Peux-tu nous parler de toi?
Je suis DJ, « curateur musical », « designer sonore », je fais de la radio, et je suis papa. Mon univers est plutôt personnel et introverti. En dehors de mon activité de DJ, de ses incroyables voyages et de ses folles nuits blanches, je mène une petite vie bien tranquille ! Je me concentre sur mon travail, sur mon fils, je cherche de nouvelles musiques, j’essaie de garder un oeil attentif sur la scène artistique et culturelle de Lisbonne. Et puis, je cuisine ! La cuisine joue une rôle important dans ma vie. Je suis en quête permanente de nouvelles saveurs, de nouvelles sensations, qui deviendront ensuite une inspiration pour ma musique.
Quel a été ton chemin ?
Je suis né en Angola dans les années 70, puis ma famille a déménagé et j’ai passé mon enfance à Coimbra, une petite ville dans le nord du Portugal. Je viens d’un milieu assez conservateur. Chez moi, on ne laissait pas beaucoup de place aux expériences et au rêve, à la liberté. J'ai découvert ce goût pour la musique assez tard, vers 17 ans. Jusque là, j'avais été un enfant tout ce qu'il y a de plus normal, passant le plus clair de mon temps à jouer au football, et mon oreille s'était habituée aux grésillements de la soupe pop-rock émanant du poste de radio familial.
Et puis un jour, déclic. Une fête, au lycée, un ami qui se lève pour passer un morceau: «Song to the Siren », de This Mortal Coil. Je me suis littéralement figé sur place. La voix d'Elizabeth Fraser, ce visage dans l'obscurité, c'était comme un nuage de mystère et de poésie, ça m'a subjugué. Peu de temps après, je quittais ma ville natale pour venir étudier à Lisbonne. Je prenais de l'indépendance par rapport à ma famille, j'étais avide et curieux de tout. Je me suis inscrit en fac de sociologie, ce qui n'a fait qu'amplifier ma soif de découverte.
À la fac, je me suis engagé dans l'asso des étudiants. Très vite les choses sont devenues plus sérieuses, je suis passé responsable du département culturel de l'université, ce qui m'a amené à la musique, un peu par accident. J'ai commencé à organiser des évènements – à l'époque j'étais assez énervé, contre tout, et l'ambiance picolarde des soirées étudiantes m'ennuyait ferme. J'ai voulu booster tout ça avec une programmation culturelle permettant une ouverture, une stimulation auprès des étudiants. Je parcourais Lisbonne, Coimbra, Porto à la recherche de nouveaux groupes un peu marginaux, j'épluchais les revues musicales telles que Blitz, j'y trouvais des noms, quand je le sentais je les invitais à jouer sur le campus. Au début, c’était beaucoup de rock, de grunge, on était au milieu des années 90, tout le monde aimait ça. On a eu de super groupes tels que Tina and the Top Ten avec leurs riffes punk bien pêchus, ou encore les Primitive Reasons, des mecs du coin qui mettaient de tout dans leur musique, reggae, punk, hip-hop, avec beaucoup de liberté et d'énergie.
Et puis j'ai découvert le drum and bass, qui a été une véritable révélation. Je me souviens, c'était dans ce « records shop » où j'étais tout le temps fourré, il y a eu ce morceau qui est passé, « Pulp Fiction » d'Alex Reece. Je n'ai rien compris, pour moi ce son c'était un truc d'alien, ça venait d'une autre planète. Donc évidemment j’ai pris le drum and bass en passion, et j'ai décidé qu'il fallait absolument amener cette musique au Portugal. J'ai contacté – et dans le temps on faisait ça par fax, il fallait aller à la pêche aux contacts comme on le pouvait, c'était pas de l'instantané ! - des Djs anglais, des gars comme Kid Loops, Aquasky, PFM. Ils sont venus, et ensemble nous avons lancé les premières soirées drum and bass lisboètes, les « Jungle Dance Galaxy parties », comme on les avait appelées. On avait réussi à dégoter une tente de cirque, qu'on avait plantée là au centre de la fac, et puis on a gribouillé quelques flyers, quelques posters. Le soir du concert, 1500 personnes se sont présentées face à la scène, qui envoyait ce son lourd, et céleste, ce son aquatique, complètement improbable et magnétique. Pour nous, c'était révolutionnaire. Le public était réceptif, les choses bougeaient.
«La musique est un outil puissant pour le changement social, c'est un langage universel.»
La musique est un outil puissant pour le changement social, c'est un langage universel, et un langage qui te touche directement au plus profond de ton être. C’est là que les bonnes questions se posent, que l'on entrevoit une possibilité de changement et d'ouverture sur l'inconnu.
