Pouvez-vous nous parler de vous, de vos activités mais aussi de votre studio d’impression et maison d’édition “Riso Presto” ?
Aurélien : On ne se connaissait pas du tout à la base, on s’est rencontrés complètement par hasard. Après mon école de graphisme, j’ai commencé à travailler dans un petit studio parisien, qui par la suite, m’a amené à travailler dans la galerie Sergeant Paper. J’étais le petit imprimeur de la galerie (rires). C’était très sympa et cela m’a permis de rencontrer pas mal de monde. J’avais découvert la risographie longtemps avant, grâce à l’exposition d’un ami dans une galerie de Barcelone. J’ai commencé à m’y intéresser et eu très envie de m’acheter une machine et de commencer à imprimer pour moi mais aussi pour des gens – histoire de rentabiliser un peu les coûts de la machine-. Sauf que je me suis rendu compte qu’il fallait faire quelque chose de sérieux pour que cela fonctionne… Et un jour en 2014, j’ai rencontré Sarah à la galerie, qui passait déposer des prints pour faire connaître ce qu’elle faisait. On a commencé à discuter et on s’est ensuite revus trois fois pour faire connaissance et voir ce qu’il était possible de faire ensemble.
Sarah : Après mon BTS en communication visuelle à Olivier de Serre, j’avais pas trop le profil pour continuer dans ce domaine, j’ai donc décidé de partir un an à l’étranger, à Londres, pour bosser avec un mec qui faisait des clips vidéos pour des groupes anglais. Il faisait aussi des illustrations et c’est avec lui que j’ai découvert l’impression en riso. J’avais aussi une pote qui avait fait un stage chez Hato Press, un gros studio londonien, et qui utilisait cette technique. C’est à partir de là que j’ai commencé à m’y intéresser. En rentrant à Paris, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas beaucoup de studios qui proposaient ce type d’impression. Alors je me suis mis en tête de monter mon propre studio d’impression, d’abord avec une amie avec qui ça n’a pas marché, puis toute seule chez moi car je voulais continuer. J’ai acheté une première machine d’occasion et ai commencé à développer un peu le projet. C’est pendant que je faisais mes démarches pour me faire connaître que j’ai rencontré Aurélien à la galerie. Je voulais m’associer à quelqu’un depuis le début, je ne voulais pas faire ça toute seule. Aurélien était déjà très investi et était aussi motivé que moi. Après discussion, on a décidé de s’associer et de se lancer ensemble sur Presto.
Aurélien : Le temps que je me sépare de mon travail à la galerie et qu’on mette en place les choses, ça s’est fait tout seul et assez vite. On a eu aussi la chance que Sarah accepte d’accueillir une petite imprimerie chez elle, dans son salon. C’est ce qui nous a permis de démarrer très vite. Sarah avait démarré les choses avant. Elle avait déjà quelques clients et avait monté une petite exposition de 30 risographies imprimées dans une galerie pour faire connaître la technique. C’est quand j’ai découvert son côté sérieux, que je me suis dis que ça pourrait vraiment marcher. Ce n’est pas facile de trouver quelqu’un pour s’associer et travailler ensemble. Sarah était quelqu’un de sérieux, de motivé et qui ne faisait pas qu’en parler, elle avait déjà un pied dedans, donc c’était parfait. Et puis, la risographie commençait à bien prendre à Paris, les gens étaient de plus en plus intéressés et moi j’avais beaucoup de contacts dans le monde de l’illustration.
«On imprimait dans le salon, les stocks de papiers étaient dans l’entrée, les coursiers qui passaient, les imprimantes très lourdes à monter dans l’escalier, les impressions qui séchaient dans la chambre…»
Sarah : C’est vrai, Aurélien a vraiment développé la clientèle. En sortant de mes études, je travaillais un peu dans mon coin et me suis un peu perdue aussi. Aurélien m’a complètement ouverte sur les gens qui étaient concernés, sur l’évènementiel… Et puis il a un bon relationnel (rires). On se complète vraiment bien.
