Peux-tu nous parler de toi, de ton activité en quelques mots ?
Je travaille à la Bibliothèque Nationale de France depuis 3 ans, j’occupe le poste d’experte en restauration au Département de la Conservation.
Avant cela, j’ai exercé mon métier de restauratrice en tant que libérale pendant 15 ans. J’ai commencé par l’Institut national du patrimoine puis j’ai choisi la section arts graphiques. J’étais spécialisée dans la restauration d’estampes et de dessins. Je travaillais pour de grandes collections telles que celles du musée d’Orsay ou du Louvre.
«Tout travail de restauration se fait en lien étroit avec les conservateurs (…)»
Le métier de restaurateur est formé par spécialités telles que la sculpture, la gravure, la photographie ou encore la peinture; la plus connue étant la restauration de peinture. En arts graphiques on touche à la fois au pastel, à l’aquarelle, à la peinture et au dessin.
Tout travail de restauration se fait en lien étroit avec les conservateurs qui nous donnent les objectifs de la restauration. La restauration dépend de l’utilisation de l’objet. La préparation est tout aussi importante que la restauration en tant que telle.
Aujourd’hui, au sein de la BNF, j’ai la chance d’avoir un poste transversal entre les différents services, les conservateurs et les 5 ateliers de restauration. C’est un univers assez vaste et je suis chargée de trouver le meilleur restaurateur, de faire des expertises ou bien de trouver le meilleur expert pour chaque pièce. Je suis un lien entre les conservateurs et les restaurateurs qui vont s’occuper de la restauration en tant que telle. Les objets ou ouvrages restaurés par la BNF sont multiples et particuliers : cela peut aller des collections manuscrites à des objets tels que des vélos, des pendules du 18e siècle ou encore le porte cigarette de Claude Debussy, voire même la petite robe noire d’Edith Piaf. Il y a d’ailleurs actuellement une magnifique exposition au sein de la BNF consacrée à Edith Piaf qui se termine le 23 août prochain. N’hésitez pas à aller y faire un tour !
La deuxième partie de mon travail consiste à monter et proposer des stages attractifs à l’attention des professionnels de la BNF, afin d’activer des réflexions sur des thématiques ou des pratiques. J’ai notamment monté récemment le premier stage sur les reliures byzantines. Je suis en charge également de faire évoluer les mentalités dans les ateliers, ce qui n’est pas forcément chose facile avec des pratiques anciennes et personnalisées.
La troisième partie de mon travail est plus logistique : je mets en place des marchés extérieurs. C’est une rencontre de métier qui est absolument passionnante pour moi, c’est une évolution dans mon activité qui me permet de voir toutes les facettes de ce domaine. Je rencontre des gens qui font du droit et qui gèrent la partie juridique, mais également des chefs de projets qui gèrent les pôles du numérique.
Je tiens à préciser aussi que lorsque je suis arrivée ici, je m’occupais des ouvrages sur les marchés de la numérisation. J’étais encadrée par un chef de projet génial qui venait du privé, et avec qui j’ai adoré travailler. Travailler en équipe est quelque chose que j’apprécie énormément… Quand j’étais en libéral, j’étais souvent seule et rarement avec des collègues. Ici, j’ai la chance de pouvoir travailler en équipe avec des gens d’horizons différents et de métiers différents.
La BNF m’a fixé des missions et me laisse la liberté de les mener à bien. Ça m’apporte beaucoup et j’en apprends encore (rires) !
D’où te vient cette passion pour l’univers artistique et pour la restauration en particulier ?
Pour moi c’était évident. Je n’ai jamais hésité entre le droits ou autre chose. Le domaine des arts graphiques était vraiment une évidence. C’est la technique, c’est naturel pour moi. J’aime l’approche de la matière.
Au départ, j’ai suivi une préparation aux écoles d’art de Paris, j’étais très bonne mais il y a des périodes où j’avais la panne blanche comme on dit. Puis j’ai cherché ce que j’allais faire et j’ai trouvé la restauration. Ça me plaisait car ce n’étais pas très créatif en tant que tel, mais le mélange des disciplines comme l’histoire, l’histoire de l’art et la physique-chimie m’a beaucoup plu.
«Pour moi, la restauration implique de rendre plus beau»
Dans ma spécialité (les estampes), j’étais assez connue pour trouver de nouvelles techniques. C’est d’une certaine façon la créativité que j’ai pu apporter à ce métier. J’ai fait des recherches qui m’ont amené à aller en résidence à la Villa Médicis, à Rome. C’était pendant la réalisation de mon mémoire; j’avais inventé un appareillage qui permettait de restaurer des pages. Ça été breveté par des Allemands. Pour moi, la restauration implique de rendre plus beau…
Quelles sont les personnes qui t’ont le plus marquées ou influencées ?
