Peux-tu nous parler de toi et de ton activité, de ton univers en quelques mots ?
«J’ai l’impression que je me dois de raccorder ma personnalité à la signification de mon nom, c’est un défi assez béton !»
Je m’appelle Shanti Masud, ce qui signifie respectivement “Paix” et “Chance” en sanskrit et en persan. J’ai l’impression que je me dois de raccorder ma personnalité à la signification de mon nom, un défi assez béton! Je réalise des films, de différentes sortes, aussi bien muets que musicaux, courts ou plus longs, logorrhéiques ou silencieux, noir et blanc ou colorés, expressifs ou fantomatiques. Il y a toujours une sorte de paradoxe dans la manière dont je fais mes films. Pour l’instant c’est un peu un cinéma de “recherche” même si je n’aime pas trop le mot. Ça reste du court métrage, c’est-à- dire de l’essai. Je réalise aussi des clips.
Au départ, j’ai “appris” le documentaire à Paris 8. J’ai commencé à filmer les gens qui se trouvaient sur ma route, de manière assez brute, sans retravailler. J’ai filmé ma mère, un dresseur de serpents, des militaires, un vagabond que je voyais souvent… J’ai appris les codes de ce cinéma-là, j’étais très intriguée par ce que l’on appelle le cinéma direct, celui qu’on porte tout contre soi, en marchant, en ratant des trains, en faisant des histoires avec ça. Filmer en allant jusqu’à une certaine limite, de pudeur peut-être. J’aime le lien qui se crée entre le “filmeur” et le filmé, cette espèce de cordon ombilical qui est très important.
Dans chacun de mes films, la constance c’est la rencontre, la connexion, toujours, d’un personnage avec un autre. Donner les détails de cette rencontre, dans la sensation, par le jeu ou la présence des personnages, la composition de leurs cadres. L’univers dans lequel je me vois évoluer, c’est quelque chose de très ludique, de très intime, de très très précis. Dernièrement, j’ai réalisé ce film érotique “While the unicorn is watching me”. C’est une sorte d’hommage à un certain cinéma homoérotique, et en même temps c’est une continuité de ce que j’ai toujours fait, c’est à dire tracer des chemins de désir entre des visages et des corps, mettre en lumière des motifs tout aussi précieux que mystérieux. Et puis je voulais me trouver dans une situation humoristique et surprenante, bien que toujours sensuelle.
D’où te vient cette passion pour le cinéma et quelle est la personne qui t’a le plus influencée ?
Je crois que le cinéma a toujours un peu habité mes atmosphères, depuis l’enfance. Bon, je ne me suis pas dit à 5 ans “je vais faire du cinéma” mais c’était quand même un peu là. Et puis un ami important m’a fait découvrir ce que je n’apercevais pas alors de chez moi : le cinéma français. Quelque chose m’a happée assez vite et c’était un moment où j’avais brutalement besoin de savoir pourquoi je devais exister et ce qui me motivait le plus. J’ai découvert un certain cinéma français qui représentait pour moi quelque chose de très audacieux. A ce moment-là, j’ai visité un autre monde. Il y a eu d’abord Truffaut, j’ai été complètement saisie par les “400 coups” évidemment. Ce qui m’impressionnait c’était à quel point un cinéaste pouvait être capable de retranscrire une enfance difficile. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui me travaille, que j’aimerais vraiment prendre le temps de développer.
Parlant de déclic, j’ai été plus tard marquée très franchement par les films de Woody Allen. Je crois que c’est le premier cinéaste qui m’a fait rire et cela a été très révélateur et important dans ma vie. Le rire c’est quelque chose d’extrêmement vital, dont j’ai absolument besoin dans le cinéma, comme tout le temps dans ma vie d’ailleurs. C’est aussi quelque chose qu’il me semble difficile à mettre en chantier dans un film… Mon premier vrai fou rire au cinéma fut donc devant “Manhattan” : il y a une scène où Woody Allen rencontre Diane Keaton, elle vient de Philadelphie et représente à ses yeux une plouc qui se donne des airs de snob, elle lui parle d’art en évoquant Van Gogh et prononce “Van Gorr”. La scène d’après, il gesticule d’agacement en racontant cette rencontre à la jeune Mariel Hemingway. C’est une scène qui dit tout l’intérêt qu’il lui porte malgré son agacement… j’étais avec ma meilleure amie de l’époque, je ne sais pas pourquoi à ce point, mais on a roulé par-terre de rire pendant au moins un quart d’heure. Ça m’a donné envie de découvrir d’autres films drôles et probablement d’en faire, parce que c’est quelque chose vers lequel je vais aussi, lentement mais sûrement.
