Peux-tu nous parler de ton univers artistique ?
Pour résumer toutes mes activités, mon expression, je m’aperçois que tout vient des sensations du surf. J’ai des sensations intimes que je transpose dans mon travail. Ce n’est pas vraiment calculé, mais c’est un sentiment unique de douceur, d’équilibre, d’harmonie et de liberté (rires).Et la liberté dans la création, c’est de ne pas copier; tu choisis ta ligne, tu choisis ta vague.
Ce n’est pas compliqué en fait.
D’où te vient cette passion pour le shape ?
C’était dans les années 60, j’avais 13 ans, et je voyais certaines personnes dépecer des planches – des bijoux du design pour cette époque – afin de récupérer les pain de mousses et en faire de nouvelles. J’étais outré de voir que l’on pouvait détruire ces magnifiques planches de 3m. C’est alors que j’ai décidé d’en fabriquer moi-même.J’avais remarqué que l’on utilisait du polystyrène pour faire des plafonds, et j’ai demandé à mon père de m’en acheter une plaque pour que je puisse réaliser une planche sans avoir à en bousiller une déjà existante. C’est comme ça que j’ai fait ma première planche. Elle ressemblait étrangement à un bodyboard : carré devant et légèrement arquée sur les côtés.En été, tout le monde voulait gagner un peu de sous en faisant une activité qui lui plaisait. J’avais un ami qui savait glacer, et moi je savais tailler dans les matériaux et faire des formes. C’est donc en 1977 que j’ai vraiment commencé à shaper.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ?
Pour le shape, la forme des planches, à mon avis c’est George Greenough. Il fait du kneeboard comme moi et a une approche très naturelle de la glisse, avec des formes plus flexibles. C’est un chercheur dans son domaine, mais pour moi, c’est un vrai artiste.
Sinon, je suis extrêmement autodidacte, surtout maintenant. A presque 60 ans, lorsqu’on est créateur-artiste, on n’a pas envie de faire des choses qui existent déjà. En tous cas, personnellement, je ne veux pas répéter sans arrêt les mêmes choses, et encore moins ce que les autres ont déjà fait.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
J’ai été salarié chez Courrèges pendant 15 ans. Je faisais des bijoux en céramique et autres matériaux. Je travaillais beaucoup, mais j’ai toujours continué à shaper en parallèle. J’ai même refusé un temps plein pour pouvoir continuer à faire des choses personnelles.Le shape est un mouvement intime qui ressurgit de façon très naturelle chez moi, et je ne cesse d’inventer! Aujourd’hui, je ne réfléchis même plus à ce que je pourrais faire… J’ai déjà tellement d’idées, ça va dans tous les sens! Mais le concept de dispersion n’existe pas chez l’artiste. J’ai d’ailleurs une formule à ce sujet… On dit souvent que dans le doute, il faut s’abstenir, et bien moi, je dis que dans le doute, il faut continuer (rires)!
Malheureusement, le problème d’aujourd’hui, c’est que dans la création, tout est calcul, et tout le monde se met à ressembler à tout le monde. J’ai la petite prétention de me différencier des autres (et ce n’est pas moi qui le dit); mes planches sortent du lot. J’ai un grand succès d’estime, mais derrière, cela n’est pas si simple…Je reviens tout juste du Japon pour une exposition, et mes planches ont été très bien accueillies! Mon projet, c’est donc de retourner au Japon.
As-tu un artiste coup de cœur à nous faire découvrir ?
Au Japon, j’ai croisé un musicien, Cinema Dub Monks qui m’a hérissé le poil. Il utilise une sorte de ukulélé électrique, et joue quasiment qu’en improvisation; rien n’est formaté dans son travail, et c’est en partie ça qui me plait. Nous avons d’ailleurs le projet de faire une performance au Japon, lui jouerait sa musique et moi je shaperais.
Quel morceau écoutes-tu en ce moment ?
Alors je vais un peu transformer la question… Si je devais écouter de la musique aujourd’hui, j’écouterai Manitas de Plata. Je dois cette connaissance à mon père qui m’a dit un jour «Manitas de Plata est fantastique». Et effectivement, ce mec était un prodige!
As-tu une anecdote à nous raconter ?
Tout le monde adorait ce fameux surfer américain Mickey Dora. Il était l’épiphénomène du surf de la fin du 20ème alors qu’il a été finalement reconnu comme un type pas trop fréquentable.
En 2002, un peu avant qu’il décède, j’étais à Guethary avec ma planche de 3,60m. Il y avait un magnifique temps d’hiver, de super vagues, et je vois un mec arriver sur sa planche. Il s’assoit à côté de moi et me dit «I love your surfboard». Je le remercie sans vraiment savoir qui il était, et un ami m’explique alors que c’était Mickey Dora, ce qui m’a rendu assez fier, car il s’y connaissait vraiment en surf et avait dû voir un grand nombre de planches. Je suis donc à l’eau, c’était glassy, une super série arrive, des vagues de 2m, 2,50m, je commence à ramer, j’étais super bien placé, je me lève et là, Mickey Dora me passe juste devant…Voilà donc une anecdote qui traduit un peu le personnage qu’était Mickey Dora (rires).
As-tu une passion particulière rien que pour toi ?
«Pour moi, le surf n’est pas du sport mais une activité aquatique ludique»
J’ai redécouvert la passion de la pêche avec mon fils. En fait, j’ai essayé de mettre mon fils au surf en lui faisant une planche, puis deux, mais après avoir enfin réussi à prendre une vague, il m’a dit qu’il préférait aller à la pêche. Evidemment, je n’ai aucun problème avec ça car pour moi, le surf n’est pas du sport mais une activité aquatique ludique.Du coup, dès que mon fils vient, on part pêcher tous les deux.
Quelle personnalité nous recommandes-tu d’interviewer pour 10point15 ?
Franchement, je suis très difficile, alors j’aurais beaucoup de mal à vous recommander quelqu’un.Il y a bien Luc Rolland (rires)! Et même à plusieurs titres : planche de surf, céramique, bijoux, peinture, tee shirt… (rires).