Professionnellement, il y a un très très grand restaurateur qui m’a aidé à réaliser mon mémoire de fin d’étude qui s’appelle Carlo James. C’est un néerlandais qui a travaillé à la Fondation Custodia; un type extraordinaire qui partageait son temps entre la création et la restauration. Il pouvait faire les deux, c’était génial ! Sinon, je dirais que je ne suis pas tellement impressionnable par les gens qui travaillent dans ce milieu là.
Personnellement, il y a mon père parce que c’est inévitable par rapport à ce que je suis devenue. Mais il y a aussi Jacques Lacan un psychanalyste qui m’a beaucoup marquée.Sans son influence et celle de mon père, je n’aurais jamais pu arriver là où j’en suis aujourd’hui.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
L’image, d’un point de vue générale, et plus particulièrement la photographie et le cinéma…
Je suis très inspirée par les histoires, le cinéma de fiction. La photographie m’interpelle aussi beaucoup. J’adore Helmut Newton, je trouve son travail photographique extraordinaire. Côté cinéma, si je devais donner un nom, je dirais Aki Olavi Kaurismäki, un réalisateur finlandais… je trouve ces histoires surprenantes et fabuleuses. Mais je pourrai en citer plein d’autres !
Les arts graphiques sont naturels pour moi, mais ils ne m’ont jamais inspirée; je préfère voir une photo ou un film, cela m’inspire beaucoup plus. C’est marrant (rires) !
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Prochainement, je vais organiser une formation sur les parchemins, puis je vais continuer sur cette thématique en organisant un séminaire afin que les professionnels concernés puissent échanger sur ce sujet.
J’aborde une problématique, mais je peux être sur plusieurs sujets en même temps. Je ne peux pas parler d’une problématique en étant vague, il faut que cela soit très pointu. Je construis donc mon discours en faisant des recherches, des lectures pour m’enrichir et être la plus précise possible auprès de tous mes interlocuteurs.
Je suis constamment en réflexion afin de créer des liens entre les personnes.
Un coup de coeur artistique à nous faire découvrir ?
Lil Buck, un danseur qui pratique le Jookin, une danse mêlant le hip hop et la danse classique. Il est absolument grandiose, sa gestuelle est incroyable. Il y a une vidéo en particulier où on le voit en train de danser sur un morceau classique joué par Yo-Yo Ma, un grand violoncelliste américain, c’est absolument magnifique.
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Et bien, réalisateur (rires) !Je trouve fabuleux de pouvoir raconter des histoires derrière une caméra. J’adorerais savoir comment faire un film d’ailleurs. J’imagine le travail, la passion qu’il y a derrière un film pour pouvoir faire en sorte que tout coïncide avec ce qu’on imaginait… En tant que réalisateur, on peut raconter toutes les histoires que l’on veut, je trouve ça passionnant. Le cinéma a le pouvoir de toucher tout le monde et tout le monde peut donner son avis. Et puis, je trouve ça hyper facile de regarder un film.
Une anecdote à nous raconter ?
J’ai été très émue de restaurer le livre sur lequel François Truffaut à travailler pour faire le film Jules et Jim. C’est Jeanne Moreau qui en avait fait don à la Cinémathèque, et qui par la suite m’avait contacté pour le restaurer. J’avais été très touchée, c’est la chose dont je suis la plus fière. François Truffaut avait écrit tout son scénario dessus. Il avait annoté des choses au crayon bleu, rouge,… des annotations très graphiques. D’ailleurs, il y a un documentaire où on le voit avec le livre à la main en train de tourner les pages.Avoir restauré cet ouvrage m’a plus ému que de restaurer un objet rare et précieux. C’est le top de mon métier !
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Serge Reggiani, j’adore sa voix. J’adore le morceau “Le déserteur”, qui mêle le poème d’Arthur Rimbaud “Le Dormeur du Val” et la chanson écrite par Boris Vian. Ce sont trois messieurs incroyables que j’aime beaucoup. C’est ce que j’écoute en ce moment, mais j’écoute aussi plein d’autres choses.
Quelle personnalité nous recommanderais-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Sophie Lloyd, une photographe talentueuse qui fait de très belles photos. Elle travaille notamment pour des magazines de décoration d’intérieur et d’art. Une femme très naturelle et super. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup.