Peux-tu nous parler de toi, de tes activités de photographe et de technicien photo ?
Je suis photographe indépendant et partage mon temps entre cette activité et celle de technicien photo que j’occupe dans le laboratoire photographique Central Dupon Images à Bordeaux.
Central Dupon Images est un atelier de production unique basé entre Paris et Bordeaux qui propose toutes les prestations liées à l’image : de la retouche haute définition aux tirages traditionnels, de l’impression numérique à l’encadrement.
Ma spécificité au sein de l’atelier, je suis tireur. Je réalise l’impression jet d’encre des photographies, afin d’obtenir la meilleure restitution possible de celles-ci. Pour cela, je peux agir par exemple sur la colorimétrie de l’image, plus ou moins de cyan, plus ou moins de magenta, etc. Notre métier est très technique, on peut intervenir soit directement sur la matériel d’impression, soit en amont sur le fichier d’origine via Photoshop.
Nous sommes également partenaire des plus grands évènements culturels et festivals photographiques en France et dans le monde. Le labo est aussi engagé auprès des acteurs qui encouragent et promeuvent la création photographique. On travaille autant avec des amateurs que des professionnels. A cette période de l’année, nous réalisons beaucoup de tirages pour des expositions présentées dans les festivals tels que le festival Photo La Gacilly, le festival Portrait(s) à Vichy, Sportfolio à Narbonne, Photomed à Sanary-sur-Mer ou encore les Rencontres d’Arles. J’ai également imprimé récemment des photographies de Martin Parr pour sa prochaine exposition qui aura lieu à l’Abbaye de Jumièges du 25 juin au 13 novembre 2016.
«Je fais de la photographie militante. Ce que j’entends par là, c’est de la photographie documentaire et sociale.»
Tout le reste de mon temps, je le consacre à la photographie. Je fais de la photographie militante. Ce que j’entends par là, c’est de la photographie documentaire et sociale. Ce qui m’intéresse, c’est d’être au plus proche des gens. Il y a un sujet qui m’intéresse et me touche tout particulièrement, c’est celui de la diaspora rwandaise. Je suis très proche de personnes rescapées du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994, dont ma compagne. En tant que français, je n’avais pas trop de notions historiques de la “Françafrique”, et le Rwanda en fait largement partie. N’ayant pas de talent d’orateur, je me suis dit que j’allais militer à travers la photo et tenter d’y apporter mon soutien en travaillant sur le devoir de mémoire. Il y a plein d’associations basées en France qui militent et soutiennent ces personnes rescapées, telles que Survie, Ibuka ou encore localement à Bordeaux, l’association Cauri, dont ma belle maman est présidente. J’admire beaucoup leur travail et leur engagement.
Et puis il y a aussi le collectif Cyclop dont je fais partie. Durant l’été 2015, avec deux photographes qui étaient avec moi à l’école, Alexandre Chamelat et Alice Lêveque, nous avons décidé de fonder ce collectif. En tant que photographes indépendants, cela nous permet de nous réunir, d’échanger mais aussi de partager notre matériel et nos clients en fonction des points géographiques de chacun mais surtout d’amener une démarche commune dans nos projets. Nous faisons des reportages et aussi des expositions, comme récemment avec les Mercredis Photographiques à Bordeaux où nous avons présenté une exposition sur le thème du portrait.
Comment es-tu devenu photographe ?
J’ai toujours aimé la photographie, notamment grâce à mon père qui était lui-même photographe amateur. J’ai toujours été très intéressé quand il me parlait des grandes notions et me montrait des techniques, mais je n’y comprenais pas grand chose et je n’avais pas vraiment envie de comprendre non plus, j’étais assez fainéant. Je n’ai jamais réellement imaginé travailler dans cet univers, à en faire un métier.
«(…) je n’y connaissais pas grand chose, c’était plutôt l’appareil qui me portait.»
Finalement, la pratique de la photographie est venue bien plus tard. Je faisais du graffiti en région bordelaise et voulais que les photos de mes graffs soient meilleures que celles des autres. C’est à ce moment-là que j’ai acheté mon premier réflex et que j’ai commencé à photographier mon travail. Mais je n’y connaissais pas grand chose, c’était plutôt l’appareil qui me portait (rires).