Aurélien : On est restés un an et demi dans l’appartement de Sarah et de son copain avant de trouver un local. On imprimait dans le salon, les stocks de papiers étaient dans l’entrée, les coursiers qui passaient, les imprimantes très lourdes à monter dans l’escalier, les impressions qui séchaient dans la chambre… Les clients nous disaient qu’on était les imprimeurs les plus cosy de Paris (rires). C’était une bonne expérience de début, on a eu beaucoup de demandes, on a beaucoup travaillé. C’était génial. Dès le début on savait qu’on allait déménager, on voulait un espace à nous. Le hasard a fait qu’on a trouvé ce local dans le 18e arrondissement, en avril l’année dernière. On a signé en août, puis on a fait 6 mois de travaux pour finalement emménager il y a 6 mois. Il faut savoir qu’on n’avait pas d’économies pour monter ce projet. Il y avait tout à faire dans ce local, c’était parfait pour monter un lieu à notre image mais il fallait trouver un moyen pour financer les travaux. C’est comme ça qu’on a lancé notre campagne de crowdfunding sur Kiss Kiss Bank Bank, pour nous permettre de concrétiser ce projet. On n’était pas du tout sûrs que ça allait marcher et puis finalement, à notre grande surprise, on a récolté rapidement l’objectif. Il y a eu un vrai engouement. Bon aujourd’hui, ce n’est toujours pas complètement fini, on a gardé ce côté cosy et chaleureux mais il reste encore des petits détails, de la décoration, tout ce qu’on aime bien faire. Les gens qui passent dans la rue ne voient pas seulement un lieu où on peut faire des impressions, mais plutôt un lieu un peu hybride qui peut accueillir des petits événements et dans lequel on a envie de repasser dire bonjour.
D’où vous vient cette passion pour la risographie ? Et comment cela fonctionne concrètement ?
Aurélien : Au début je faisais du graphisme, et plus j’en faisais et plus je me rendais compte que ce qui m’intéressait vraiment c’était les techniques d’impression. Je me suis d’abord tourné vers la sérigraphie mais ce n’était pas la technique la plus adaptée à l’édition. Quand j’ai découvert la risographie, je me suis dis que c’était vraiment la technique parfaite pour lancer des projets d’impression et d’édition sérieux tout en travaillant sur des projets différents.
A l’origine, la riso est une machine d’impression qui est née au Japon dans les années 80 et qui permettait d’imprimer des tracts à grande échelle tels que des prospectus, du matériel pour les écoles, etc. En réalité « riso » n’existe pas, c’était une marque de machine, c’est pour cela que tout le monde appelle cette technique la risographie. On appelle cela de la duplicopie ou de l’impression riso. La technique a été reprise ensuite par des créatifs qui y voyaient une solution intéressante pour pouvoir s’auto-éditer sans que cela ne coûte trop cher. En effet, ces machines ont été créées pour être économiques mais aussi écologiques : l’impression se fait à froid et consomme donc peu d’énergie électrique ; les encres sont faites sans solvants, à base d’huile de soja, et la matière des pochoirs qu’on utilise est en fibres de bananes. Ce qui est positif mais aussi contraignant car le séchage des encres est plus long et délicat, tout comme la superposition des couleurs, ce n’est pas comme de la sérigraphie. Toutes ces petites imperfections, ces décalages donnent tout le charme à cette technique et font que de plus en plus de personnes s’y intéressent tels que les graphistes et illustrateurs. Toutefois, on ne peut tout faire avec cette technique et cela modifie souvent les projets à la base… Cela oblige les gens, qui veulent l’utiliser, à penser la technique d’impression avant de commencer leur projet, à l’associer dès le début.
Sarah : Oui et c’est là où se situe la force de notre studio. C’est de pouvoir proposer des contenus, des conseils en amont sur la conception, la production, l’impression et la diffusion. On a une expertise à 180 degrés qui permet à nos clients d’être accompagnés du début à la fin s’ils le souhaitent. Tous les deux, on a monté Presto parce qu’on ne voulait pas travailler en tant que graphiste et parce qu’on voulait pouvoir s’auto-éditer. On est conscients qu’on ne pourra pas vivre de l’imprimerie toute notre vie car c’est trop fatiguant mais aussi parce qu’on ne veut pas que ça devienne la grosse usine. On veut pouvoir continuer à s’amuser et à prendre du plaisir sur les projets de nos clients mais aussi sur d’autres projets comme ceux de l’édition. On essaye de s’orienter vers la micro-édition tout en apportant nos connaissances du graphisme pour proposer de belles choses. Cela nous plaît de pouvoir travailler avec des créatifs différents sur des projets hyper intéressants.
