Peux-tu nous parler de ton métier et de ton univers ?
Mon métier, pour faire court, c’est musicien mais en réalité je suis ingénieur du son, producteur, compositeur, interprète, DJ, et historien de la musique (rires).
Je suis originaire de France, je suis né à Niort en 79 mais cela va faire bientôt 18 ans que j’habite à Montréal, au Québec.
J’ai pratiqué toutes sortes de musiques comme le metal, la musique expérimentale, le free jazz, la musique classique et la musique contemporaine mais je suis plutôt chanteur à la base. Je joue de la viole de gambe, de la guitare et un peu de clavier. J’ai fait plein de choses différentes au cours de ma carrière mais cela a réellement explosé pour moi quand je suis arrivé au Québec. Je trouve qu’ici les choses et les gens sont un peu moins cloisonnés qu’en France.
Mon univers musical actuel tourne beaucoup autour de la house music, du disco, du funk, du boogie, avec un peu de techno et d’électro à la limite, mais d’une manière générale, mon univers est empreint de musique d’origine afro-américaine.
En tant que DJ, je me dois de puiser dans la plupart des registres musicaux au final.
«J’ai dédié la moitié de ma vie à étudier la musique afro-américaine, ses origines, ses évolutions, et je me place dans ce continuum, mais en restant très humble par rapport à son histoire. »
Souvent, lorsqu’on écoute de la musique techno ou house, on pense à Berlin, à Londres… Mais elle est née aux Etats-Unis, chez les afro-américains, et on a malheureusement tendance à l’oublier. J’ai un peu l’impression d’avoir une sorte de dette vis à vis d’eux, d’autant plus que c’est une musique qui vient d’un peuple opprimé et que je suis blanc et straight.
Ce sujet de l’appropriation culturelle est très important à mes yeux. Au Canada, on a l’impression qu’il n’y a pas vraiment de racisme, mais on a quand-même toute une histoire avec les autochtones et les premières nations qui est loin d’être résolue. C’est peut être même plus enterré que l’histoire de l’esclavage aux Etats-Unis.
J’ai dédié la moitié de ma vie à étudier la musique afro-américaine, ses origines, ses évolutions, et je me place dans ce continuum, mais en restant très humble par rapport à son histoire.
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
Je viens d’une famille de musiciens et de mélomanes, j’ai une formation semi-classique avec le conservatoire où j’ai appris le solfège, puis en musicologie où j’ai appris l’Harmonie.
Je fais de la musique depuis tout petit, je chantais déjà dans des chorales à 6 ans et je n’ai pas arrêté jusqu’à ce que je quitte la France en 2000.
Quand je suis arrivé à Montréal, c’était une sorte de période culturelle assez étrange pour moi : il n’y avait plus vraiment de salle de concert, à part des gros trucs poussiéreux “mainstream”, et une grande partie des soirées se passait dans des lofts privés.
En fait, la scène électronique qu'il y avait ne me touchait pas vraiment, et pour le reste, cela allait de l’indie rock en passant par le post rock, la musique expérimentale, le noise, le free jazz… et parfois le tout mélangé dans une même soirée ! Une sorte de melting pot assez incroyable !
Puis, de là, sont nés plein de lieux comme la Sala Rossa / Casa del popolo, et des labels sont apparus, des groupes. Tout le monde s’est mis à sortir des CDs, c’était un foisonnement de collaborations !
En arrivant de ma petite province française, j’hallucinais un peu. J’ai alors rencontré pas mal de personnes qui bossaient dans le magasin de disques CD Esoterik, et ils m’ont fait découvrir toutes sortes de musiques, que ça soit contemporaine, expérimentale, ambiante. J’ai commencé à collaborer avec eux et plus spécifiquement avec le collectif Natasha's Recording, qui était plus ou moins dirigé par Léon Lo et Simon Bélair.
J’ai également fait de la musique avec un collectif un peu hippie et un peu dingue qui s’appelait Rivers and Mountains, avec lequel on faisait des shows avec 30 personnes sur scène ; on n’avait pas de style particulier, ça allait un peu dans tous les sens. C’était un peu du “fuck everything”, et cela m’a permis de digérer mon background musical en cassant les codes et barrières que j’avais pu connaître.
