Laurent Mazuy est un homme passionnant. Nous avons beaucoup discuté et particulièrement d’art. Artiste peintre, il colle, agrafe, assemble, superpose les couleurs et les matières. Toujours à la recherche de l’élément dissonant qui va modifier et révéler la relation entre les objets et les matériaux. Il s’amuse volontiers à éclater et renverser la pratique picturale. Nous l’avons rencontré à Orléans aux Ateliers Oulan Bator, véritable pépinière d’artistes située en bord de Loire, dans laquelle son atelier est installé.
Peux-tu nous parler de toi, de ton activité et de ton univers en quelques mots ?
Je suis Laurent Mazuy, j’ai 51 ans, j’ai toutes mes dents (rires).Quel est ton parcours ?
Je viens du monde de l’artisanat d’art. J’ai fait durant cinq ans l’école Boule en gravure de bijoux, gravure d’ornements. J’ai eu la possibilité de travailler, expérimenter et surtout regarder tout ce qui se faisait dans les autres ateliers. Je trouve que dans les métiers qui sont d’une très grande complexité comme l’artisanat, c’est un privilège de petit poucet rêveur de passer d’atelier en atelier. C’est une formation intellectuelle incroyable de pouvoir batifoler dans onze ateliers, dans onze métiers. Parce que l’on a la grande chance d’y côtoyer des tas de gens de niveaux différents, en cours, en (hésitations), se poser des questions sur leur technique, leur histoire, leur rapport mains, cervelle, matière. Puis, en 1987, j’ai eu mon premier atelier au sein de l’école.Peux-tu nous en dire plus sur ta démarche artistique ?
Je travaille la forme picturale, c’est une recherche constante. J’employais plutôt la gouache, mais je n’ai pas peint à la gouache depuis huit ou neuf ans, si je ne dis pas de bêtises. Même si je trouve cela intéressant de m’y replonger.«Je travaille plutôt en peignant, sans peindre.»Actuellement, je travaille plutôt en peignant, sans peindre. Tout gravite autour de l’idée d’articulation. Deux structures, deux protocoles indépendants qui sont ensuite assemblés sur une toile. Le premier est un ensemble de matériaux pauvres, parfois manufacturés, façonnés ou refaçonnés, qui viennent s’articuler sur un principe filaire, à l’image d’une guirlande. C’est à dire en mettant en scène des matériaux les plus divers, et en m’éloignant si j’ose dire, du pinceau et de la touche, enfin de cette manière là. On pourrait penser qu’il y a un conglomérat, mais en réalité la peinture est hyper présente. Simplement, elle ne l’est pas par son visage habituelle. Tout dépend où l’on arrête la peinture. Ça, c’est une vaste question. On est un peu dans cette poursuite matissienne qui disait « quand deux couleurs ne vont pas ensemble, on en met une troisième».
Sur quelles pièces travailles-tu en ce moment ?
Je travaille sur plusieurs choses en même temps. J’ai repris récemment un travail sur la gouache, que j’avais mis en suspens un moment. C’est une série, plutôt une recherche sur la gouache. Je superpose des ovoïdes de gouache sur la toile et laisse le hasard faire les choses. Les couleurs remontent et des jeux de transparences sont visibles.Quels sont tes projets en cours ou à venir?
Il y a trois expositions en programmation, qui sont assez drôles parce qu’elles sont complémentaires. La première est une exposition collective où je me déplace à La Vigie (Nîmes) avec trois autres artistes, un céramiste, un peintre figuratif, un sculpteur. C’est un lieu qui expose plutôt un travail sur la couleur, j’avais d’ailleurs déjà exposé chez elle. Là, c’est différent, je lui propose un commissariat dans lequel je suis artiste/commissaire, parce que j’aime ce côté double casquette où l’on a à la fois un propos, et on voit l’œuvre du proposé. Pour cette exposition, je vais présenter des photographie, sortes d’annotations visuelles que je n’avais jamais encore présentées.. La deuxième se tiendra au POCTB, à Orléans, en binôme avec Sébastien Pons. Enfin la troisième, une exposition personnelle que j’ai nommé « Grand petit homme » sera présentée dans la chapelle de l’oratoire à Pithiviers. C’est une magnifique chapelle circulaire néo-classique de 1790-94. Ça m’intéresse et ça me plait beaucoup de pouvoir présenter mon travail dans le cadre d’une chapelle, parce qu’il n’y a pas de place pour mettre des tableaux, il faut composer avec tout le lieu. J’ai pensé tout simplement présenter des tableaux de manière traditionnelle sur le chevalet, presque comme une citation, puisqu’il s’agit de peinture sur chevalet. Cela soulève de nombreuses questions. Est-ce que ça a encore une existence, par rapport à l’histoire ou par rapport à la modernité ?«Ça m’intéresse et ça me plait beaucoup de pouvoir présenter mon travail dans le cadre d’une chapelle, parce qu’il n’y a pas de place pour mettre des tableaux, il faut composer avec tout le lieu.»