Quelle est la personne qui vous a le plus marqués ou influencés professionnellement ?
Sarah : Hato Press à Londres. Ce sont les premiers que j’ai découvert… Ce sont eux qui m’ont inspirée pour mon avenir. Ils m’ont ouvert l’esprit sur l’illustration et c’est grâce à eux que j’ai eu envie de m’y intéresser à travers cette technique.
Aurélien : Le duo de graphistes Helmo à Paris, ce sont eux qui m’ont fortement inspiré. C’est le duo de graphistes qui se rapproche le plus de mes envies. Ce sont des mecs avec qui je n’aurais jamais imaginé travailler. Et en fait si, du jour au lendemain, on s’est retrouvés à collaborer avec eux, ils sont venus dans notre petit salon, dans l’appartement de Sarah. Bref, aujourd’hui on est presque devenus des amis. C’est une belle histoire parmi tant d’autres grâce à Presto mais c’est celle que je préfère.
Quels sont vos projets en ce moment et à venir ?
Aurélien : Début septembre on va participer à un gros évènement à Londres, le Risorama Fair, qui regroupe tous les studios de risographie du monde entier. Ce qui va être vraiment chouette car on se connaît tous à travers les réseaux sociaux mais là, ça va vraiment être l’occasion de rencontrer tout le monde. Pour cet évènement, on va présenter deux bouquins – qu’on est en train de finir – et des petits prints qu’on va sortir là-bas.
On a aussi un projet de bouquin en plusieurs tomes mais sous un format un peu revue, qui va réunir des illustrateurs mais surtout des graphistes. On va les inviter à travailler sur ce qu’ils veulent mais avec pour seule contrainte l’impression en riso. On a envie de laisser carte blanche à des graphistes qui ont plutôt l’habitude de répondre à une commande, pour leur laisser l’opportunité de s’exprimer librement sur un support.
Sarah : On aimerait bien aussi ouvrir le studio à la résidence, à des artistes, des graphistes ou des illustrateurs. Cette idée est partie du fait qu’on recevait beaucoup de demandes de stage. On n’avait pas la prétention de pouvoir prendre des stagiaires à temps plein et même si on aurait beaucoup de choses à leur faire faire, on a aussi beaucoup de mal à déléguer… Puis la question s’est vraiment posée et cette réflexion nous a amené à vouloir proposer un espace de travail à des personnes créatives qui nous plaisent, pour qu’ils puissent produire leur projet ici, tout en travaillant ensemble sur de petites éditions. On a déjà accueilli deux personnes et ça c’est super bien passé. Notre priorité c’était qu’ils se concentrent sur leurs projets et que ça aboutisse sur quelque chose de sympa. On a vraiment envie de proposer des résidences de deux mois pour que les créatifs puissent travailler à la fois sur des projets personnels mais aussi sur des projets communs d’édition. On offre un espace de travail avec tout le matériel à disposition ainsi que la possibilité d’imprimer tout à nos frais et de pouvoir éditer un bouquin sans limite de fabrication. C’est une opportunité qu’on veut donner à des gens qui n’auraient peut-être pas la possibilité financière de le faire.
On aimerait bien aussi mettre en place la création de catalogues pour des galeries ou des espaces d’exposition. On proposerait tout notre savoir-faire, à la fois sur le graphisme et sur l’impression.
Et enfin, on va également développer une petite papeterie pour Presto.
Aurélien : Oui, on a plein de projets pour se diversifier ! On veut aussi être présents dans des foires et salons de risographie pour se faire connaître et faire découvrir ce que l’on fait. Dans ce domaine, ça marche aussi beaucoup par là et ça ouvre à d’autres collaborations. Bouger et aller vers les gens à l’étranger, ça peut être aussi intéressant pour nous.
Un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait se lancer dans cette activité ?
