Peux-tu nous parler de ton activité de ton univers ?
Mon univers est celui de l’imprimerie. En effet, cela fait plus de 20 ans que je travaille dans l’imprimerie à proprement parler, et depuis un peu moins d’un an, mon associé et moi avons monté l’atelier Bulk. Mon associé, Florent Larronde, s’occupe de la partie graphique de l’atelier, et moi je suis la caution productive, artisanale et mécanique, je suis à la réalisation.
En créant cet atelier, nous voulions pouvoir faire du sur mesure mais aussi redécouvrir – et en quelque sorte réinventer – un artisanat noble, une façon de travailler et un savoir faire qui ont été malheureusement un peu oubliés.
A l’heure actuelle, nous évoluons dans une société où tout va très vite; il y a une demande du client, on y répond au plus vite et on passe au client suivant; cela devient presque de l’exécution de commande. Avec notre atelier, nous voulons prendre le temps d’appréhender la commande et nous donner ainsi les moyens de faire de belles choses, d’où cette idée de «sur mesure».
L’imprimerie est dans l’embellissement, c’est-à-dire que nous travaillons les procédés typographiques tels que le gaufrage, le foulage, la dorure, la découpe et le contre-collage. Nous utilisons à la fois des techniques traditionnelles telles que l’impression typographique et des techniques modernes comme la découpe laser.
Pour moi, cet atelier, c’est un peu le “kiffe” ultime de tout artisan; c’est-à-dire que maintenant, j’ai la liberté et les moyens de choisir ma direction artistique et productive. Comme je l’ai dit précédemment, nous ne répondons pas aux commandes des clients de manière «stalinienne»; nous recevons les clients et nous les aidons à concrétiser leurs idées. Je n’imprimerais jamais un fichier que l’on me fournit «prêt à imprimer» et je mets un point d’honneur à toujours avoir une phase préparatoire de tests et de prototypes.
Notre atelier fournit aussi un travail de conseil et d’accompagnement, le but étant que le boulot livré réponde à 100% aux attentes du client – 200% voudrait dire que je me la joue un peu trop – (rires).
J’ai mûri ce projet d’atelier pendant presque une dizaine d’années, et j’ai attendu le bon moment pour le lancer. Je pense que dans la vie, pour un projet comme ça, tu n’as le droit qu’à un seul tir. L’entreprenariat est une machine qui te presse complètement, et si tu n’as pas réussi du premier coup et que tu te loupes, ça annihile toutes tes envies, tous tes désirs.
«Mes amis me surnomment même parfois «le suisse allemand» pour ma rigueur.»
Au final, j’ai plutôt vocation à bien travailler qu’à monter une entreprise florissante à gagner des millions. Je ne dis pas non plus que je suis philanthrope, j’aime la «money», mais quitte à faire de la «money», autant que cela soit de la manière la plus noble possible (rires).
J’aime tout simplement le travail bien fait et le façonnage, un peu comme dans les pays nordiques où il y a cette culture du travail bien fait. Mes amis me surnomment même parfois «le suisse allemand» pour ma rigueur. En effet, je crois que «rigueur» est le maître mot de mon travail.
D’où te vient cette passion pour l’imprimerie et les machines ?
Je crois que c’est une passion que j’ai depuis tout petit.
Mon père était très manuel et fin bricoleur. Il avait un petit bureau où il s’amusait à faire notamment des maquettes et des objets miniatures. Et j’ai des souvenirs de moi très jeune en train d’utiliser toutes ses machines et tout son matériel. A tel point qu’il a fini par m’interdire l’accès à son bureau.
Et puis il me fallait toujours des jouets à moteurs, des trucs téléguidés; et systématiquement, je démontais tous les cadeaux que je recevais pour ensuite les remonter. J’avais déjà ce besoin de comprendre comment les mécanismes fonctionnent. Évidemment, jeune, j’avais bien plus de mal à remonter qu’à démonter, et au fur et à mesure, avec le temps, je faisais l’opération aussi facilement dans les 2 sens.
En ce qui concerne l’imprimerie, j’y suis arrivé un peu par hasard. J’ai eu un parcours de vie assez cahotique, et il a fallu que je trouve du boulot très jeune. J’ai donc commencé par l’apprentissage vers 16, 17 ans, car c’était le boulot en alternance qui me paraissait le moins ingrat.
Y a-t-il une personne qui t’a particulièrement marqué ou influencé professionnellement ?
Mon premier patron, chez qui j’ai travaillé pendant 5 ans, dont 4 ans en alternance (ce qui est un cursus assez long).
Lui, à l’époque, était dans une dynamique de luxe et d’embellissement, et c’est grâce à lui que j’ai appris à travailler «à l’ancienne», c’est-à-dire avec des méthodes traditionnelles, et à la dure, car l’apprenti – un peu considéré comme une “sous-merde” – devait faire ses preuves. Et malgré ces difficultés et la rudesse du travail, je serrais les dents en me disant «ferme-la, ce n’est pas grave; tu auras ton heure, et en attendant, mets-toi en mode éponge et emmagasine le maximum d’infos».