Je n’ai pas encore rencontré “la” personne qui a bouleversé mon rapport au cinéma, mais j’espère que je la rencontrerai un jour. Je peux dire que je me suis débrouillée toute seule, mis à part mes amitiés, les gens qui ont croisé ma route, et les auteurs qui accompagnent mes inspirations bien sûr. Ceci dit, l’inspiration est surtout une affaire de réminiscences, je me nourris de mes propres aventures. Je ne nie pas le fait que je sois entourée et de plus en plus soutenue. Des gens m’influencent au jour le jour, comme par exemple Olivier Marguerit, mon compagnon, musicien et compositeur de la musique de mes films. J’ai appréhendé avec lui un nouveau rapport à la musique, à l’image, avec les discussions qu’on peut avoir régulièrement. Et malgré mes goûts et avis dans le domaine, je m’en remets souvent à lui quand il s’agit de musique. Il y a aussi Tom Harari, mon chef opérateur, que je connais depuis 15 ans.
«Je suis assez heureuse de voir que mon entourage artistique est aussi souvent un entourage de proches, et je dois reconnaître que l’influence se trouve aussi là, parmi eux»
Je vois plutôt ça en terme de partage. Il y a des acteurs, des actrices que j’adore et qui m’inspirent énormément. Je viens de travailler avec une jeune comédienne que je trouve éblouissante, extrêmement touchante et d’une justesse magnifique. J’écrirai à nouveau pour elle, alors oui, c’est sûr, elle m’influence absolument. Tout comme Lucas Harari, mon “petit frère” aux multiples talents, Friedelise Stutte, ma muse allemande… Je suis assez heureuse de voir que mon entourage artistique est aussi souvent un entourage de proches, et je dois reconnaître que l’influence se trouve aussi là, parmi eux.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Ça dépend des époques. J’ai l’impression que plus le temps passe, plus j’ai envie de découvrir des choses. Parfois je suis hermétique à tout type de culture et parfois je m’y baigne. Après je trouve ça toujours un peu ridicule d’étaler toutes ses inspirations… Il doit y avoir quelque chose de secret aussi là dedans. Donc, je peux rester une heure au musée devant un horizon marin de Courbet, mais aussi devant un ballon géant de Jeff Koons, me souvenir avec émotion d’un album de “Tintin” ou d’un roman de Mishima, contempler à en pleurer un paysage super(sur)naturel ou passer ma journée au cinéma (j’ai récemment découvert certains des sublimes films restaurés de Mizoguchi, sûrement le plus grand cinéaste de tous les temps). Et puis, comme souvent, je peux être travaillée longtemps par les paroles d’une chanson, comme les mots de ce traditionnel interprété par Sandy Denny, “Banks of the Nile”, une chanson d’amour que j’aime plus que tout : “Oh hark! The drum do beat, my love, no longer can we stay, the bugle-horns are sounding clear and we must march away”… le récit d’une femme qui se travestit pour accompagner son homme au combat, magnifique et inspirant.
Sur quel projet travailles-tu en ce moment ?
Sur mon film “Jeunesse” dont je viens de terminer une première partie de tournage. C’est une vision assez fantaisiste de deux personnages de marins. J’avais lu une nouvelle de Conrad qui porte ce titre, et je ne sais pas de quelle façon elle m’a inspirée. J’ai le souvenir d’un livre d’aventure très dramatique et mon film ne l’est pas… j’ai essayé de faire un film comique! C’est un film qui s’amuse des clichés, assez déviant et très nostalgique. Finalement il y a tout ce que j’ai investi jusque là : de l’humour, de la couleur, de la mélancolie, des personnages farfelus. Et je vais un peu plus loin parce que j’ai travaillé en studio, dans un décor de bateau ahurissant, ce fut une très grande émotion de le découvrir là, qui m’attendait… “mon” bateau ! Nous venons d’achever le tournage qui a duré une grosse semaine à La Rochelle, avec un casting assez foufou. Il y a Lucas Harari et plein d’autres superbes acteurs-mystère, des pin-ups, et des animaux tout doux…
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Marin! J’adorerais vivre en mer, posséder un bateau.
«Être confrontée chaque jour à une sorte de pure vision aussi réelle qu’abstraite, c’est un truc dont j’ai toujours rêvé»
Il y a 4 ans, j’ai habité un mois en résidence dans un lieu incroyable à Ouessant. C’était un sémaphore, sorte de vigie militaire qui a été désarmée pour devenir une résidence d’écriture. C’était quand même une expérience assez forte ; une tour pour moi toute seule, sur une île très sauvage, très belle et très inspirante. Je travaillais là et je me disais que je pourrais aimer être gardienne de phare, ou femme marin–pêcheuse, pourquoi pas. Être confrontée chaque jour à une sorte de pure vision aussi réelle qu’abstraite, c’est un truc dont j’ai toujours rêvé. Et puis j’aurais la paix, la vraie, la bleue.
