lequel je me sens comme si j’étais chez moi, à l’aise.

Et juste en face du Filochard, il y a le deuxième lieu où j’adore aller, c’est la galerie du Château d’Eau, le premier centre de documentation en France dédié à la photographie où on peut trouver des livres photographiques d’une rareté incroyable. Je suis un “bouffeur” d’images, j’y passe beaucoup de temps pour feuilleter des livres et discuter. C’est aussi la première galerie dédiée à la photographie dans l’histoire en France.

Une passion particulière ?

J’ai une petite passion pour la chine et la collection. Avant je collectionnais les appareils photos, maintenant ce sont les livres photos. Je collectionne aussi tout ce qui est en lien avec Madagascar. J’adore collectionner et aller dans des lieux pour trouver des objets un peu rares ou qui ont une histoire. Finalement tout ce qui est lié à l’objet me plaît beaucoup.

 
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.
Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

Un morceau que tu écoutes en ce moment ?

J’écoute un petit groupe punk rock malgache – bien connu maintenant en France – les Dizzy Brains. Ils chantent en malgache, en français et en anglais et font du rock. Ils ont beaucoup tourné en France. J’adore leur morceau “Vangy” qui signifie la rage en malgache !

Une personnalité que tu nous recommanderais de rencontrer pour 10point15 ?

Je dirais Alexandre Poulteau. Je le recommande pour la simple et bonne raison que ce qu’il fait est assez important et génial. Il a fait énormément de sujets sur les quartiers de Toulouse et je trouve qu’il a un regard très intéressant et engagé. Je pense que c’est une personne très intéressante, il faut le rencontrer !

Christian Sanna, Photographe à Toulouse.

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