Est ce que tu peux te présenter en quelques mots, parler de toi, de ton univers artistique ?
Je m’appelle Hugues Micol et je suis dessinateur. Mon domaine de prédilection, c’est la bande dessinée, mais avant cela j’ai fait un peu de tout : des dessins de mode, des décors de soirées, de l’illustration jeunesse… J’ai toujours travaillé en freelance. Autrement dit, pendant longtemps ça a été de la débrouille. J’enchaînais plans foireux sur plans foireux (rires), ou alors des travaux pour des copains. J’aimais bien ça, c’était très formateur de devoir répondre à n’importe quelle demande. Je suis arrivé dans la bande dessinée sur le tard, vers trente ans ! C’était en 2000, avec Chiquito la muerte, un western déjanté rythmé par une folle poursuite à dos de cochon-loup…
Ma façon de dessiner a quelque chose d’inconscient et de très compulsif, c’est comme un jeu. J’ai souvent une vague idée de ce que je vais faire, j’aime l’improvisation totale.
D’où te vient ta passion pour le dessin et comment es-tu arrivé à ce métier ?
«Le dessin est une évidence pour moi, j’en fais depuis toujours.»
Le dessin est une évidence pour moi, j’en fais depuis toujours. Je viens d’une génération sans Internet, pour laquelle il y avait aussi moins de distractions. Mes parents m’ont soutenu dans ma voie, ayant bien compris que ma carrière d’ingénieur était compromise. Après mon bac, j’ai fait une école d’arts graphiques pour devenir graphiste, une formation à la fois rigoureuse et très ludique. Je fais partie de la dernière génération à laquelle on a appris le métier à la main. Très vite, l’ordinateur est arrivé, et ce n’était vraiment pas mon truc ! Mes premiers travaux, je les ai réalisés pour la boîte de communication de mon ami Georges Emmanuel Morali. On faisait tout manuellement et c’était ultra vivant, j’adorais ça. Aujourd’hui, il n’y a plus le même échange, ni la même énergie. Les gens sont planqués derrière leurs écrans, à s’envoyer des mails… Je trouve ça très froid et hypnotique un ordinateur, ça nous rend un peu autistes.
Avec mes enfants, on est d’ailleurs complètement en décalage. Je suis un dinosaure pour eux, j’en ai conscience. Plus généralement, je suis à la fois effrayé et fasciné par cette nouvelle ère numérique et médiatique. Prenons l’exemple de la télé-réalité : c’est le vertige du vide et de la vulgarité ! Mais c’est tellement gros que ça en devient drôle. On pourrait appeler ça de l’art contemporain.
Est-ce qu’il y a une personne qui t’a particulièrement marqué ou influencé professionnellement ?
Ralph Steadman, un illustrateur anglais. Dans les années 80, la mode était à l’illustration chiadée, et moi j’étais déjà trop speed pour ça. Un jour, en lisant le Rolling Stones français, j’ai découvert un portrait qu’il avait réalisé de Hunter S. Thompson. Il s’en dégageait une telle énergie brute… Ça a été un choc esthétique, une épiphanie !
Dans mon entourage, il y a deux personnes que je considère comme mes “bonnes fées”. Georges Emmanuel Morali, et Jean-Louis Gauthey des éditions Cornelius. Georges a une générosité sans limites. Quand j’ai terminé mon école, il m’a tout de suite fait confiance; c’est la première personne à m’avoir fait travailler. Jean-Louis, c’est le seul a m’avoir répondu lorsque j’ai voulu me lancer dans la bande dessinée. Il a vu du potentiel dans les petites choses que je faisais, et depuis, il ne m’a jamais lâché. C’est le réseau dans le bon sens du terme. Il ne s’agit pas d’un réseau capitaliste d’influences, mais d’un réseau de gens de confiance et de qualité.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Elles sont très variées. En peinture, j’affectionne particulièrement Diego Vélasquez et Francisco de Goya.
Je suis aussi très cinéphile. J’aime les films américains des années 70 comme “Voyage au bout de l’enfer”, mais aussi ceux d’Yves Robert, Hayao Miyasaki, ou encore Akira Kurosawa.
