Peux-tu nous parler de toi et de ton activité en quelques mots ?
Mon prénom est Rustha Luna, mon nom de famille Pozzi-Escot, et je suis artiste plasticienne. Je suis née à Lima, au Pérou, mais j’ai des origines françaises – bergeracoises – depuis 4 générations. J’habite en France depuis maintenant 15 ans.
J’ai commencé par étudier les arts plastiques à l’Université pontificale catholique du Pérou où je me suis spécialisée dans la sculpture, et où j’ai pu travailler sur tous les matériaux possibles. Je suis ensuite venue en France pour étudier aux Beaux-Arts du Mans, où j’ai pu aborder d’autres techniques, d’autres pratiques plus contemporaines. J’ai voulu continuer à étudier et j’ai atterri à Bordeaux qui est une ville que j’adore, c’est pourquoi j’y suis restée après mes études à l’Université Michel Montaigne. Voilà pour mon ADN identitaire (rires).
Mon univers artistique tourne beaucoup autour de la femme (vis-à-vis d’elle-même, vis-à-vis des hommes et de la société), et de manière plus large autour de la recherche d’identité. Par exemple, dans mon projet Femmes Armées, je me mets en scène dans des costumes que j’ai créés avec des objets du quotidien féminin, et je montre différentes femmes “armées” dans le monde. Ici, on interroge plutôt quelles sont les vraies armes des femmes…
Je me considère comme une artiste engagée plus que militante car il faudrait alors militer, donner du temps et de sa personne pour se battre, alors que moi, je me bats avec mes pièces.
J’aime aussi beaucoup construire avec mes mains, et mon univers est un bon mixte entre l’école péruvienne et l’école française. En France, on nous pousse à avoir un discours alors qu’au Pérou, l’enseignement est axé sur la technicité. J’ai d’ailleurs appris à travailler presque tous les matériaux et c’est pourquoi mon travail est très varié : je travaille le métal, la résine, le marbre, le bois, je dessine, je fais beaucoup de couture, je détourne tous les objets comme je veux. Mon travail est vraiment un mélange des deux expériences, et c’est un travail libre qui me correspond absolument.
«En fait, je fais beaucoup de choses différentes, je ne suis pas que peintre, que sculpteur ou que designer. Mais je pense que le terme de plasticienne englobe un peu tout ça (rires).»
Aussi, une partie de mon travail est d’ouvrir mon savoir faire comme avec l’atelier Ropaqui consiste à inviter des gens dans un atelier ouvert afin de créer ensemble des oeuvres textiles avec de la récup. L’oeuvre dans laquelle je me mets en scène pour vous (en exclusivité NDLR), Lord Camissa, est d’ailleurs issue de cet atelier-là. J’exploite aussi d’autres “façons de créer” où cette fois, c’est moi qui me déplace vers les gens (dans des lycées, hôpitaux, EHPAD…).
En fait, je fais beaucoup de choses différentes, je ne suis pas que peintre, que sculpteur ou que designer. Mais je pense que le terme de plasticienne englobe un peu tout ça (rires).
D’où te vient cette passion pour l’art, la création ?
Je suis née dans une famille un peu atypique avec un arrière grand-père émigré, donc de culture différente, et avec des parents aux métiers culturels : un père cinéaste et photographe et une mère scénographe-costumière qui travaillait le cuir et qui est devenue journaliste. Mon oncle était peintre aussi. Et puis j’ai grandi dans les années 70-80, dans une Amérique Latine où l’on avait envie de croire que l’on peut vivre dans un monde meilleur… Je pense que j’ai baigné dans un univers artistique très ouvert, dans une famille très engagée, et surtout très libre. On m’a appris à faire ce que je voulais de ma vie, sans que l’argent soit un moteur. Travailler dans l’univers artistique et culturel a toujours été une évidence pour moi.
Quelle est la personne qui t’a le plus influencée ou marquée professionnellement ?
Quand on me pose cette question, je pense tout de suite à Anna Maccagno, une femme sculpteur italienne qui avait émigré au Pérou. Elle était la doyenne de la fac où j’ai étudié, et la fondatrice de l’école de sculpture à Lima. C’est grâce à cette femme qu’il y a eu par la suite toute une série de femmes artistes sculpteurs, et j’ai eu la chance d’avoir été formée par elle.
