Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Yacine Bayan et je suis luthier. Je fabrique des guitares acoustiques folk, des guitares électriques et des basses. Originaire d’Egypte, je suis arrivé en France vers l’âge de neuf ans. J’ai ouvert mon entreprise de lutherie à Bordeaux fin 2010. J’ai d’abord installé mes premiers ateliers dans les appartements où je vivais, puis j’ai intégré celui dans lequel on se trouve, Guitars and co, en septembre 2014. C’est un espace de coworking, que je partage avec un luthier, sa femme qui s’occupe du magasin, et un électronicien. Notre pôle autour de la guitare est donc assez riche !
D’où te vient ta passion pour la lutherie ?
Je joue de la guitare depuis mes 12 ans, c’est un instrument que j’adore. Vers l’âge de 16 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la lutherie. Je me suis retrouvé à bricoler mes guitares à la maison, j’étais curieux de savoir comment elles étaient faites. C’est comme ça que j’ai commencé à toucher au métier. Après mon bac, j’ai commencé la formation qui m’a demandé beaucoup de rigueur. Elle m’a emmené à plusieurs endroits dont une école au Canada, à Québec. Après cela, j’ai travaillé comme apprenti pendant un an chez le luthier Claude Fouquet, en France. A la fin de mes études, je suis venu m’installer à Bordeaux où j’avais des amis.
«Je ne me fixe pas sur un mode d’expression artistique.»
Cet instrument me passionne tellement que je suis également guitariste dans un groupe de hip hop alternatif, qui s’appelle O’Styl, avec lequel je tourne pas mal. Guitare, basse, batterie et piano s’accordent pour mettre en valeur des textes de rap. Notre groupe s’engage toujours sur des sujets d’actualité.
Y a-t-il une personne qui t’a particulièrement marqué professionnellement ?
Sans nul doute Claude Fouquet, mon formateur. Nous étions trois à suivre un apprentissage intensif, 35 heures par semaine, dans son atelier. C’est vraiment lui qui m’a donné l’envie de continuer, d’aller jusqu’au bout. C’est aussi avec lui que j’ai appris à faire une guitare de A à Z, et surtout à aimer ça.
Sur quel projet travailles-tu en ce moment ?
Je viens de terminer un projet que j’ai entrepris en septembre 2014. Depuis pas mal de temps, j’avais envie de faire une série de dix guitares électriques, et de collaborer avec un ou une plasticienne pour faire l’habillage graphique de ces guitares. J’ai créé cette série, qui s’appelle Uranometria, avec une plasticienne bordelaise qui s’appelle Rouge. La seule contrainte qu’elle avait, c’était de trouver une thématique graphique générale qui pourrait être déclinée spécifiquement pour chacune des dix guitares. Elle a choisi de travailler sur la mythologie grecque et de représenter les neuf muses et la déesse Athena. Chaque guitare a son propre champ de couleurs et de motifs, selon le caractère qu’on lui prête dans la mythologie. Rouge a dessiné principalement sur la face arrière des guitares car c’est la surface la plus exploitable sans risquer de dénaturer l’objet même. Cette guitare, c’est un modèle très connu, une copie de Fender Stratocaster, la guitare électrique iconique par excellence. Nous avons voulu en faire un instrument de qualité en utilisant uniquement des bois nobles. Chaque courbe est travaillée et finie à la main.
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Je m’intéresse à la médiation culturelle. Ce genre de métier m’aurait intéressé je pense, travailler dans la culture, mettre en avant d’autres talents…
Quels sont les artistes qui t’inspirent ?
J’écoute de tout, il n’y aucun style de musique que je n’aime pas. Si je ne devais citer qu’un artiste, ce serait Ibrahim Maalouf. Cela fait quelques années que je suis un grand fan de son travail avec tout son groupe. Quand tu regardes la discographie d’Ibrahim Maalouf, chaque album a son univers propre. Du jazz au pop rock, il a une grande richesse musicale.
J’écoute aussi beaucoup de rap et de hip hop, du rock, et plein d’autres choses. Je ne me fixe pas sur un mode d’expression artistique. J’aime la culture au sens large, elle me nourrit énormément, je ne suis réfractaire à rien.
Un coup de cœur artistique?
Gael Faye, un artiste franco-rwandais qui fait du rap français, très bien écrit et vraiment poétique. Ce genre de rap, c’est un peu ce que l’on fait avec mon groupe de musique et c’est aussi ce que j’aime défendre. L’œuvre de Gael Faye est intéressante pour plein de raisons. Musicalement elle fait voyager dans des univers différents, de la musique traditionnelle africaine, à des sons beaucoup plus hip hop et contemporains. Ce qu’il raconte dans ses textes a quelque chose de très métissé, et peut nous parler à tous. Il fait ce que l’on appelle du rap conscient.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Free spirit d’Ibrahim Maalouf, Le temps est bon d’Isabelle Pierre, et Bandit Queen de Looptroop Rockers
Une anecdote à nous raconter ?
Il y a quelques temps, j’ai proposé à François Delporte, le guitariste d’Ibrahim Maalouf, de parrainer une des guitares Uranometria. Je lui ai envoyé un mail via le site d’Ibrahim Maalouf, lui disant que j’appréciais son jeu en tant que guitariste. J’avais oublié qu’un de mes amis travaille justement pour sa boite de prod ! C’est lui qui a reçu mon mail et qui a transféré ma demande à François Delporte. Ce dernier m’a rappelé le soir-même, me remerciant d’avoir pensé à lui, et me disant qu’il serait honoré de participer à ce projet. J’avais le sentiment que la situation était complètement inversée, c’était pour moi un tel privilège de l’avoir comme parrain !
Il a choisi la guitare Melpomène, la muse du chant. Ça a été compliqué de trouver un créneau pour se rencontrer car il habite en Belgique, et qu’il est tout le temps en tournée dans le monde. Par chance, il prenait exceptionnellement des vacances à Royan et m’a proposé de passer me voir à l’atelier. Je n’ai pas dormi la nuit précédent sa venue, tellement j’étais stressé. Finalement, on a parlé pendant deux heures, on s’est amusés et on a réalisé une vidéo de démonstration de la guitare, le tout dans une super ambiance. La vidéo n’est pas encore visible, elle le sera en même temps que les neuf autres… avec leurs neuf autres parrains !
Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Matéo MF, un auteur-compositeur résidant à Bordeaux. Il a une plume formidable, excentrique mais éloquente, et propose au travers de ses projets musicaux sa volonté de défendre l’individu en tant “qu’être unique”. Il appelle ça “la culture de l’étrange”… Mystère!