En musique, j’ai là encore des goûts très éclectiques. Lorsque je travaille et que je suis en retard, j’adore écouter des groupes très énergiques comme AC DC ou les WHO. À côté de ça, je ne résiste pas à la voix sucrée de Dolly Parton, ni au groove de Beyoncé. J’essaye d’être le plus ouvert possible, de ne pas avoir d’œillères. Je me suis même essayé à la pop française avec Shy’m ! (rires). J’aurais adoré être musicien, parce que contrairement au métier de dessinateur, il y a un échange direct avec le public. La musique, c’est un langage universel ! Malheureusement, j’ai acheté une guitare il y a 17 ans et je ne sais toujours pas jouer une note dessus…
Sur quel projet travailles-tu en ce moment ?
Actuellement, je finalise mon exposition pour le festival Regard9 à Bordeaux, avec les éditions Cornélius. Je suis aussi en train de réaliser une bande dessinée sur des (méchants) cowboys qui devrait sortir en janvier prochain chez Futuropolis. Pour cela, plutôt que de faire les choses de manière carrée – avec un synopsis puis un découpage – je m’attelle à toutes les tâches en même temps. Je coupe, je re-découpe et je recommence… Certes, c’est plus long, je m’emmêle les pinceaux et il y a beaucoup de déchets, mais je trouve le résultat plus surprenant !
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Mon idéal absolu, ce serait d’avoir la vie de Julian Schnabel dans le film Basquiat qu’il a réalisé. Être un illustre peintre avec mes petits costards, mon atelier démentiel à New York, dans lequel je peins des toiles de quatre mètres sur douze… Ça aurait été le bonheur !
Un artiste coup de cœur ?
J’adore le travail de la bédéiste Lisa Mandel, notamment Nini Patalo, qui raconte les histoires d’une petite fille et de sa famille un peu loufoque. Il y a André le canard, Jean-Pierre, un homme préhistorique décongelé, et Patalo, un bébé monstre violet qui peut se transformer en toute chose dont le nom se termine par “o”… Un chef d’œuvre !
J’aime aussi beaucoup l’univers de Grégoire Carlé. Il est notamment l’auteur de “La Nuit du capricorne”, une jolie bande dessinée sur l’adolescence, le passage vers l’âge adulte, et la naissance à soi.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Tout l’album éponyme de Rage Against the Machine, surtout la chanson “Killing in the name” qui me rend hargneux !
Une anecdote à nous raconter ?
Peut-être ma rencontre avec Jean Giraud, alias Moebius, l’idole de mon enfance. Pour presque tous les dessinateurs, il incarne un dieu, celui de l’illustration. J’ai eu l’occasion de le voir peu avant sa mort, au festival d’Angoulême en 2006, où j’avais été invité pour présenter “Séquelles”. J’étais très intimidé face à lui. D’entrée de jeu, il m’a dit “Tes dessins, ça ne va pas du tout”. Je lui ai répondu que c’était dans tous les cas un honneur pour moi qu’il ait pris le temps de lire ma bande dessinée. À ça, il s’est empressé d’ajouter “Oh mais, je ne l’ai pas lue !”. Voilà, j’avais mon anecdote sur Moebius ! Il était réputé pour ne pas être tendre avec ses collègues, mais je ne l’ai absolument pas mal pris, au contraire, cela m’a fait beaucoup rire. J’ai l’impression que parmi les dessinateurs, il y a de l’égo mais pas d’animosité.
Quelle personnalité nous recommanderais-tu d’interviewer pour 10point15 ?
Paul Richer de UFO Distribution. Avec son collaborateur, il a monté une petite boîte parisienne de distribution de films, sans un sou mais avec débrouillardise. J’aime beaucoup leur sélection de films.
Ils ont par exemple ressorti un polar anglais – La Panthère Noire de Ian Merrick -, interdit lors de sa sortie et resté invisible pendant près de 40 ans ! Même François Guérif, le pape du polar, ne le connaissait pas.