Après avoir suivi une formation de paysagiste et vagabondé un peu partout en France et à l’étranger en exerçant ce métier, je me suis dit un jour : “Quitte à être mal payé, autant être mal payé en faisant un métier qu’on aime”. J’ai alors décidé de postuler dans des écoles photos et ai été accepté à celle de Toulouse. J’ai intégré l’ETPA, l’école de photographie et de game design dans laquelle je suis resté 2 ans ; je suis sorti diplômé en 2014. J’y ai appris le métier de photographe mais aussi celui de laborantin. Pendant mes années d’école, j’ai fait des stages au laboratoire Central Dupon Images.
Je me suis montré plus que motivé quand j’étais chez eux, ce qui les a amenés à me rappeler dès qu’ils avaient des petits rushs pendant mes vacances scolaires. Et puis à la sortie de l’école, j’ai tout de suite commencé à travailler à Central Dupon Images.
Comment t’es venue l’envie de travailler sur la diaspora rwandaise ?
Le projet de la diaspora rwandaise m’est venu principalement de part ma compagne et son histoire. Je suis tombé dans le panneau au début en voulant parler du génocide en faisant appel à des rescapés que je prenais en photo tout simplement. Mais ce n’était clairement pas la bonne approche. Il ne faut pas oublier qu’avant toute chose, ce sont des hommes et des femmes qui ont une nouvelle vie, qui vivent en France et qui vivent surtout digne et debout, tout en se reconstruisant.
Je me suis dit alors qu’il fallait que j’aie une approche différente, une approche militante. Je me suis ainsi beaucoup intéressé et inspiré de projets d’artistes, dont celui de l’artiste plasticien sud africain Bruce Clarke qui a fait un très beau projet pour la vingtième commémoration du génocide. Je pense aussi à Gaël Faye, un musicien que j’aime beaucoup et qui était parrain de cette opération. Je me raccroche beaucoup à leur façon de penser pour présenter mes projets.
C’est comme ça que j’ai entamé ce travail de mémoire en réalisant des portraits de ces personnes mais à travers des postures fières, debout, avec un regard droit et face à l’objectif, comme pour donner l’impression d’avoir les personnes en face de soi. Je travaille essentiellement en argentique en moyen format avec un bi-objectif, puis je scanne mon travail en format 6 par 6 centimètres pour ensuite les traiter à l’ordinateur. C’est grâce à ce boîtier photo que j’ai une profondeur de champ très réduite. L’appareil que j’utilise me permet également de traiter le flou en arrière-plan, ce qui m’intéresse beaucoup.
Ce projet est très important, sur du long terme et toujours en cours. Je vais y associer du texte et donner la possibilité à ces personnes de parler à travers leur portrait photo, avec un texte qui parle d’eux et des sujets qui les intéressent.
J’essaie d’abolir l’image que la plupart des gens peuvent avoir lorsqu’ils découvrent qu’une personne vient du Rwanda. Ils pensent d’abord au génocide et pas forcément à ce qu’ils sont en tant qu’être humain aujourd’hui. C’est ce que je tente de faire, de les humaniser à travers mon projet. Ce que j’aime avant tout dans ce projet c’est de rencontrer les gens et de discuter avec eux. Cela représente à peu près 90% de mon temps. Moins de 10% sont véritablement consacrés à l’acte photographique. Mon but sur ce projet n’est pas de me rémunérer, mais de présenter ces personnes et leur histoire à la population, c’est juste une conviction qui me tient à coeur.
Quels sont tes projets en cours et à venir ?
Mon projet, en ce moment, est de continuer mon travail autour de la diaspora rwandaise et de militer à travers ces images. Je suis allé récemment au Rwanda pour continuer à rencontrer des personnes et à prendre de nouvelles photos. J’ai encore beaucoup de travail de traitement d’images, de textes à rédiger, mais j’espère pouvoir bientôt dévoiler tout ça, peut-être à travers une exposition… Je préfère présenter mon travail à travers une exposition, c’est plus parlant que de les diffuser sur internet je trouve. Il y a des gens qui viennent, qui se retrouvent face à des images physiques, il y a un impact différent. Mais ce que je souhaiterais vraiment c’est pouvoir présenter une exposition photographique à la fois sur le Rwanda et sur l’auteur Adélaïde Mukantabana – ma belle maman – auteur du roman Agahomamunwa (l’Innommable), un récit sur le génocide des Tutsi au Rwanda. J’aimerais beaucoup mêler textes, récits et images.
Je sais qu’il est difficile de vendre ce genre d’images, mais je souhaiterais aussi essayer de vendre ensuite mes photos afin de pouvoir reverser une partie des bénéfices aux personnes qui sont présentées et qui m’ont fait confiance. Sans eux, il n’y aurait pas de reportages et il est normal que je leur restitue une partie des ventes. Je me considère comme un militant avant toute chose. Certes j’ai besoin d’argent pour vivre, mais si j’arrive à me rembourser mes voyages et à vivre au quotidien, cela me suffit.