Y a t-il une personne qui t’a influencé dans ton parcours ?
Oh la la ! Il y en a tellement, c’est difficile comme question !
Beaucoup de gens rencontrés ici à Montréal m’ont marqué. Léon Lo par exemple qui officie sous le nom de Skinnybones - entre autres -. Ce gars ne m’a jamais fait écouter quelque chose que je n’ai pas aimé. Il est aussi complètement hors de la mode, sa musique est inclassable, il ne fait que des OVNI musicaux. Il m’a beaucoup influencé dans mon évolution et m’a fait découvrir des tonnes de trucs incroyables ! C’est une personne que j’admire beaucoup !
Je pense aussi à Jacob Chelkowski qui travaillait aussi chez CD Esoterik à l’époque. En fait, tous les gens qui bossaient dans ce magasin de disques étaient des encyclopédies musicales qui me sortaient des pépites souvent un peu à part. C’est là-bas qu’en 2002-2003, j’ai découvert Theo Parrish qui est un des artistes qui m’a le plus influencé, et ce, avant qu’il soit à la mode, Moodymann également.
Léon et Jacob sont les personnes qui ont changé ma vie à un moment où elle en avait besoin.
Quelles sont tes Influences artistiques ?
C’est pareil ici, il est impossible de répondre complètement à cette question mais pour faire simple mes influences émanent pour la plupart de la musique afro-américaine, avec des tonnes de musiciens, DJ, chanteurs, compositeurs, arrangeurs, producteurs. Je vais te citer les premiers noms qui me viennent à l’esprit car sinon, on ne va pas s’en sortir (rires).
Je pense à Patrick Adams, producteur de musique boogie, disco, soul. Il y a aussi David Axelrod ; j’ai déjà parlé de Theo Parrish, Moodymann tout à l’heure, mais il y a encore Marcellus Pittman, Omar S. Je suis également très influencé par Ron Trent qui est né à Chicago et qui est passé à Detroit, puis New York. Il est allé dans les 3 plus grosses villes de la house music, et c’est pour moi le mec qui a inventé la deep house. Il a commencé à la fin des années 80, puis début 90, il a bossé avec Chez Damier et ils ont fondé le label Prescription Records, tout ça avec des influences africaines, “tribales”, mais aussi disco, funk. Pour moi, Ron Trent est vraiment un “professeur” comme diraient les Daft Punk avec leur chanson “Teacher”.
«Pour moi, Ron Trent est vraiment un “professeur” comme diraient les Daft Punk avec leur chanson “Teacher”.»
Sur quel projets travailles-tu en ce moment ?
Comme d’habitude je travaille à la production de nouveaux EP. Je fais de la musique en permanence. Il se passe rarement une semaine sans que je travaille sur un morceau. Je suis assez productif, je peux aller jusqu’à 3 tracks par semaine.
Il y a un an, j’ai sorti un EP sur le label Parages (un label berlino-montréalais), l’année d’avant aussi d’ailleurs. Là, je travaille un EP sur Boogie Cafe (label UK), avec deux tracks très deep et hypnotiques dont une plus estivale que l’autre. Je travaille également sur une track aux influences latine et Afro house qui va sortir chez Lazy Days (label montréalais qui appartient à Fred Everything), et sur deux autres titres à venir qui seront plus dans une optique modern boogie, disco house.
J’ai également un EP et un album en préparation pour Model Future / Geary Ave Records (label de Toronto “runné” par Dinamo Azari) mais je ne peux pas trop donner de détails pour le moment.
«Faire de la musique, c’est créer de l’espace entre les choses. Arranger une chanson, c’est enlever, simplifier, trouver les interstices pour que les éléments s’imbriquent les uns avec les autres.»
J’ai aussi toujours voulu mettre du chant sur mes tracks, mais comme je suis un peu timide, le temps que je me “déniaise” et que je me lance, ma track est terminée et il n’y a plus de place pour la voix car généralement, pour mettre de la voix sur un morceau, il faut bosser avec dès le départ. Et puis, même si je sais chanter, je ne sais pas écrire de paroles, il faut donc que je travaille en collaboration avec quelqu’un. Et puis il y a des voix bien plus belles que la mienne (rires) !