Dans les années 90 à Lisbonne, les gens sortaient principalement dans le Bairro Alto. Certains bars avaient leurs DJs, mais leur musique restait assez limitée. En parallèle des évènements de la fac, on a donc commencé à intervenir dans ces bars, y invitant des musiciens venus de part et d'autre de l'Europe, des artistes de tous genres qui débarquaient avec leurs idées et leurs savoir-faires (ou pas tant que ça), et ensemble on remuait le quartier, on fusionnait la nuit, on expérimentait. Très vite, des clubs tels que le Três pastorinhos, Captain Kirk, Nova et Frágil se sont mis élargir leurs programmations à de nouveaux types de musique, de l'acid-jazz au funk-disco en passant par la house et le drum and bass. Une telle dynamique, une telle ouverture, c'était inouï pour l'époque ! Je recevais tout l'enthousiasme et la confiance des gens autour de moi comme une confirmation: ma vision avait un sens, et je n'étais pas - seulement- un gamin animé par je ne sais quelle fièvre idéaliste (rires)...
Vers 2001, j'ai été engagé par une nouvelle compagnie de téléphonie mobile, qui souhaitait toucher un public jeune, et notamment par le biais de la musique. Cela m'a donné la possibilité d'étendre mon projet au-delà de Lisbonne, dans tout le pays. Je me souviens du challenge incroyable que représentait le premier événement de cette compagnie, je me suis retrouvé à devoir gérer une soirée dans 15 lieux différents, en simultané, dans 15 villes du Portugal !
Puis en 2004, la Red Bull Music Academy Portugal m’a invité à travailler avec eux en tant que « curateur musical». Avec le temps, je me suis construit une certaine connaissance de la scène musicale et artistique portugaise, ce qui m'a permis de jouer le rôle de médiateur entre l’institution et la culture de la rue, dans laquelle j'ai toujours évolué.
Quelles sont tes inspirations ?
En ce qui concerne la musique, il y a eu d'abord le classique. Je devais avoir 13 ans, je voyais ce magazine au bureau de tabac, avec un CD dans sa pochette plastique. J’aimais bien l’idée de la pochette plastique, comme un petit cadeau. Il y avait déjà quelque chose de magique là-dedans. Et puis un jour, il a été pour moi : Bach. Je perçois clairement l'impact des concertos sur ma façon d'écouter les mélodies aujourd'hui. Lorsque j'ai découvert le jazz, plus tard, j'ai compris que Bach était déjà dans cette construction musicale, cette façon de « jamer » par-dessus ses compositions. Puis j'ai découvert la musique brésilienne, immense inspiration (par exemple, et parmi tant d'autres, Arthur Verocai), et puis le dub, ma petite révolution personnelle (King Tubby). Mes inspirations, c'est un peu un mix de tout ça. Mais bon, au final, l'inspiration est partout, tout le temps, tant qu'elle contient sa dose d'âme et de sincérité.
Et puis, au quotidien... mon inspiration première, c'est mon fils. Sa naissance m'a ramené à l'essentiel. J'ai toujours eu une attitude assez rebelle et contestataire ; jeune, je passais mon temps à me battre pour des idées, parfois seulement pour le simple plaisir d'être en rupture avec le système. Mon fils est arrivé et m'a appris une chose, c'est l'amour pur, et cette chose-là te fait voir la vie d'une autre façon. Je vais passer pour un baba cool, mais aujourd'hui je crois que l'amour, c'est ça vraiment, la toute-puissance. Notre plus grande force, notre moteur de partage et de création.
Peux-tu nous parler de tes projets en cours ?
La plupart des mes projets sont liés à la Red Bull Music Academy, pour qui je « curate » de nombreux évènements, des concerts, des temps de rencontres et d'échanges avec des personnalités de la musique, etc. C'est un travail passionnant, qui me permet d'aller vers de jeunes talents et soutenir leur travail en les invitant à participer à des projets locaux, à des stages, des lectures. C'est un partage d'expériences et d'idées qui ne s'arrête jamais.
Un autre projet qui me tient à cœur, c'est la combination cuisine et musique. J'ai la chance de pouvoir travailler sur les ambiances musicales des restaurants du chef étoilé Avillez, et c'est pour moi un véritable challenge, doublé d'un plaisir immense, que d'imaginer une musique en accord avec un certain type de gastronomie, un vin, une atmosphère particulière. Chaque restaurant est différent (il y en a 14, si je ne me trompe pas), cela demande un sérieux travail de recherche dans tous les styles musicaux, du classique au folk en passant par le jazz et l'électro.
