Peux-tu nous parler de toi, de ton activité de designer et de ton studio ?
Je suis designer et scénographe depuis 10 ans mais ça n’a pas été ma première activité. J’ai d’abord commencé par des études à l’ESSEC, puis à Science Po. Lorsque j’ai terminé mes études et que j’ai commencé à travailler dans le domaine dans lequel j’étais diplômée, je me suis rendue compte que je n’avais plus le temps de créer et de bricoler, ce que je faisais depuis toute petite avec des activités comme la sculpture, la calligraphie et la menuiserie. C’est à ce moment-là que j’ai compris que cette liberté de créer était plus importante que le reste et que j’ai décidé de me réorienter. J’ai bien aimé ce premier domaine d’activité mais j’ai préféré mettre la création au centre de mes occupations et de mes activités.
J’ai donc passé le concours de l’ENSCI-Les Ateliers à Paris en 2003. En parallèle, je travaillais en tant qu’administratrice au studio des frères Bouroullec à mi-temps, ce qui me permettait de voir comment fonctionnait un studio. Pour mes projets de fin d’études j’ai présenté Duplex, Fiat luxe et Tri3, des projets qui étaient tournés autour de la surprise. Je suis sortie diplômée en 2007 puis j’ai continué à travailler comme administratrice chez les Bouroullec pendant une année ou deux.
En 2008, j’ai reçu le Grand Prix du Design de la Ville de Paris ainsi que le Prix du Public à la Design Parade de la Villa Noailles et deux Aides à Projets du VIA.
Mes premières productions en tant que designer datent véritablement de 2009, année où j’ai décidé de monter mon entreprise en SARL. Cette année-là, j’ai été nommée Designer de l’année au Salon Maison & Objet et ai également obtenu le Audi Talents Award.
«C’est à ce moment là, que j’ai compris que cette liberté de créer était plus importante que le reste (…).»
Depuis, je travaille sur des projets différents allant du design d’objets industriels à la création de scénographies d’expositions. Côté design, je collabore avec de nombreuses maisons d’édition de mobilier françaises et étrangères telles que Petite Friture, Moustache ou Tectona. Côté scénographie, je conçois des projets tant pour des institutions culturelles telles que le musée des Arts décoratifs ou le musée du Quai Branly, que pour des marques comme les Galeries Lafayette. J’ai développé aussi des projets de scénographies de spectacles pour la Compagnie Wang Ramirez ou encore le danseur et chorégraphe Angelin Preljocaj. Souvent je confesse que les projets viennent à nous, mais il faut aussi les gagner à travers des appels d’offres notamment.
Bien évidemment tous ces projets ne pourraient se faire sans le travail de l’équipe qui m’entoure. Alors bien sûr il y a des idées de départ que j’initie, mais elles sont ensuite partagées, discutées et travaillées en commun. Je pense que si les projets sont aussi bons c’est grâce à mon équipe exceptionnelle. Il y a beaucoup de choses qui passent par le filtre de tout le monde, d’un coup une idée arrive et tout le monde réagit dessus. Je pense qu’on peut dire que les objets que l’on crée sont dans cette même harmonie parce qu’on est très soudés. On se complète très bien et on se connaît très bien aussi. Aujourd’hui, on est nombreux mais en réalité, on est 5 au studio : Lucie Verlaguet notre administratrice, Avril de Pastre et Amandine Peyresoubes qui sont designers, Manuel Becerra qui est architecte designer et moi-même. Après il y a des personnes qui sont de passage en fonction des projets en cours, des gens qui sont là en free-lance ou en stage ou bien encore pour des aides ponctuelles. On peut très vite être 10 à l’agence finalement ! (rires)
Dès que je fais un dessin, tout le monde comprend tout de suite dans quel sens je veux aller. On travaille sur l’idée, Amandine et Avril redessinent derrière moi et je reviens ensuite sur leurs idées, ce qui permet de progresser dans le projet et de savoir où on va dans un sens générale. C’est de la temporalité, une façon de travailler d’abord par une vision micro puis ensuite macro. Et puis, il peut également arriver de laisser un peu de temps au projet, car on peut être parfois trop enthousiastes. (rires)
«Je crois beaucoup au fait que les idées viennent pendant ces moments de pause.»
Je dessine beaucoup pendant les moments de vide, pendant mes voyages ou quand je suis dans mon bain, dans ces moments d’arrêt. C’est souvent comme ça que le cerveau fonctionne le mieux. Je crois beaucoup au fait que les idées viennent pendant ces moments de pause. Ils sont très importants et permettent au cerveau de faire le « ménage » dans les problèmes du quotidien. C’est durant ces moments que les idées sortent et très souvent je reviens et dis à l’équipe que j’ai plein d’idées et ils comprennent et rigolent. Ils se demandent quelle est la dernière idée étrange que j’ai pu trouver mais ils sont toujours très enthousiastes.
