Peux-tu nous parler de toi et de ton univers en quelques mots ?
Je m’appelle Amine Mesnaoui, j’ai 28 ans et je suis pianiste. J’ai grandi à Rabat, au Maroc, avec de la musique africaine autour de moi, beaucoup de Gnawa et de Jimi Hendrix.
C’est difficile de mettre des mots sur ce que je fais. Quand j’improvise, je pense souvent à des couleurs. Je pars d’une toile blanche et j’y ajoute des couleurs. Ça ne donne pas des choses précises, plutôt des formes abstraites. Peu importe les tonalités. Tonales, pentatoniques…
La musique marocaine est en moi. La musique africaine en général. Pour moi la musique c’est spirituel. Je ne saurais pas dire où exactement on retrouve ces influences dans mes compositions ou dans mon jeu, peut-être dans le rythme, dans le phrasé. Je cherche toujours la transe, c’est comme ça que je communique avec Dieu.
D’où vient cet intérêt pour ton activité ?
«Jouer du jazz est un long travail. C’est un autre mental, un autre son, une autre manière de jouer…»
Tout petit, je passais mon temps à pianoter sur un toypiano. À huit ans, je voulais devenir musicien, étudier la musique. J’ai choisi le piano, j’ai suivi les cours du Conservatoire de Rabat. Pour aller plus loin dans mes recherches, j’ai dû partir, aller à Paris. Là, j’ai choisi le jazz parce qu’on y trouve beaucoup de liberté. Plus que dans la musique classique. Marc Copland a été un de mes professeurs.
Et j’apprends toujours ! Jouer du jazz est un long travail. C’est un autre mental, un autre son, une autre manière de jouer… Une fois tous les deux ou trois ans, je vais voir un professeur. Nous parlons musique : la façon de l’aborder, comment traiter le rythme, les mélodies, le timbre… Nous mettons des mots sur la musique. Mon prof a une autre façon de penser la musique, c’est pour ça que je vais le voir. Moi, je trouve la parole à travers les sons, pas à travers les mots. Je ne suis pas le mieux placé pour parler de ma musique. Certaines personnes le font mieux que moi.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Au piano, Keith Jarret a été ma première inspiration, au même titre que Paul Bley. Ensuite, j’ai découvert Masabumi Kikuchi, un grand pianiste japonais. Ma plus grande inspiration. Son jeu est très libre, très profond, très honnête. Parfois ça peut paraître fou et bizarre. Chaque note qu’il joue est juste magnifique. J’aurais beaucoup aimé le rencontrer.
Enfin mon père. Il est poète. Sa manière de travailler, sa rigueur m’inspirent. Il a toujours tout donné à son activité. Je n’ai jamais lu ses poèmes. De peur de découvrir mon père autrement.
Sur quel projet travailles-tu en ce moment ?
Un projet en duo avec le saxophoniste Philipp Gerschlauer. On a enregistré l’album, on travaille actuellement sur le mix. Philipp est un des pionniers de la musique microtonale. Au piano, on a des tons et des demi tons, des touches blanches et des touches noires. Dans la musique microtonale, tu as une infinité de possibilités. Pour l’accompagner au piano, il faut trouver des idées nouvelles et sortir des schémas préconçus.
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Joueur d’échec professionnel ! Je joue depuis que je suis tout petit. Comme le piano, ça demande beaucoup de pratique, beaucoup de travail.
Un artiste à nous faire découvrir ?
Masabumi Kikuchi ! Il est peu connu du grand public. Il a toujours fait la musique qu’il aimait, celle qui exprimait ses idées.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Morton Feldman et ses quatuors à cordes.
Une anecdote à nous raconter ?
La chose la plus bizarre qui me soit arrivée sur scène, il y a longtemps. Je devais accompagner une chanteuse lyrique. En plein milieu du morceau, elle s’est arrêtée de chanter, s’est retournée vers moi, furieuse. Elle s’est avancée vers moi, m’a dit d’arrêter de jouer. J’ai cru qu’elle allait me frapper. En fait elle avait fait une fausse note. Personne, ni le public ni moi, ne l’avions remarqué ! Elle était furieuse contre elle-même et est sortie de scène.
Une passion particulière ?
«Je ne pourrais pas exister sans les deux.»
Les échecs. Je peux passer des journées à regarder des parties d’échec sur internet. Ce jeu fait partie de moi, comme le piano. Je ne pourrais pas exister sans les deux. Je peux passer mes journées à pratiquer. Une partie d’échec a une certaine dramaturgie, une beauté, un développement. Comme la musique.
Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15
Andreas Schmidt, un grand pianiste de jazz qui habite à Berlin.