Et puis il y a ce projet plus personnel, concernant la musique folklorique et traditionnelle du Portugal, ainsi que la musique d'intervention post-révolutionnaire des années 70. L'année dernière, après avoir écumé toutes les brocantes et « records shops » de la région, je me suis rendu compte de l'étendue de notre patrimoine musical, et à quel point il était méconnu aujourd'hui, notamment des jeunes générations.
Avec un jeune label français, on a donc décidé de créer un sous-label, dédié spécialement au partage de ces musiques. L'idée est de faire connaître les originaux mais également d'en proposer des versions remixées, peut-être plus faciles d'accès dans un premier temps, et qui éveilleraient les curiosités. C'est un projet qui m'est cher, dans le sens où il permettrait un retour à nos origines portugaises, dans un contexte de globalisation où nous avons tendance à nous tourner vers d'autre modèles de production musicale, et notamment le modèle anglo-saxon qui s'est totalement emparé de la scène pop, rock, electro. Il y a tant de matière à explorer dans nos propres racines, dans notre propre culture !
«Il y a tant de matière à explorer dans nos propres racines, dans notre propre culture !»
Comment se porte la scène Dj au Portugal?
Le Portugal connaît d'excellents Djs. Mais la scène est plutôt réduite, et le public malheureusement, reste encore assez fermé. Alors on s'invente une façon de jouer, on donne à nos auditeurs ce qu’ils attendent de nous, mais on va également, subtilement, incorporer quelques éléments de nouveauté. C’est toujours la même histoire, comment sensibiliser à de nouvelles sonorités, comment élargir les horizons. Un travail de longue haleine !
Si tu avais dû exercer un autre métier ?
Je n'ai jamais travaillé de toute ma vie, pour être tout-à-fait honnête ! Je me suis toujours débrouillé à faire mes trucs en free-lance. Mais si je devais imaginer un métier, je me verrais assez bien dans la recherche, en sociologie, ce qui m'a passionné en tant qu'étudiant. Le problème c'est que je vis assez mal les routines, les cadres, je veux rester libre de l'usage de mon temps. Donc je pense avoir trouvé un rythme de vie plutôt approprié à ma personnalité, et je ne voudrais pas en changer.
Un artiste qui t'inspire ?
Il y a ici à Lisbonne un projet qui m'inspire vraiment, non seulement par sa musique, mais également par son audace et son courage, c'est le duo de Lavoisier. Sans le savoir, ce sont eux qui m'ont donné envie de me pencher de façon un peu plus sérieuse sur la musique traditionnelle et populaire du Portugal. Lavoisier puise sa source dans nos racines folkloriques, dans les chants de travail et de labeur des villages portugais, et dans les musiques militantes des années 70. Et puis au milieu de tout ça, il viennent apporter des touches de Beatles et de Beach Boys… on pourrait croire à une drôle de mixture, et pourtant ça marche, et c'est merveilleux ! Avec seulement une voix et une guitare, ils arrivent à des choses d'une intensité folle, électrifiante, et totalement inédite. La façon dont ils s'exposent sur scène, à chaque fois, c'est un bouleversement. Je les admire sincèrement.
Ecoutez par exemple, leur titre “Vira”, qui mêle avec brio chant traditionnel et ce morceau de Fausto (l’un de plus grands artistes de la période révolutionnaire portugaise), “Marcolino”. À couper le souffle.
Qu'écoutes-tu en ce moment ?
Depuis le set de Soichi Terada au Lux vendredi dernier, je suis en boucle sur la musique électronique japonaise ! Soichi est un véritable géant de l'électro depuis les années 80, il s'est fait connaître notamment pour ses musiques de jeux vidéos. Sa musique est joyeuse, élégante, inventive. Je suis un fan absolu. Il vient de terminer une tournée européenne, et le voir jouer ici, c'est une joie immense ! Un autre artiste japonais que j'apprécie énormément pour la délicatesse de ses compositions, c'est Hiroshi Watanabe. Il a à mon avis un style tout-à-fait unique dans le genre « deep electro melodic music ».
Mais j’ai également envie de vous donner ce titre, le premier morceau que j’ai passé sous le nom de Mike Stellar !
Quel artiste me conseillerais-tu de rencontrer ?
Une anecdote à nous partager ?
Voyons... Je pourrais vous dire que j'ai récemment été invité à jouer à Bordeaux, fin août, pour le festival Bordeaux Open Air. Set electro pour un après-midi de fin d'été, dans un jardin bordelais... et puis je ramène ma recette de salade de bacalhau ! On se voit là-bas ?