Walaa Dakak, originaire de Syrie, nous a accueillis avec une grande générosité au cœur de son atelier à Montreuil. En partageant une infusion au gingembre et à l’hibiscus, puis un repas syrien composé d’une soupe au yaourt de brebis qu’il nous a tout spécialement préparée, nous avons parlé de politique française et étrangère, de nos familles, et surtout de son art et de ce qu’il dit, ainsi que de sa vision de la vie.
Peux-tu nous parler de toi et de ton univers en quelques mots ?
Je viens de Jaramana, en banlieue de Damas et je suis arrivée en France il y a treize ans. Je suis laïque. J’ai deux sœurs et deux frères. Je suis artiste plasticien. Je travaille le fusain, l’encre de chine ou encore l’acrylique et l’huile. Je fais également des sculptures et des installations Quand je peins c’est comme une séance de psychanalyse. Je suis d’ailleurs également professeur d’art plastique auprès d’handicapés mentaux quelques heures par semaine dans trois structures différentes.En 2014, j’ai également fondé avec cinq autres personnes la Caravane culturelle syrienne. Le but est de promouvoir la culture et l’art contemporain syriens tels qu’ils sont et de défendre la démocratie au sens culturel du terme. Nous sommes un groupe qui ne veut pas dépendre d’un système. Nous sommes une cinquantaine de membres de toutes disciplines confondues (plasticiens, acteurs, musiciens, cinéastes, écrivains, etc.). Nous nous sommes produits dans de nombreuses villes de France mais aussi à Milan, Berlin, Oslo, San Sébastien… avec entre autres des expositions, des soirées musicales, des spectacles de rue, des projections de films, de la poésie ou des débats…«Quand je peins c’est comme une séance de psychanalyse»
Quel a été ton parcours ?
J’ai obtenu mon diplôme de l’école des Beaux Arts de Damas spécialité gravure en 2003. J’ai ensuite décidé de venir en France car ce pays représente jusqu’à aujourd’hui le centre de l’art, mais aussi bien sûr pour son charme. J’ai validé une licence en 2006, puis un master en art contemporain à Paris VIII en 2008.Je prépare actuellement une thèse à l’université de Paris I en Arts et sciences de l’art esthétique ; c’est une analyse de mon travail. J’ai réalisé ma première exposition individuelle en France en 2006, à la galerie Arteconte à Saint-Germain-des-Prés, puis une seconde en 2007, au Centre Culturel Arabo-syrien. J’ai ensuite connu une période difficile. Je n’avais pas d’espace pour travailler et peu d’argent. J’ai envisagé de rentrer en Syrie. Finalement, j’ai obtenu un atelier à la Cité internationale universitaire de Paris, Porte des Lilas, en 2010. En 2012, j’ai fait une exposition au Qatar. J’ai participé à deux expositions collectives à l’Institut du Monde Arabe en 2013 puis en 2014 avec Syrie : CRIS-Action, Artistes en création. A l’automne 2016, j’ai participé à la biennale d’art contemporain, le Génie des jardins à Bastille. Par ailleurs, de 2010 à 2012, j’ai été correspondant en France pour l’Agence de presse syrienne. C’était un travail prestigieux mais je n’étais pas tranquille : pour faire ce travail, tu dois adhérer complètement aux idées du pouvoir en place. C’est le principe même d’un système dictatorial. Tu te sens continuellement observé, tu en deviens paranoïaque.Que représentent les yeux et la pluie dans ton travail ?
Les yeux représentent justement la paranoïa, les cauchemars qui naissent du fait d’être constamment surveillé. Je me souviens que dans le bureau de l’agence de presse il y avait un portrait de Bachar el-Assad. Il y en a partout, tout comme des statues du président. Les yeux nous regardent, nous observent, nous surveillent. Ce sont ceux de la police secrète. Ils représentent l’oppression, l’horreur, la dictature.«Je peins des gouttes de pluie suspendues en plein air pour laisser imaginer ce qui se passe ensuite»La pluie quant à elle représente l’attente. En Syrie, la pluie est très attendue. Elle est le plus ancien symbole d’attente dans les anciennes méthodologies. Elle représente un temps en suspension. Mais je crois que tout est en suspension … Les connexions apparentes ne sont qu’une stabilité insaisissable. Les situations sont continuellement dépendantes les unes des autres, nous vivons dans un état d’anticipation … Que ce soit par notre espoir de vivre, ou dans l’attente d’un soulagement par exemple. Je travaille sur le moment où une goutte de pluie rejoint la terre : est-ce un instant de naissance ou un écrasement qui se manifeste dans les ondulations qui se répètent ? Je peins des gouttes de pluie suspendues en plein air pour laisser imaginer ce qui se passe ensuite, sans chercher à appréhender ce qui est la vérité ou ce qui est la réalité.Elles sont aussi quelque part l’attente d’une révolution qui n’est pas venue au moment du Printemps arabe. Elles sont l’attente d’un prochain réveil.
Quelles sont tes influences artistiques ?
Egon Schiele, peintre autrichien de la fin du 19ème siècle, début du 20ème, a été une référence visuelle pour moi à l’école des Beaux-arts. Sinon je n’ai pas de modèle. Je vais voir des expositions, je lis beaucoup sur les sujets auxquels je suis sensible, comme 1984 de George Orwell.«Je ne cherche pas beaucoup avant de commencer une nouvelle œuvre.»Je travaille beaucoup. Et quand ce que je suis en train de créer me plaît, j’arrête. Je ne peins pas quelque chose de prédéfini. C’est une expérience. Je ne cherche pas beaucoup avant de commencer une nouvelle œuvre. Pour moi, quand un artiste sait à l’avance ce qu’il a envie de faire, c’est que c’est conscient et alors son travail est fini.