Peux-tu nous parler de toi, de ton univers, de ton activité en quelques mots ?
J’ai fondé Artistic Agitators en juin 2008, après 6 mois de recherche d’emploi infructueuse, pendant laquelle je me suis souvent fait dire que j’étais sur-qualifié. J’ai donc décidé, avec énormément de culot, de me mettre à mon compte et de prendre tous les contrats qui passaient. Dès qu’un client me demandait si j’offrais tel ou tel service, je disais oui, je prenais rendez-vous avec eux, et pendant les quelques jours qui me séparaient de la date du rendez-vous, je retournais la ville pour trouver “l’Agitateur” (des freelances) que j’allais engager pour exécuter avec moi le contrat. Comme je suis une personne perfectionniste et très exigeante, je ne travaillais qu’avec la crème de la crème. Pas seulement des personnes talentueuses et créatives, mais aussi des personnes dédiées à leur travail et respectueuses des délais. C’est ainsi qu’Artistic Agitators est devenue une sorte de label de qualité, une certification, approuvée par moi, et comme les clients faisaient confiance à mon jugement, ils ne remettaient pas en question l’équipe que je composais pour les projets. Artistic Agitators existe depuis bientôt 7 ans maintenant.
«J’immortalise des scènes réelles de vie, sans mise en scène ni artifice.»
Et puis, il y a The Guardians… J’ai photographié mon tout premier Gardien en août 2012, dans le métro de New York : Jainul. Je ne savais pas encore que cette photo allait déclencher un projet d’une telle envergure. Ce n’est que trois mois plus tard que je me suis mis à parcourir les rues de Paris à la recherche de ces artisans, ces commerçants, ces ouvriers. J’en ai documenté plus d’une vingtaine en 2 jours, et deux mois plus tard, je suis parti pour 3 mois afin de me consacrer à mes Gardiens à temps pleins. Aujourd’hui je sillonne les villes du monde entier pour découvrir ces horlogers, ces garagistes, ces collectionneurs, ces gardiens des temples urbains dans leur univers surchargé et coloré. J’immortalise ces scènes réelles de vie, sans mise en scène ni artifice. De ces rencontres spontanées, des liens se tissent, une confiance s’installe et certains deviennent même des amis, comme Baba par exemple, le cireur de chaussures haut en couleurs de la rue Jean Mermoz à Paris. Mon lieu favori quand j’y suis de passage. Je peux facilement y passer 15h par semaine.
D’où te vient cette passion pour la photo ?
J’ai toujours vu des choses à ma façon mais je n’avais pas de médium pour les exprimer et je ne savais pas dessiner. Quand j’ai acheté mon premier Reflex argentique en 2003 quelques semaines avant de partir à Montréal, je me promenais tout le temps avec et je shootais sur des films noir et blanc, tout ce qui attirait mon attention dans la ville. La première fois que je suis allé faire développer ma pellicule, le gars du labo m’a dit que mon film était surexposé. Je lui ai demandé ce que ça voulait dire, et c’est là qu’il m’a montré comment fonctionnait un boîtier Reflex argentique, avec l’ouverture et les vitesses. Je ne m’étais jamais posé la question. Je mettais juste un film et je déclenchais quand je voyais quelque chose d’intéressant. Quand je repense à ma naïveté de cette époque, je souris.Aujourd’hui, avec la démocratisation des appareils photos (et leur présence sur les smartphones), n’importe qui peut prétendre être photographe. Pour moi, l’appareil photo, qu’il soit sur mon portable ou Reflex, est mon troisième oeil, celui qui est capable de retranscrire ce que mes deux yeux organiques voient. Je ne fais pas qu’appuyer sur un bouton pour prendre une photo. En somme, mes albums photos sont une sorte de brouillon de ce qui se passe dans ma tête.
Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?