Un artiste ou un coup de cœur artistique à nous faire partager ?
Lucas Harari, qui vient d’être diplômé des Arts Déco, qui a écrit une superbe bd, “L’Aimant des montagnes” [pas encore publiée]. C’est assez mystérieux comme récit. Cela existera en deux parties, c’est encore assez timide dans le texte mais le dessin est très mûr, très maîtrisé. J’aime bien son personnage central qui est inspiré de lui, un mec assez mutique et déterminé à percer un mystère, l’histoire d’une quête dans les montagnes suisses. Je trouve ça très beau, les aplats sont magnifiques, de très beaux bleus, de très beaux rouges… J’attends de voir la suite.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Je ne sais pas ce qui m’a pris ce matin, mais j’ai écouté à fond la caisse “Ride on time” de Black Box ! Puis, dans mon excitation, une autre du même type (45 tours), “Eye of the Tiger”, qui est la musique de l’entraînement de Rocky (le film). On l’entend d’ailleurs dans “While we’re young” de Noah Baumbach, film un peu inégal mais parfois hilarant. Dans une scène, Adam Driver fait écouter ce morceau à Ben Stiller, qui lui répond “quand j’étais jeune c’était complètement ringard mais là y a un truc qui se passe !”. Et quand j’étais djette (avec mon amie Maria nous formions un duo de sélectorettes il y a plus de 15 ans, “Electrique Sylvie”) ce morceau, “Eye of the Tiger” on le passait tout le temps, ça surprenait les gens.
Sinon récemment, j’ai découvert ce morceau de Tobias Jesso : “Without you”, une ballade qui rappelle “Imagine” de Lennon, je la trouve complètement magnifique, le genre de chanson qu’on a l’impression de déjà connaître en la découvrant tellement elle est habitée. Ce garçon fait des chansons hyper fines et hyper romantiques.
Il y a une autre chanson qui ne me quitte plus, de Sufjan Stevens : “Death with dignity”, chanson sur sa mère, aussi douce que douloureuse, infiniment belle, difficile à écouter sans que je ne verse ma petite larme…
Une anecdote à nous raconter ?
Ça fait un peu midinette mais j’aime bien: l’an dernier Bill Callahan a chanté à la Cigale, et avec une amie on a réussi à trouver des sièges au premier rang. À un moment il se met à chanter une chanson qui s’appelle “Too many birds” et en l’entendant j’ai fondu en larmes, car cette chanson me remue vraiment beaucoup. À la fin de la chanson et à ma surprise il me désigne et me dit: “This one is for you”. Puis dit à l’audience “I saw her crying and she was drying her tears with her ticket”. Donc voilà, j’ai trouvé ça so charming. Je vous avais prévenus, c’était mon instant fan.
Une passion particulière ?
Mon activité principale à part faire des films et des gâteaux à la banane: je fais beaucoup le clown. Avec mes proches, mon amoureux, ma fille. Donc ma passion c’est peut-être tout ce qui s’y rattache : les films drôles, les choses drôles, les gens drôles…
Une personnalité que tu nous recommandes de rencontrer pour 10point15 ?
Bertrand Mandico, un réalisateur que j’ai rencontré il y a un peu plus d’un an lors du Festival du film de Fesses où nos films étaient projetés. On est devenu copains. Nos cinémas sont différents mais il y a des similitudes évidentes. Il fait des films en pellicule, assez magiques et mystérieux, plein d’humour et de bizarreries… C’est un vrai personnage dogmatique, très très rigolo. Il s’intéresse à la fabrication en tout point de vue, et a plein d’anecdotes très marrantes sur ses films. Il va bientôt réaliser son long-métrage autour des métamorphoses de marins en femmes, échoués sur une île mystérieuse si j’ai bien suivi… je pense que ça va être vraiment super. Nous nous attendons l’un l’autre dans nos tournants. Avec Yann Gonzalez, c’est vraiment quelqu’un dont le cinéma me parle aujourd’hui. Je pense surtout à son récent film court, “Notre Dame des Hormones”, interprété par un duo féminin assez “camp” et hilarant, une situation très cronenbergienne, qui met en scène la découverte d’un objet sexuel indéterminé, une prothèse visqueuse et poilue que j’aurais adoré concevoir pour un de mes films…