Sinon le studio est vraiment une entreprise, c’est une équipe, des responsabilités, des obligations et à la fois une charge, car il faut tenir tout ça et que ça fonctionne. C’est, je crois, une des grandes difficultés du métier aujourd’hui, il ne suffit pas de dessiner des objets dans sa cuisine, il faut savoir aussi gérer son studio. Il est vrai que quand on commence à avoir une certaine envergure, on est obligé de gérer ça comme une entreprise. Moi j’ai été formée à ça, donc ce n’est pas quelque chose qui me fait peur. Je ne dis pas que je n’ai jamais peur, mais c’est un mode de fonctionnement que je comprends et que je connais. Alors, encore une fois, je suis très aidée par Lucie notre administratrice, qui est la personne qui gère avec moi l’agence. Chacun choisi la structure qui lui correspond mais pour moi, c’est presque naturellement que je me suis lancée. Je crois d’ailleurs que mes précédentes études m’ont bien servi et m’ont forcément aidée au démarrage de l’aventure. Au final, je suis comme tous les chefs d’entreprises, je regarde l’avenir avec confiance et de façon toujours responsable.
D’où te vient cette passion pour le design et la scénographie ?
«La « bidouille » a toujours été quelque chose que j’aimais faire !»
J’ai toujours eu l’envie de créer depuis toute petite. J’ai eu mon premier établi à 8 ans et une machine à couper du bois à 10 ou 11 ans. Mon grand-père était inventeur et bricolait beaucoup, c’est donc quelque chose qui est venu assez naturellement chez moi. J’aimais monter et démonter les objets qui m’entouraient, comprendre comment ils étaient fabriqués. Pendant les cours, je créais des petits personnages et tout plein d’autres choses. La « bidouille » a toujours été quelque chose que j’aimais faire! (rires)
La scénographie est venue un peu plus tardivement. J’ai d’abord commencé par une petite scénographie puis par une moyenne puis enfin par des plus grandes, en allant des scénographies d’expositions à celles de spectacles. Je pense qu’on progresse avec le temps et avec les projets. On a été appelés pour les premières mais ensuite, on a répondu à des concours. Il peut également arriver que l’on nous invite à répondre à tel ou tel appels d’offres car ça peut correspondre à notre état d’esprit ou à nos désirs. Mais derrière, il faut faire tout le travail de réflexion et de préparation du dossier avec des dessins, des maquettes, des rendus techniques; c’est les règles des marchés publics en somme. Et puis on a eu aussi de gros projets, je pense notamment au projet « Accor » avec la conception du lobby et du restaurant. Mais la plupart du temps on a des projets intermédiaires.
Peux-tu nous expliquer le processus de création d’un objet ?
La création d’un objet est un processus assez long, qui commence généralement avec une idée, une envie, un désir, un mouvement, une inspiration, une vidéo, une photo, un dessin ou finalement quelque chose que je vois. Elle peut aussi parfois venir d’un brief, c’est-à-dire les directives d’un projet, où on peut nous demander de créer un objet avec tel ou tel matériaux. Donc ça peut être assez précis ou bien complètement ouvert. Ensuite, on va passer très vite au dessin, puis à la 3D et aux maquettes. Cela dépend véritablement des projets, il n’y a pas vraiment de règles.
«(…) tout d’un coup ça sort de la tête et ça arrive dans le stylo.»
Souvent il y a des choses qui naissent, des envies, puis ça continue de germer pendant quelques semaines, quelques mois, on échange entre nous et puis tout d’un coup ça sort de la tête et ça arrive dans le stylo. Par moment aussi, on dessine beaucoup et puis en fait, il n’y a rien qui en sort. Il n’y a pas vraiment de règles encore une fois.
Toutefois, quand un projet est enclenché, quand vraiment le temps a permis de trier le désir et les idées, on travaille très sérieusement en réalisant des dessins, des maquettes et de la 3D. On fait par exemple des maquettes à l’échelle 1 pour vérifier les volumes, etc. Si à ce stade, l’objet a été accepté par un éditeur, on entre dans une phase qui va durer un an et demi environ mais ça peut aller jusqu’à trois ans. Durant cette période, on va développer l’objet, rechercher un fabricant, déterminer les coûts et le prix d’achat, etc… C’est beaucoup d’échanges et un travail assez long.
Quelle est la personne qui t’a le plus marquée ou influencée professionnellement ?
D’un point de vue humain, je dirais le danseur et chorégraphe Angelin Preljoca. Je pense que les influences et les inspirations de travail sont autres choses, je les mets sur un autre plan, c’est plus personnel.
J’ai réalisé les scénographies de ses spectacles dont « Le Funambule » en 2009 et « Les Nuits » en 2013. Le travail avec Angelin m’a beaucoup apporté. J’étais vraiment débutante lorsque j’ai travaillé avec lui la première fois. Il m’a fait confiance, m’a encouragée et m’a dit que j’étais forte.
Au-delà de notre collaboration, c’est un grand sportif et c’est quelque chose qu’on a en commun. Il est très direct dans son approche et c’est aussi comme ça que je travaille, on peut se dire les choses très clairement. C’est quelqu’un qui m’a donnée confiance en moi et qui m’a permis de découvrir autre chose aussi, un autre univers, celui du spectacle. C’était vraiment une belle expérience.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
«La moindre petite chose, même sortie de son contexte, amène sa dose de réflexions et d’inspirations.»