Je suis à fond sur The Guardians. Depuis 5 mois, je vadrouille un peu partout (Mexico, Los Angeles, Paris, Londres, Bordeaux et le Maroc) où je rencontre, photographie et recueille les témoignages de nouveaux Gardiens. D’ici la fin de mon voyage, j’aurai atteint environ 60 nouveaux portraits de ces gens, qui sont pour moi l’âme et le coeur de leur ville.J’ai hâte qu’ils envahissent plus d’espaces publics, comme c’est déjà le cas à Montréal, et que les gens prennent le temps de s’intéresser à eux. Je tiens à rappeler par ailleurs, que ce projet est financé uniquement sur des fonds propres.The Guardians représente également le Canada dans l’ouvrage The Other Hundred qui vient tout juste de paraître. The Other Hundred s’intéresse cette année à une centaine d’entrepreneurs du quotidien, dont les médias ne parlent pas forcément.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
J’ai toujours été fasciné par le cinéma, celui de Scorsese, de Coppola, de Chaplin… En 2001, j’ai décidé de suivre des cours à la Sorbonne. Je suis parti un mois avant la fin du cursus en 2003. Les étudiants étaient en grève pour une durée indéterminée… ça m’a saoulé ! Le cinéma reste pour moi une nourriture visuelle et intellectuelle. Je ne pense pas reproduire le travail d’un de mes réalisateurs favoris dans mes photos. Si c’est le cas, c’est très inconscient. Je me suis fait dire récemment que ma série The Guardiansétaient très “Krubrick-ienne” dans sa construction. Inutile de vous dire à quel point j’ai été touché par cette remarque.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ?
Ma mère sans aucun doute, parce qu’elle m’a toujours empêché de faire ce que je souhaitais. Nous avons toujours eu une relation conflictuelle. Elle essayait d’imposer ses choix, plutôt que de me laisser prendre mes propres décisions et faire ce que je souhaitais. Je suis donc parti à Montréal pour avoir la paix et essayer de faire ce que j’avais envie. Ma mère est décédée en octobre 2010 et depuis ce jour, croyez-le ou non, elle est intervenue à plusieurs reprises dans ma vie, et chacune de ses interventions m’a apportée des choses absolument incroyables. Je crois que si elle m’avait laissé faire ce que je voulais, je ne serai sûrement pas là où j’en suis aujourd’hui.
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Réalisateur ! Très jeune, je voulais raconter des histoires et je voyais beaucoup de films. J’étais fasciné par cet univers. Je pense, que sans le savoir, je cherchais une façon d’exprimer ma façon de voir la vie et la ville. C’est aussi simple que ça.
Un coup de coeur artistique à nous faire découvrir ?
Un artiste de New York que j’adore, Dain. J’ai d’ailleurs fait l’acquisition d’une de ses oeuvres en novembre dernier. C’est l’un des artistes de street art les plus brillants de la scène new yorkaise du moment. Je pense qu’il est en activité depuis environ 10 ans. Il est connu pour ses visages de femmes, composés de plusieurs visages. C’est de la technique mixte, principalement du collage. Sa signature est un cercle de couleur rouge autour de l’oeil de ses sujets.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Je me suis remis à écouter Placebo. Je les suis depuis que j’ai 15 ans (j’en ai bientôt 35!). J’adore les textes et la voix de Bryan Molko. Je suis très éclectique dans mes choix musicaux. En ce moment, “One of a kind” tourne en boucle. Je ne saurai pas trop dire pourquoi… Ahahah !
Une passion particulière ?
Le cinéma ! Les salles sombres ont toujours été ma deuxième maison. Très jeune déjà, j’y allais au moins une fois par semaine, souvent deux, et pendant les vacances, ça pouvait être encore plus. Je me souviens avoir vu sur grand écran Autant en emporte vent, Merlin l’enchanteur, SOS Fantômes 2, Jurassic Park, les Goonies, Maman j’ai raté l’avion, …Aujourd’hui, j’essaye d’y aller au moins une fois par semaine, comme je voyage pas mal c’est plus compliqué, mais j’y vais dès que je peux. J’ai récemment vu un petit bijou, It Follows de David Robert Mitchell, je ne vous dis rien mais si vous aimez les films d’horreur intelligents, foncez !
Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Casey Neistat, il est basé à New York. J’ai rencontré Casey par hasard, à New York, deux mois après avoir démarré Artistic Agitators. C’est une personne absolument géniale, autodidacte, à la créativité sans limite. Un génie pour raconter des histoires. Il a commencé à réaliser des vidéos bricolées avec n’importe quoi. C’est lui qui a dénoncé il y a une dizaine d’années, la durée de vie des batteries d’Apple dans une de ses vidéos. Je suis super content de voir qu’il cartonne. Il n’a rien volé à personne.