Peux-tu nous parler de toi en quelques mots ?
Je m’appelle Florent Dubois, je suis né à Besançon en 1990. J’ai étudié pendant 5 ans aux Beaux-Arts de Lyon où je faisais déjà du dessin et de la céramique.
Après mes études, j’ai trouvé un emploi aux Beaux-Arts de Toulouse pour donner des cours aux enfants et aux adolescents. Les cours périscolaires et amateurs sont une mission souvent méconnue des écoles d’arts. Ils évoluent en parallèle du cursus initial qui s’adresse aux étudiants.
Je suis parti là-bas alors que je ne connaissais ni la ville, ni le Sud-Ouest en général.
J’ai appris ce travail sur le tas. Toute la délicatesse de ce type d’emploi réside dans le fait qu’il faille répondre à la fois aux attentes de l’école et à celles des enfants inscrits et des parents. Il faut donc osciller entre un enseignement classique du dessin et de la peinture et une démarche ludique. J’avais décidé de travailler avec les enfants autour de tous les sujets classiques des cours de dessin : la corbeille de fruits, le buste en plâtre, le modèle vivant, les animaux,... tout en les déformants à chaque fois. J’avais volontairement pris des animaux d’une laideur sans nom que les enfants devaient dessiner ou des moulages de bustes extravagants avec des princesses ou encore des fruits bizarres.
Aujourd’hui, y-a-t-il des liens entre ta pratique personnelle et ton rôle enseignant ?
Ce sont des couches successives. À tort parfois, on peut voir mon travail comme enfantin parce que ce sont des couleurs pastels, des peintures avec des peluches ... Je pense que c’est à la fois trop facile et trop sophistiqué de me mettre dans la case “art naïf”. Mon expérience avec les enfants a été superbe parce que j’ai redécouvert des techniques comme la gouache qui ne sont pas souvent utilisées mais parfaites pour peindre sur papier. J’ai aussi redécouvert le pastel sec ou encore une passion que j’avais mise de côté pour les animaux et les végétaux. Le fait de penser à des exercices pour les enfants m’a ouvert des portes dans ma pratique personnelle.
Qu’est ce que tu présentes dans ton exposition au 60 rue Lucien Faure à Bordeaux ?
C’est une exposition qui à connu pleins de petits soubresauts et qui s’est étendue dans le temps. J’ai eu beaucoup de temps, de moyens et de générosité pour la produire. Tout a été fait sur place aux superbes ateliers de Zébra 3. Il y a tout d’abord une trentaine de céramiques qui constituent la partie principale de l’exposition. Elles ont des couleurs et des tailles différentes et sont très variées dans les jeux de surfaces que permet la céramique. Pour la première fois avec l’exposition à Bordeaux, il y a une incursion dans la peinture. Ce n’est pas des peintures sur toile mais sur panneaux de bois présentées sur des chevalets avec tout ce que cela convoque : les paravents, le décor et les arts décoratifs. Il y a également une vidéo qui n’est pas de moi. Elle a été faite par un duo d’artiste : Chloé Munich et Vincent Lalanne qui sont des amis très proches avec qui j’échange beaucoup. Cela fait longtemps que l’on réfléchissait à un projet commun. La vidéo est venue à une période où je ne pouvais plus beaucoup venir à Bordeaux pour des questions d’emploi du temps et nous avons travaillé à distance. À la base, on l’avait pensée comme une collaboration avec un scénario construit où je jouais moi même dans la vidéo. Finalement, je joue plus un rôle d’accessoiriste ou de décorateur. J’ai fait des céramiques spécialement pour eux et je leurs ai apportés toutes les impressions sur textile que j’ai réalisé. À partir de ces pièces, ils ont construit une fiction.
«Qu’est-ce qui est affreux, effrayant et lugubre et surtout qu’est-ce que cela veut dire à notre époque ?»
J’aime considérer mes céramiques comme des personnages-accessoires, elles sont ornées de visages, sont creuses, ce sont des réceptacles vides, des fantômes. C'est comme une offrande, ils remplissent mes contenants sculptés de leur propre histoire, les chargent de leur propre intérêt. Cette vidéo est un contre-point positif au reste de l'exposition, elle apporte un regard bavard sur ce qui est montré autour. Cette collaboration me rend spectateur de mon propre travail. Le quatrième travail présenté est une sélection d’images. Les dessins que je fais ne sont pas des dessins d’invention. Je trouve des objets sur des brocantes ou sur Ebay et en les dessinant ou en les peignant, je les déforme et j’y appose ma propre lecture. On peut donc voir toutes les images que j’utilise pour travailler, c'est à la fois un bestiaire, un herbier ou un mood-board. Il y a une sorte de thématique assez vague qui les relie. C’est cette notion de l’affreux. Qu’est-ce qui est affreux, effrayant et lugubre et surtout qu’est-ce que cela veut dire à notre époque ?
Est-ce que certains penseurs ont-il guidé ta fascination pour le grotesque ?
Dans les penseurs, il y à Mikhaïl Bakhtine qui est un historien russe de l’époque soviétique qui à écrit un livre qui s’appelle “L’oeuvre de Rabelais et la culture populaire au moyen âge et sous la Renaissance” qui prend uniquement appui sur les textes de Rabelais et qui décrit la culture pop du Moyen-âge. Il y a beaucoup de parties sur le Carnaval et le carnavalesque. C’est une réflexion profonde qui va au-delà de la fête des fous, du divertissement, on se moque du roi et du clergé . Le second, c’est Jurgis Baltrusaitis, qui est un historien des pays baltes. Il a écrit un livre génial qui s’appelle Aberrations. Il y parle de l’amour sans fin qu’avait la culture médiévale pour les choses affreuses et terrifiantes. Il parle des personnes qui collectionnaient des pierres magiques, des anamorphoses, des cabinets de curiosités où l’on inventait des choses bizarroïdes. Par exemple, on collait des cornes de narval sur des chèvres pour faire croire que c’étaient des licornes. Ces deux auteurs ont fondés théoriquement mon intérêt pour le grotesque qui se superpose à mon étrange amour pour les masques, les farandoles et la musique. J’ai une grande complaisance pour la distraction.