Dans l’approche classique et basique de la sculpture, Anna Maccagno nous a appris à nous confronter au morceau de pierre ou de bois, autant physiquement que techniquement, à savoir comment l’appréhender, le transformer. Elle nous a enseigné la discipline, l’amour et la confiance. Pour moi, c’est grâce à cette femme que je suis devenue sculpteur et plasticienne.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Tout. Cela dépend comment je me sens; parfois, j’ai besoin de chercher l’inspiration, de chercher le déclic, et parfois, j’ai besoin de rien. De manière générale, je pense que c’est ma vie qui m’inspire, ma condition de femme, et c’est bien suffisant ! (rires)Je crée aussi des oeuvres à partir de rencontres. Par exemple, lorsque j’ai travaillé avec à l’EHPAD Grand Bon Pasteur à Bordeaux, j’ai travaillé avec des personnes très âgées, et j’ai alors réalisé toute une série de pièces appelée Versus, parlant de la vieillesse en relation au sport.
Tout peut m’inspirer, et je suis hyper curieuse ! Heureusement d’ailleurs, car je suis quelqu’un qui s’ennuie très vite, c’est pourquoi je saute d’une technique à l’autre. Mes envies de création commencent souvent avec l’envie de toucher une matière.Le métier d’artiste est magnifique (rires), car c’est tellement imbriqué sur ta vie, comme un Tetris. Comme je suis créatrice, tout peut me servir pour créer.La musique me motive beaucoup aussi. Il m’est impossible de concevoir le monde sans musique. J’en écoute tout le temps, et cela rythme mon travail.
Sur quel projet travailles-tu en ce moment ?
J’ai récemment travaillé sur le clip de Boubouche de Odezenne. Le groupe m’a invitée à participer au projet en créant la pièce centrale du clip, une grosse bouche en latex. J’ai ensuite apporté 3 ou 4 pièces supplémentaires, et finalement, le clip se termine sur moi habillée en Femme Armée. Cela m’a permis de découvrir l’univers du clip que je ne connaissais pas.
En ce moment, je travaille sur un projet Erasmus + sur le recyclage, porté par le Lycée Saint Genès à Bordeaux et qui est inspiré du Ruban Möbius. Il s’agit d’une oeuvre d’art collective, faite à partir de matières recyclées et réalisée en collaboration avec des représentants (étudiants, enseignants, etc.) de lycées de 6 pays sélectionnés (Italie, Turquie, France, Pologne, Grèce, Slovénie). L’assemblage final aura lieu à Bordeaux à la fin du projet, en avril 2017.
Quel autre métier aurais-tu aimé faire ?
Je pense que sportive de haut niveau m’aurait bien plu. Dans n’importe quelle discipline, bien que j’aie un penchant pour le surf. Mais le problème du sport à un niveau professionnel, c’est que ta carrière se termine jeune.Sinon, comédienne, mais dans le cinéma, car je préfère son univers à celui du théâtre. Mon père nous a toujours filmés et photographiés; j’ai une caméra braquée sur moi depuis que je suis née, donc être filmée est quelque chose de naturel pour moi.
J’ai déjà essayé de jouer dans une pièce de théâtre, mais je ne me suis pas du tout sentie à l’aise. J’ai alors réalisé que je pouvais travailler en “coulisses”, et j’ai donc choisi la sculpture.
As-tu un artiste coup de coeur à nous faire découvrir ?
Osang Gwon, un artiste coréen d’une trentaine d’années. Il sculpte des personnages et des objets dans du polystyrène qu’il recouvre ensuite par plein de mini photos. Cela donne tout le volume aux oeuvres et c’est extrêmement fin ! J’ai découvert son travail à Paris, et j’ai eu un gros coup de coeur !
Peux-tu nous donner un morceau de musique que tu écoutes en ce moment ?
Je suis pas mal d’artistes des scènes underground et Grouch, c’est juste de la bombe ! C’est un DJ néo-zélandais que j’aime beaucoup ! Son set électronique mélange Hip Hop, Dub, Drum and Bass avec des sonorités orientales… je kiffe !J’écoute de la musique tout le temps, mais par contre, jamais de la musique lente, mélancolique ou romantique. Quand je me lève, je mets de la musique pour me donner la pêche.
As-tu une anecdote à nous raconter ?
Lors de mon premier rendez-vous gynécologique en France, mon gynéco – un petit vieux à un an de sa retraite -, en voyant mon nom de famille Pozzi-Escot, me demande si je viens de la famille du Dr Pozzi. Avec mes origines bergeracoises, je savais que oui. Le monsieur était tellement content de rencontrer l’arrière-arrière-arrière petite-fille du Docteur qu’il m’a offert une pince Pozzi, pince très connue dans le milieu. (rires)
Penses-tu à une personne que l’on pourrait interviewer pour 10point15 ?
Je pense à Anti que j’ai rencontré lorsque que je travaillais avec le collectif Transfert. C’est une belle découverte, et je ne m’attendais pas à voir un artiste tel que lui au milieu des graffeurs. Il détourne les objets avec un discours, un savoir-faire, et il est assez polyvalent, comme moi. Il est aussi anti-tout, et je très suis curieuse de voir comment il répondrait à vos questions. (rires)