Peux tu nous parler de toi et de ton activité ?
Je m’appelle Christophe Luez, je suis graphiste de formation et je suis arrivé dans la belle ville de Bordeaux en 2015 après avoir pas mal sillonné la France et ses alentours en vélo. À la sortie de mes études, j’ai eu besoin de me balader et je me suis fait des Paris Marseille ou encore Paris Bruxelles à vélo. J’ai atterris ici par hasard, suite à une invitation de copains qui avaient besoin de renfort sur des animations pour une vidéo de skate. Je ne devais rester que 3 semaines et finalement je ne suis jamais parti. J’avais fait un peu la même chose à Marseille où 3 semaines se sont transformées en 5 mois (rires). Mais maintenant j’ai trouvé ma ville à Bordeaux !
Mon activité est principalement axée autour du design textile. Je collabore depuis ses débuts avec la marque de skate Olow. Je travaille sur l’ensemble de leur communication, du design de vêtements aux catalogues en passant par le design de leurs vitrines, etc.
Bon, cela ne répond pas à la question de qui je suis mais en même temps, je me défini plus par ce que je fait. C’est pour ça que je suis déjà en train de raconter ce que je fais (rires).
Je me défini aussi comme un putain de skateur, pas dans le sens “un bon skateur” mais plus comme un enfoiré de skateur, paria de la société aliénée et malade que nous fournit la doctrine capitaliste (rires).
Humm, peut-on revenir un peu plus sur ton parcours ? Comment en es-tu arrivé à travailler autour de l’image en général ?
Ce que je vais te répondre est un peu bête mais je crois que c’est grâce au fait que j’ai attrapé la coqueluche à l’âge de 10 ans. C’est une maladie hyper contagieuse, où tu tousses beaucoup et j’ai dû pour des raisons sanitaires être viré de l’école (rires). Je me suis retrouvé coupé de mon environnement social sans possibilité de me défouler car en parallèle je m’étais cassé le bras. Je me suis donc mis à beaucoup dessiner pour m’occuper, et mes parents m’ont inscrit dans la foulée à des cours de dessin. J’ai toujours dessiné mais le fait de prendre des cours m’a mis un pied supplémentaire à l’étrier.
Mon parcours scolaire a toujours été divisé entre deux ambitions : vouloir devenir prof de sport ou graphiste. Avec le recul, je me dis que cela aurait été un enfer d’être prof de sport (rires). D’un autre côté j’étais un peu “l’artiste de la famille”, j’avais envie de faire ce qui me plaisait. J’ai toujours été partagé entre ces deux ressentis. D’autant plus que j’adore transmettre, c’est hyper important pour moi, mon idéal serait peut être de devenir prof de graphisme (rires) ! C’est vraiment un truc qui me plairait.
«Je pense qu’aujourd’hui on peut et on doit créer notre propre métier»
Je ne me considère pas comme graphiste mais comme designer en général. J’estime que tous les graphistes sont des designers en général. Il y a énormément de transversalité dans les arts et les métiers créatifs. Je pense qu’aujourd’hui on peut et on doit créer notre propre métier. La spécialisation n’est pour moi pas une bonne option. On peut se créer une place en mixant ses envies et ses connaissances. Si je dois réaliser un clip demain je me sens capable de le faire avec mes propres moyens.Pour moi il faut créer sa place et se créer un métier. Je n’ai pas envie qu’on me catalogue comme graphiste ou designer, je suis juste moi et je fais mes propres trucs. Je pense que d’une manière générale les gens devraient plus s’attacher à ça qu’aux titres.
Ce côté “Do it Yourself” dans tes créations, tu nous en parles ?
Je me retrouve dans l’idée de se débrouiller soi-même propre au “Do It Yourself”. Cependant, si ça se voit que je fais du Do It Yourself c’est surtout à cause du manque de moyen financier mis en oeuvre dans mon travail. Par exemple, quand un client me demande de travailler sur de la scénographie, je pourrais très bien faire fabriquer des supports puis imprimer dessus mais si avec un budget optimisé je peux me débrouiller avec de la peinture et du bois, le résultat sera d’autant plus impressionnant. Si j’avais plein de thune je ferais mon travail plus proprement (rires) mais comme j’ai tendance à en faire toujours un peu plus que la demande initiale, j’arrive souvent aux limites de budget imposé.
«Le design pour moi, c’est vraiment trouver les meilleures solutions avec des contraintes et un budget donné»
Le design pour moi, c’est vraiment trouver les meilleures solutions avec des contraintes et un budget donné. C’est vrai que le côté débrouille rejaillit à chaque fois.
Quelles sont tes inspirations ?