Quand on fait de la musique, c’est un peu comme de la sculpture : lorsque tu as terminé de “jamer” (NDLR “faire ta confiture”), tu as ton bloc de pierre, et il faut alors que tu enlèves des éléments. Faire de la musique, c’est créer de l’espace entre les choses. Arranger une chanson, c’est enlever, simplifier, trouver les interstices pour que les éléments s’imbriquent les uns avec les autres.
J’ai aussi en projet d’organiser une tournée européenne, je n’arrête pas de repousser mais il faut que je cale ça !
As-tu un endroit où tu aimes aller ?
Je suis un peu nostalgique de nature, et j’aime aller à la place des Nations dans le parc Jean Drapeau qui se situe sur l’île Sainte-Hélène à Montréal. C’est là qu’il y a eu la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 1976. À l’époque du collectif Rivers and Mountains, on y a fait une fête mémorable car on avait trouvé des prises de courant pour brancher les machines et faire du son. C’était aussi les débuts du Piknic Electronik dans le parc, on pouvait faire ce que l’on voulait, tout le monde s’en foutait, avec des moments de totale insouciance. C’était vraiment bien.
Une track que tu écoutes en ce moment ?
A la maison, je n’écoute presque jamais de house ni de techno. J’écoute majoritairement du jazz et de la soul, mais aussi de la salsa ou de la cumbia. J’aime aussi les tracks plus pop. Beaucoup de chansons en fait !
Je passe pas mal de temps à “digger” (NDLR “creuser, chercher”) des 45 tours de soul, et l’expression “digger” est assez drôle d’ailleurs, car quand on cherche des 45 tours dans des bacs, on n’est pas loin de vraiment creuser (rires).
As-tu un artiste coup de coeur à nous faire découvrir ?
Maya Stovall, qui est une artiste que j’ai découvert à la dernière biennale d’art contemporain du Whitney Museum de New-York. Elle m’a fait halluciner, notamment avec son projet “Liquor Store Theatre” où elle a fait une sorte d’ethnographie des quartiers de Detroit par la danse, le tout sous forme de vidéos. Sa démarche est de faire danser des danseurs de chaque quartier devant des bâtiments classés. Il y avait quelque chose de fragile, et en plus dans un lieu qui me parle particulièrement, j’ai été très touché par son travail. Et puis la musique qu’elle utilise est mortelle ! Ca m’a vraiment fasciné.
Une anecdote à nous raconter ?
Ce n’est pas vraiment une anecdote, mais plutôt un “fun fact”.
Dans mon studio, il y a beaucoup de choses que j’ai eu gratuitement ou presque. Je fais ma musique avec essentiellement des machines qui m’ont été données. J’ai une chance pas possible car je commence à en cumuler un certain nombre.
Dernièrement, il y a un mec que je connais très bien, que je n’avais pas vu depuis super longtemps, et que j’ai retrouvé à une soirée, on termine à la maison pour boire des coups, et il a découvert mon studio. Le lendemain, il m’a écrit pour me dire qu’il me donnait ses machines car il ne s’en servait plus !
Rien dans mon studio ne m’a coûté cher. Soit j’ai acheté mes machines avant qu’elles deviennent à la mode, soit c’est des trucs un peu “off the beaten track”, sortis de derrière les fagots. Ce sont souvent des machines incroyables, que je vais chercher à pétaouchnok, à 2h de voiture dans une réserve indienne par exemple, à un vieux dude qui n’a pas idée de ce qu’il est en train de presque me donner.
J’ai vraiment beaucoup de chance avec mon studio car mon ordinateur ne me sert qu’à séquencer, tous les sons sont réalisés avec mes machines, mes instruments, je travaille principalement en analogique.
As-tu une personnalité à nous recommander pour une interview ?
Une fille qui s’appelle Marie-Douce Saint-Jacques. Elle a écrit des livres, elle est graphiste et fait pas mal des pochettes de disque ; elle est aussi DJ, et a un groupe qui s’appelle Le Fruit Vert qui est incroyable. C’est entre de la chanson à textes, de l’ambiant, et de la musique contemporaine.
Elle a également été commissaire d’exposition d’art. C’est une fille très mystérieuse, incroyablement gentille, et dès qu’elle fait quelque chose, c’est toujours sublime.