Et il y a aussi un projet de reportage documentaire sur lequel je collabore. Je suis parti en Colombie en janvier dernier avec le journaliste Thomas Belet et le cameraman Niels D’haegeleer, pour faire un reportage sur le premier village libéré de la traite négrière en Amérique latine. Ce village, San Basilio de Palenque, a été fondé par un roi africain nommé Benkos Bioho et par d’autres esclaves fugitifs cherchant refuge dans les terres aux abords du port négrier de Carthagène, sur la côte caraïbe de la Colombie. Nous avons réalisé un documentaire vidéo – qui est encore en cours de montage – sur la musique palenquera et j’ai également fait un dossier photo sur ce village, qui ressemble à un village africain en plein coeur de la Colombie. Quand la vidéo sera terminée, nous souhaiterions présenter ce documentaire dans des festivals de court-métrages par exemple, l’idée est de pouvoir sensibiliser les gens et de présenter cette culture.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ?
Ma compagne Berthine. C’est son tempérament, son soutien, son militantisme à travers “Plus jamais ça”, qui m’ont amené à faire les photos que je fais et à être le photographe que je suis aujourd’hui.
Une anecdote à nous raconter ?
Lorsque j’étais encore étudiant à Toulouse, j’ai rencontré Guy Hermann, un militant de la diaspora rwandaise avec l’association Survie. Ce jour-là nous avions rendez-vous chez lui, en début d’après-midi. J’avais un peu de temps avant de retourner en cours. Nous avons commencé à discuter, à boire le thé, à prendre des photos puis nous avons repris nos discussions et je ne me suis pas du tout rendu compte de l’heure qu’il était. Lorsque je suis sorti de chez lui, c’était le soir! J’étais tellement immergé, intéressé, passionné par nos discussions que je ne suis pas retourné en cours. C’est ce que j’aime dans le fait d’être photographe, c’est de prendre le temps avec les gens !
Un lieu où tu aimes aller ?
Le lieu où je préfère être, c’est mon lit (rires) ! J’adore vraiment, je peux lire tranquillement dedans, au chaud.
Sinon, le bar le Titi twister à Bordeaux, parce qu’ils ont de la très bonne bière belge et que c’est le lieu où on aime se retrouver avec mes potes. C’est l’endroit où je vais le plus en ce moment !
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute énormément de musique, mais en ce moment j’écoute beaucoup l’album Exodus de Bob Marley. Je mets mon vinyle et écoute tous les morceaux autant les uns que les autres, je ne peux pas t’en donner qu’un.
Une passion particulière ?
La lecture ! J’adore lire. Je lis beaucoup de choses en ce moment. J’adore Amadou Hampâté Bâ, j’ai lu son livre Mémoires en deux tomes. Moi qui ne connaissais pas grand chose à l’histoire de l’Afrique coloniale, j’ai adoré. Je suis très braqué sur l’Afrique, je ne sais pas pourquoi mais aujourd’hui je connais mieux l’histoire africaine que l’histoire européenne.
Il y a un autre livre que j’aime beaucoup aussi, Congo, une histoire de David Van Reybrouck. Ce livre évoque très bien l’instrumentalisation exercée par l’Europe sur l’Afrique.
Sinon je peux aussi te citer l’auteur sénégalais Boubacar Boris Diop. Son livre Murambi, le livre des ossements est merveilleux.
Une personnalité que tu nous recommandes de rencontrer dans le cadre d’un futur reportage 10point15?
Difficile de n’en choisir qu’une ! Je vais donc en donner trois – qui regroupent finalement les trois domaines qui m’intéressent : la musique, la littérature et la photographie. D’abord le musicien Gaël Faye, un artiste que j’admire beaucoup, à la fois pour la qualité de sa musique et de ses textes, mais aussi pour son engagement : il milite notamment pour les mêmes causes que moi.
Ensuite je dirais l’auteure franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse. C’est quelqu’un que je ne connaissais pas très bien et que j’ai rencontré très récemment pour réaliser son portrait. Je trouve que c’est une personne très intéressante et qui a plein de choses superbes à raconter!
Et enfin Alice Levêque, photographe et membre également du collectif Cyclop. C’est une photographe avec un talent énorme et que j’admire aussi beaucoup.