Je suis complètement fan du travail de Stefan Sagmeister ! Ce mec là est une réelle machine. Il peut faire des typographies avec du sucre, avec des pièces de monnaies, puis il va s’intéresser à des travaux vidéos avec des matières qu’il laisse tomber et s’éclater au sol, etc. Je trouve des similitudes entre son travail et le mien, avec une grande différence de talent bien sûr (rires), dans le sens où il ne se limite pas qu’à une seule discipline dans son travail. Il est sans cesse en recherche de surprise dans ses productions et cela passe forcément par des phases d’expérimentation. Je me retrouve bien là dedans car j’ai besoin sans cesse de nouveaux challenges. Je n’aime pas recommencer ce que j’ai déjà fait, ça m’excite beaucoup plus de faire quelque chose que je n’ai jamais touché auparavant.
Pour Olow par exemple, je fais des catalogues deux fois par an pour leurs collections. Cette année, ils étaient un peu short niveau temps et budget pour finaliser les impressions donc ils m’ont demandé de faire mon travail classique juste avec un PDF pour le diffuser sur les tablettes des commerciaux. Moi, dans mon approche, je trouvais ça réducteur de faire quelque chose qui ressemble à un livre mais qui ne serait jamais utilisé comme tel. Pourquoi on essaie pas d’inventer autre chose ? Du coup, je vais me lancer dans la réalisation d’une sorte d’application interactive et je vais être excité d’aller sur Youtube, de regarder des tutoriaux pour apprendre à le faire ! J’aime rajouter des cordes à mon arc, pas forcément dans un souci de me professionnaliser mais vraiment par curiosité.
Après en peinture, j’ai une référence très classique mais magistrale pour moi, c’est Matisse. J’aime la confrontation d’aplats de couleurs, le découpage, les couleurs tranchées et la simplicité de son trait, cela me parle vraiment.
Sinon j’aime les gens qui font des trucs bêtes, je suis fan de Philippe Valette et de ses BD avec Georges Clooney. Je pourrais te citer aussi le tampographe Sardon qui est une vraie référence pour moi.
Enfin, j’apprécie énormément l’oeuvre de Raphaël Zarka, un plasticien français à la fois photographe, sculpteur et vidéaste. Il a beaucoup travaillé à théoriser le skateboard sur 3 livres : Chronologie lacunaire du skateboard, La Conjonction interdite et FREE RIDE, Skateboard, mécanique galiléenne et formes simples. Il définit le skateboard en tant que jeu et étudie son rôle au sein de la société. Il m’a appris le skateboard alors qu’il n’en fait qu’un tout petit peu, c’est vraiment des ouvrages à découvrir !
Quels sont tes projets en cours et à venir ?
Je viens de finaliser l’identité globale du festival bordelais Ahoy en collaboration avec le Bureau Parade. Disons que l’on a co-écrit ce projet, moi j’ai pondu des illustrations, on a fait des rendez-vous et on s’est questionné sur ce qu’il fallait mettre en avant pour une opération de communication réussie et cohérente. Ensuite, on s’est dispatché le travail. Je me suis occupé de tous les supports sauf de tout ce qui touchait à la mise en page qui, heureusement, a été traité par leurs soins. C’est une expérience qui m’a beaucoup appris car eux ne sont pas vraiment branchés illustration et de mon côté je ne me sentais vraiment pas les épaules de faire des mises en page et du traitement typographique aussi solide.
Comme je te le disais, je m’occupe également de la co-direction artistique de la marque de skate Olow. J’assiste tout le process de collection avec eux, des premières ébauches jusqu’à la finalisation des supports imprimés et la communication sur les médias. Je planche en ce moment sur la collection printemps-été 2019.
J’ai aussi un super projet dans les tuyaux avec la création de l’identité d’un restaurant à Paris pour le grand cuisinier Christophe Saintagne. C’est un ancien élève d’Alain Ducasse, il a été mis à la direction de l’Athénée Plaza où il devait obtenir les 3 étoiles, il les a eu, il a été mis à la direction de 30 restaurants dans le monde par Mr Ducasse… Bref, du très lourd et il ouvre son troisième restaurant à Paris prochainement. Je vais collaborer avec une collègue, Cécile Jaillard là dessus. Le chef nous a un peu guidé sur ses envies mais on va avoir une grande liberté d’action avec un regard sur la décoration, les matériaux utilisés, les petits détails, etc. Affaire à suivre !
Je travaille également de plus en plus avec des tampons que je grave moi même. J’adore en faire ! Pour moi le tampon c’est un peu la sérigraphie du pauvre (rires).
Dans la cadre d’une collaboration avec Sophie Kenko je grave des tampons, les gens composent ensuite leur propre motif par combinaison et Sophie réalise des tatouages sur ses clients. Les gens nous surprennent à chaque fois.