Aurélien : Il faut être débrouillard ! Il faut s’accrocher, ne pas baisser les bras. Il faut se donner les moyens de faire ce dont on rêve. En clair, il ne faut pas avoir peur. On a mis beaucoup de temps avant de trouver les bonnes machines. Et du jour au lendemain on a même failli tout arrêter à cause d’un gros problème irréparable. Mais on n’a pas baissé les bras… Quand on est au plus bas, c’est là que des belles surprises arrivent, on a trouvé une machine sur le bon coin et on a pu repartir. C’est vraiment du sytème D ! Toute cette débrouille fait partie du jeu… C’est une activité pas très compliquée mais qui se mérite un peu.
Sarah : Oui, c’est vrai! On n’a pas fait d’études pour faire de l’impression riso, ça n’existe pas. La technique s’apprend sur le tas. Il faut être attentif et essayer de satisfaire les clients. Il faut aussi avoir la tête sur les épaules et ne pas tout arrêter sur un coup de tête dès qu’il y a un petit problème.
Une passion particulière ?
Sarah : J’ai une grosse passion pour la décoration et les années 70 mais pas seulement (rires)! Depuis qu’on a déménagé Presto, j’ai redécouvert mon appartement et ai pris plaisir à le redécorer. Dans la décoration ici au studio, on a trouvé plein d’éléments dans la rue ou dans les brocantes. On adore tous les deux chiner, on se rejoint aussi sur cette passion ! Moi plutôt dans les meubles, et Aurélien dans les vieux objets.
Aurélien : Oui, j’adore les vieilles choses. J’aime bien les vieux objets qui sont faits pour durer. Je suis toujours intéressé par le truc que personne ne veut, les choses un peu camelotes. Ca vient aussi un peu de là ma passion pour l’impression et les machines je pense… Les illustrations magnifiques qu’on peut trouver dans les vieux bouquins. Ce sont des choses que j’aime bien.
Un lieu où vous aimez aller ?
Aurélien : Le lieu que j’aime bien en ce moment c’est le Wonder à Saint-Ouen, c’est une espèce de squat artistique où sont régulièrement organisées quelques expositions et soirées. C’est convivial et pas cher. Il faudrait beaucoup plus de lieux comme ça à Paris et pas que ces lieux qui peuvent avoir des allures de squat et où finalement tout est cher. C’est vraiment un lieu où j’aime bien aller quand j’ai le temps.
Sarah : C’est difficile pour moi de répondre mais je dirais le salon annuel Emmaüs qui se déroule chaque été dans un lieu différent de Paris. Cette année c’était à la Porte de la Villette. J’adore chiner et ce lieu est idéal pour trouver de nouveaux objets ou meubles.
Une anecdote à nous raconter ?
Aurélien : Quand on travaillait dans l’appartement de Sarah, il y avait ses chats qui partageaient l’espace avec nous toute la journée dans les impressions. Un jour, un des chats a été un peu malade, il s’est assis sur une commande d’un client et a laissé plein de cacas sur les impressions…
Sarah : Le client ne l’a jamais su bien évidemment (rires). Mais c’est ce genre d’aventure cocasse qui peut t’arriver quand tu travailles de chez toi et que tu as des chats…
Un morceau que vous écoutez en ce moment ?
Aurélien : Le nouveau morceau de Frank Ocean, Ivy. C’est le tout nouveau morceau qu’on écoute en ce moment à l’atelier.
Sarah : Sinon on écoute plein d’autres choses aussi comme Mac Demarco, Allah Las, mais ça peut être aussi Booba ou encore Justin Bieber. On se laisse porter par tout ce qui passe. C’est très diversifié !
Une personnalité que vous nous recommandez de rencontrer pour un portrait 10point15 ?
Thomas Couderc et Clément Vauchez, du studio Helmo, ce sont des mecs en or à rencontrer. Ils sont graphistes et s’y connaissent vraiment. Toute leur démarche créative est gérée de A à Z, de la conception à l’impression et nous on aime ça. Ils s’intéressent beaucoup aux techniques d’impression et c’est aussi pour ça que ça marche pour eux. Ils ne se cloisonnent pas à la pure création. Et puis ils ont un super atelier à Montreuil qu’il faut aller visiter !