Être créateur c’est être une éponge, je regarde et m’inspire de tout ce qui m’entoure. Je lis des livres, vais voir des expositions, regarde des images en tout genre. Quand je suis dans le métro par exemple, je rêve mais je regarde aussi les affiches qui m’entourent et il m’arrive de remarquer par moment que le Photoshop est mal fait. (rires) J’exagère un peu, mais il y a un oeil critique qui s’applique en permanence dans les éléments de la vie de tous les jours. La moindre petite chose, même sortie de son contexte, amène sa dose de réflexions et d’inspirations.
Plus précisément, j’aime beaucoup la danse et le mouvement en général. C’est vraiment une source d’inspiration et une chose qui me fascine. Beaucoup de mes objets s’inspirent ou imitent un mouvement. C’est l’impulsion presque principale que j’essaie d’insuffler dans les projets et dans les objets que je crée. Je pense qu’on y arrive un peu, en tout cas on travaille tous dans cette direction.
La mode est aussi un domaine qui m’inspire beaucoup, car le mouvement et la fluidité y ont toute leur place.
Quels sont tes projets en ce moment et à venir ?
Pour commencer, on peut aller voir en ce moment l’exposition « Illusions » à la Galerie Minimasterpiece à Paris où l’on y présente deux collections de bijoux (jusqu’au 19 février) ; puis l’exposition « Persona, étrangement humain» au Quai Branly dont nous avons réalisé la scénographie (à voir jusqu’au 13 novembre) ; et enfin l’exposition « Local Icons » présentée au MAXXI – le Musée National des arts du XXIe siècle à Rome – où nous présentons une installation de trois objets mettant en scène la ville de Paris (à découvrir jusqu’au 28 février 2016).
Et puis il y a de nombreux projets à venir cette année : de nouvelles collaborations, des scénographies et des expositions dont celle au Havre dans le cadre d’« Une saison Graphique » (du 21 mai au 11 juin 2016) ; mais aussi une au Château de Courcelles à Montigny-les-Metz (du 14 mai au 3 juillet 2016) ; et enfin l’exposition « Tenue Correcte Exigée » qui aura lieu au Musée des Arts décoratifs de Paris à partir de décembre 2016, dont nous réalisons la scénographie. Il y a bien sûr Maison&Objet en septembre, ainsi qu’une exposition retraçant mon travail qui aura lieu au MUDAC de Lausanne. Une monographie sera d’ailleurs publiée à cette occasion… Donc il y a beaucoup de choses, que l’on peut suivre bien évidemment sur nos réseaux sociaux mais aussi sur notre tout nouveau site internet ! (rires)
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Chirurgien… Un métier qui est à la fois manuel et intellectuel et qui a un sens, celui de faire les choses pour les autres. Il y a aussi une notion de responsabilités et puis, je pense qu’il y a l’idée, encore une fois, de réparer les choses. Je ne sais pas si j’en aurais été capable mais c’est un métier qui m’intéresse beaucoup.
Une anecdote à nous raconter ?
Je pourrais vous raconter la difficulté que l’on peut parfois rencontrer à sortir un objet et la dose de fous rires et d’inquiétudes que ça peut nous procurer. Cela a été le cas lorsqu’on a développé la lampe Cape, un objet qui me tient beaucoup à coeur. On a tout vécu avec ce projet et principalement avec le moule qui est notamment tombé de la plateforme de l’avion, qui a subi un typhon et qui du coup a été noyé, ou bien encore qui est arrivé non conforme. Donc c’est vrai qu’on ne le voyait pas vraiment arriver, mais finalement si, il a fini par arriver ! Je crois que l’on pourrait créer un flipbook avec toutes les histoires de ce moule, tellement il y a eu de rebondissements. (rires)
Un lieu où tu aimes aller ?
«C’est un paysage qui peut sembler identique mais qui est pourtant si différent d’un jour à l’autre.»
A la mer… c’est l’horizon le plus large qu’on puisse avoir et un endroit qui m’apporte du réconfort. C’est aussi l’infinie et le fait de ressentir la puissance des éléments naturels qui sont plus forts que tout. Il y a quelque chose d’assez fou entre la mer et les éléments qui l’entourent.
Et puis, il y a aussi l’idée de mouvement, le mouvement de la mer, quasi circulaire, qui ne se ressemble jamais et qui apaise je trouve… C’est un paysage qui peut sembler identique mais qui est pourtant si différent d’un jour à l’autre.
Qui nous recommanderais-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Que des danseurs ! (rires) Des personnes que j’aime beaucoup et avec qui je collabore… Honji Wang et Sébastien Ramirez de la compagnie Wang Ramirez, qui présenteront d’ailleurs les 9 et 10 février prochain à l’Archipel – Scène nationale de Perpignan, la première mondiale de leur nouvelle création « Mise en scène » sur laquelle j’ai réalisé la scénographie.
Et je dirais également Angelin Preljocaj, le danseur et chorégraphe dont je parlais tout à l’heure. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup apporté et qui est vraiment incroyable.