Une anecdote à nous raconter ?
J’ai rencontré le groupe Odezenne il y a quelque temps et ils m’ont demandé de participer à une exposition collective au sein des Vivres de l’Art à la maison Pip. En fait, ils voulaient que j’expose mon travail là bas, mais moi, comme je n’aime pas faire ce que j’ai déjà fait, je n’aime pas montrer mes vieux travaux non plus. C’est bien trop tôt pour faire une rétrospective de mon travail !
Mon idée initiale fut de retranscrire ma chambre qui à l’époque étaient mon atelier de travail. J’ai amené un matelas, un sac de couchage et j’ai dormi sur place. Je savais que j’avais besoin de m’imprégner pour trouver mon idée.Du coup, je me suis retrouvé à dormir dans la galerie, dans une pièce avec 80 m2 de murs et je me suis demandé pourquoi j’étais là. J’ai répondu moi même à cette question en me disant que le problème c’est que je disais toujours oui à toutes les propositions (rires). C’est lié à mon rapport obsessionnel avec le taff, j’en veux toujours encore et encore. J’ai donc voulu traiter cette idée de l’obsession via la problématique suivante : à quel moment une obsession te fait faire des trucs bien et à quel moment cela te détruit.
Ma réponse c’est que j’ai gravé ce petit tampon “ENCORE” pour tamponner tout l’espace qui m’était alloué avec. J’avais le droit d’intervenir sur les murs mais je devais les laisser vierges en partant, du coup j’ai utilisé une encre UV qui ne se voyait pas à la lumière du jour. Toute mon expo était en lumière noire. J’ai tamponné des dizaines de milliers de fois ce motif.
Le premier soir, j’ai eu ma première et seule grande crise d’angoisse. Après avoir tamponné 1 m2 en 3 heures, je me suis rendu compte que mon projet était bien trop ambitieux : je travaillais près d’une enceinte et je me suis suis explosé une oreille, je travaillais sous la lumière UV avec une lampe frontale sur la tête et quand je fermais les yeux j’avais des réminiscences de ce mot “ENCORE” et pour parfaire le tout, je me suis fait une tendinite à chaque épaule.
Quand je me suis couché, j’étais impotent, je ne pouvais me mettre dans aucune position, j’avais mal partout, un acouphène et des nuages éparses du mot “ENCORE”. Je pensais réellement à appeler le Samu. Au final, mon petit frère m’a appelé dans la soirée et dès le lendemain il a pris le train de Paris à Bordeaux pour me prêter main forte pour finaliser ce projet. Mon petit frère, il fait 2 mètres donc il m’a été d’une grande aide (rires).J’avais tellement la honte de faire un travail sur l’obsession et de l’abandonner au bout d’une soirée, avec 1m2 de mur recouvert, les deux bras morts, l’oreille en vrac... Un grand moment (rires).
Ca a été un moment assez important de ma carrière, une vraie performance alors qu’au départ ça devait être une exposition de travaux plutôt classique.
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Il y a tellement de métiers qui m’intéressent... J’ai envie de répondre tous les métiers mis à part ce qui est lié au commerce. C’est à cause d’eux que j’ai du mal à négocier mes prix (rires). Ils sont formés à la négociation, comment veux-tu que je rivalise ?Sinon, plus sincèrement, un métier scientifique. Je suis passionné de physique, j’aurais vraiment aimé être chercheur. Avec un ancien colloc qui est maintenant au Massachusetts Institute of Technology à Boston, on a passé tellement de nuits à discuter de la porosité de la recherche entre science et art. C’est exactement les mêmes désillusions, les mêmes joies, les mêmes processus où tu te retrouves des fois à faire marche arrière pour mieux allez en avant après. Tu peux être très proche de ce que tu cherches sans porte pour y accéder !
Un lieu où tu aimes aller ?
J’adore “cette jungle qu’on appelle la rue” (rires). En vrai, j’aime la rue de manière générale. Je ne me déplace qu’en skateboard et j’aime tracer d’un point A à un point B tout en regardant ce qui m’entoure. S’il y’a bien un truc qui me ressource c’est de rouler dans la rue. Dès que l’on me donne rendez vous dans un lieu éloigné, j’adore ! Et c’est pour ça que j’arrive souvent transpirant à tous mes rendez vous ! Je pourrais tout arrêter sauf le skate.
Qu’est ce que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute beaucoup tous les artistes de l’écurie Discohalal, Autarkic, Simple Simmetry…
Une personnalité à nous recommander ?
Pierre Dauge, de l’atelier Dauge, il est ébéniste à Bordeaux et il est vraiment appliqué dans son travail. C’est un ami que j’estime beaucoup.