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
La ville, mais pas d’un point de vue sociologique, politique ou technique. Quand on se balade dans des villes, quand on fait une promenade si j’ose dire, on arpente deux choses. C’est d’abord un plaisir, on regarde ceci, on regarde cela. Mais il y a aussi une sensation qui se dégage ou qui ne se dégage pas. C’est celle à un moment donné d’une permanence ou d’une solidité, et c’est comme un tableau. Ce qui est intéressant lorsque l’on regarde un tableau ancien, un paysage, un portrait, peu importe ce qui est représenté, mais ce que l’on se dit, c’est qu’on nous donne la chose morte, la chose finale, qui est achevée. Or un moment donné, elle vit et qui la fait vivre ? Ce ne sont à mon avis pas les regardeurs, comme on nous le laisse entendre depuis le début du XXème siècle, cela voudrait dire qu’il n’y a rien derrière la toile, non ? Ce qui le fait vivre, à mon sens, c’est que derrière il y a tout un ensemble de fantômes et que ces fantômes sont réactivés par le regard et bien dans la ville, c’est pareil, mais on ne le perçoit pas. On se balade dans une rue et l’on remarque qu’elle a une ancienneté, qu’elle a un certain nombre d’architectures, de débordements, de ratés ... elle a une mémoire, interne à sa forme. C’est pour toutes ses raisons que la ville m’intéresse beaucoup, parce qu’elle est encore vivante et puis c’est toujours bien de réfléchir sur un sujet qui n’est pas la peinture tout en parlant de peinture.Une anecdote à nous raconter ?
Il y en a deux, elles sont très paradoxales les deux, mais elles sont très belles ! La première est orale. J’étais à Delft (Pays-Bas), la montée vers le stade, sur les pentes. Tout le monde est à la queue leu leu et se gravit en lacets un coteau quand même très abrupt. Forcément, pris de suffocation avec la chaleur, je m’assois pour reprendre mon souffle et surtout, j’en avais ma claque. Puis donc on voit passer devant soi la chenille humaine, sans interruption et on capte des bribes de conversation. D’un seul coup on a deux messieurs, en short à la colonial anglais d’une soixantaine d’années, on entend une simple phrase qui passe un peu, comme lorsque qu’on a l’ombre des gens devant soi qui fait : « C’est à Madagascar qu’on trouve les plus beaux papillons ». Je trouve que le contexte était très beau ! Quant à l’anecdote visuelle, j’étais à Amsterdam, au musée Van Gogh, il y a fort fort longtemps. Et dans la salle, à un moment donné, j’essayais de voir un tableau sans avoir 36 000 personnes devant moi, avec les audiophones (j’ai ça en horreur). Alors on est dans sa période Arles, pour le situer, et j’ai devant moi deux garçons dans un groupe d’italiens, des étudiants je suppose, qui ont fait tout le musée Van Gogh avec des lunettes de soleil ! C’était magnifique !Quel livre lis-tu en ce moment ?
(Rire) Je ne connais pas les titres des livres et ne me souviens pas des auteurs. Je lis des choses sur l’art, de la sociologie etc. Mais, je ne lis jamais de romans, je ne supporte pas! Je ne vais jamais au cinéma. Je n’aime pas les choses en mouvement, les histoires que l’on raconte.Quel métier aurais-tu aimé faire ?
Dilettante et pourquoi je ne l’ai pas fait ? Parce que je n’ai pas d’argent (éclats de rire). Et c’est vraiment ça, parce que j’ai une fascination les gens sur la riviera ou fin du XIXème siècle, qui ont fait Lampedusa, qui se baladent. Alors au mois de juin on est à Nice, au mois de truc on est ailleurs, on rencontre le comte de bidule, qu’on a vu ici, ou encore là bas etc. Les gens n’ont rien à faire en fait, ils n’ont qu’à jouer, qu’à faire des mondanités, qu’à voir de l’art. C’est beau je trouve. Ou collectionneur, mais ça revient au même.«J’ai une fascination pour Lampudesa, les gens qui se baladaient sur la riviera, à fin du XIXème siècle.»