Et c’est très drôle, car après des années passées aux côtés de mes maîtres d’apprentissage, maintenant que j’ai ma propre société, c’est moi qui les fais travailler.J’aimerais bien transmettre mon savoir à mon tour. Notre travail est tellement spécifique que ce n’est plus enseigné dans aucune école. Il n’existe plus de formation dans ce domaine. Le métier d’imprimeur – traditionnel – fait partie de ces métiers oubliés, et le seul moyen de l’enseigner est donc par l’apprentissage, par la transmission de savoir. Les apprentis doivent alors être vraiment motivés, car c’est un métier de labeur, avec certains codes dont le respect, la rigueur et l’humilité.
Quelles sont tes inspirations ?
Toutes nos inspirations sont dans le renouvellement. Par exemple, un graphiste s’inspirera de ce que d’autres ont déjà fait, et réadaptera le tout à sa sauce, ainsi de suite. Et bien pour nous imprimeurs, c’est pareil; il y a toujours une notion de «pompage», c’est comme ça, c’est indéniable.
«Je suis la petite cerise sur le gâteau qui va faire que la pièce montée sera différente.»
L’imprimeur artisan met à profit son savoir faire au service d’une idée créative. Il s’approprie l’idée à proprement parler pour pouvoir en tirer le meilleur et la révéler, la concrétiser. Et c’est là que je me qualifierais comme un artisan hors pair, un artisan d’exception – avec une grande humilité – (rires). J’essaie d’améliorer, de sublimer ce que le graphiste m’apporte. Je suis la petite cerise sur le gâteau qui va faire que la pièce montée sera différente. C’est un peu comme un travail à quatre mains entre le graphiste et moi finalement.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Nous avons un projet vidéo en collaboration avec deux créatifs qui s’appellent Benjamin Juhel et Julien Roques, qui consiste en la réalisation d’une série de vidéos rétrospectives retraçant tout l’artisanat noble, l’artisanat de main.
Au départ, Benjamin Juhel était un client de l’atelier; c’est ainsi qu’il a pu voir notre travail et notre ligne artistique, et qu’il nous a proposé de participer à ce projet. L’Imprimerie est devenu le premier opus de la série de documentaires que produit “Maison Mouton Noir”.
Nous sommes une entreprise toute nouvelle, et dans un avenir proche, nous aimerions régulièrement développer des partenariats avec des artistes – et pas uniquement des artistes du domaine des arts graphiques -. Le principe serait de laisser carte blanche à l’artiste, et lui donner tous les moyens techniques que l’on possède pour qu’il puisse réaliser son projet.
Je suis évidemment dans une démarche économique avec mon entreprise, mais je tiens à m’accorder du temps pour des projets purement artistiques (donc non lucratifs), comme une sorte de partenariat, ou de mécénat, et ainsi me dédouaner des «diktats» habituels (commandes, délais,…), et me faire tout simplement plaisir.
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
La mécanique est l’histoire de toute ma vie, mais j’aurais rêvé de pouvoir travailler le bois. Je trouve que le bois est le matériau le plus noble qui soit, et j’aime ce mélange de tactile et d’olfactif. Et puis le bois est un peu moins salissant que la mécanique, il n’y a pas de graisse (rires).
J’aurais donc aimé être menuisier.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute beaucoup Rock The Casbah, des Clash, surtout au boulot.
Une anecdote à nous raconter ?
Comme je te l’ai dit, la mécanique est l’histoire de toute ma vie. Et il y a un peu plus d’un an, j’avais retapé une vieille voiture allemande de collection – une vieille Porsche -, et figure toi que j’ai failli la vendre au sosie officiel de Johnny Hallyday : Johnny Vegas ! Je ne m’en étais pas rendu compte jusqu’au moment où il est venu voir la voiture à la maison, et cela m’a fait beaucoup rigoler ! Bon, il ne l’a finalement pas prise, mais j’aurais trouvé ça bien drôle que Johnny Vegas roule dans une voiture que j’ai retapée ! (rires)
Un lieu où tu aimes aller ?
J’aime bien aller à la découverte de vieux bâtiments abandonnés, et plus précisément les vieilles usines; les vieux entrepôts désaffectés; ces lieux chargés d’histoire qui ont finalement un lien avec la mécanique (je m’en rends compte à l’instant).
En découvrant ces vieux bâtiments abandonnés, je me plonge dans un imaginaire, et me demande ce qui s’y est passé, combien de personnes y ont travaillé et comment, combien de temps cela a duré… Ce sont des moment un peu intimes où je me plonge dans mon imagination.
Je fais beaucoup de moto, et c’est en me baladant que je tombe par hasard sur ce genre d’endroit.
Une personnalité à interviewer pour 10point15 ?
Guy Cumenal, un imprimeur qui a son atelier à Bordeaux. Ce monsieur de 84 ans qui est toujours en activité a connu bon nombre de générations d’imprimeurs; il est un peu le parrain des imprimeurs.
Son atelier est complètement fou : quand tu y rentres, tu fais directement un bon de 50 ans en arrière. Il travaille donc toujours, et quand il n’est pas dans son atelier, il explique qu’il fait le commercial en jouant au golf (rires).