Malgré cet intérêt, je ne suis pas quelqu'un qui aime beaucoup se déguiser. Ce n’est pas du tout une passion. Je pense que la dernière fois que j’ai fêté le carnaval j’avais 10 ans. Cependant, j’adore RuPaul, les émissions de concours de maquilleurs de cinéma. J’adore les jeunes qui se sapent très bien pour aller en boîte de nuit. Chez RuPaul, ce qui est génial, c’est que c’est la fantaisie totale. Dans le paysage télévisuel mondial, c’est une sorte de monde parallèle où tout est humour truffé de niveaux de lecture différents.
Je m'intéresse aussi beaucoup en ce moment à l'histoire de la céramique française à partir des années 50.
Je pense au village de La Borne dans le Berry, au couple Leurat, à Daniel de Montmollin qui ont énormément contribué à la recherche sur les émaux en céramique et à leur connaissance.
En peinture, j'aime beaucoup James Ensor, Walter Swennen et mon artiste favorite est Karen Kilimnik.
Helmut Newton est également une référence très importante pour moi.
J’ai aussi beaucoup aimé l’exposition “Decorum” au Musée d'art moderne de la Ville de Paris sur les tapis et tapisserie d’artiste ou l’exposition sur les bijoux d’artiste.
Est-ce qu’il y à un autre métier qui tu aurais aimé faire ?
Si j’avais su que cela existait, j’aurai aimé être conservateur d’un musée de la mode ou du design ou bien des arts populaires pour effectuer des mélanges. On peut mettre une robe à côté d’un meuble sur lequel est posée une lampe et devant une peinture. C’est quelque chose qui n’est pas toujours possible dans l’art, de mélanger autant de formes de champs différents.
D’ailleurs, j’ai déjà réalisé des impressions sur tissus qui ont le format de foulards. J’aimerai bien les mélanger aux céramiques et aux peintures, avec des mannequins recouverts de dessins imprimés. J’adore dessiner mais je trouve qu’un dessin est encore plus intéressant lorsqu'il est imprimé sur un sticker ou une coque de téléphone. Et c’est encore plus drôle si le dessin revient lui aussi au dessin comme une boucle sans fin. Dans ce sens, le dessin de mode est une forme très inspirante, pensons aux dessins de chaussures d’Andy Warhol qui sont incroyables, aux dessins de Saint Laurent ou à ceux de Karl Lagerfeld qui à des longues boîtes à pastel comme des orgues. Par exemple, j’aime beaucoup les dessins d’imprimés dans les archives, les cartons de tapisseries et les dessins des carrés Hermès.
Est-ce qu’il y a un lieu que tu aimes particulièrement ?
Je suis très attaché à la Franche-Comté car c’est là d’où je viens. J’aime bien cette idée que c’est une région un peu méconnue et qu’il faut la mettre en avant. Il n’y a pas que des usines Peugeot et des usines de montres. En Franche Comté, il y a le Frac à Besançon qui font parti de ces Frac de nouvelle génération avec un bâtiment inauguré il y a quelques années et un centre d’art à Montbéliard qui s’appelle le 19 CRAC . Il y a aussi plusieurs ateliers de sérigraphie autogérés et notamment un petit lieu qui s’appelle Sunset. C’est l’atelier de Hugo Schüwer Boss qui est professeur aux beaux-arts de Besançon et qui prête un ancien garage automobile, pour des expositions. D’ailleurs, on fait le lancement de mon livre là-bas.
Tu sors un livre prochainement ? Avec qui as-tu travaillé sur ce projet ?
Avec le studio de graphisme Office ABC composé de Catherine Guiral et de Brice Domingues.
Catherine était professeure à Lyon en design graphique. Un jour, je ne sais pas pourquoi, j’avais une présentation d’un examen et j’avais laissé les céramiques traînées dans le couloir. Elles lui ont beaucoup plu et le soir, j’ai reçu un mail de cette professeure que je ne connaissais pas du tout. Il fallait juste remplacer deux mots et deux virgules et c’était un texte parfait sur mon travail. Je lui ai demandé de l’utiliser comme texte et tout est parti de cette anecdote. Plus tard, le Musée des Arts Décoratifs de Paris organisait une exposition où Office ABC avait un rôle très délicat : réaliser le graphisme d’une exposition de graphistes. Il devait réunir tout le monde et proposer une scénographie, Catherine et Brice m’ont alors demandé de réaliser des presses-papiers en céramique pour caler les cartels et dans la salle centrale, j’avais réalisé plusieurs céramiques présentées sur un table avec des fleurs. C’était la première fois que je faisais des céramiques après l’école. C’était rocambolesque à souhait ! Ensuite, on a continué à se côtoyer, j’ai eu une bourse pour réaliser un livre et naturellement, j’ai fait appel à eux.
Avec ce livre, il y a l’idée de réaliser un hymne polyphonique à partir des dessins, dans la façon dont ils sont imprimés et répétés mais également dans les textes critiques qui jalonnent l'ouvrage. Je trouvais intéressant d’avoir plusieurs points de vue.
Chaque auteur a été invité pour une raison particulière. Le premier est Aurèle Nourisson. C’est quelqu’un qui à mon âge, qui a habité toute son enfance à la campagne et vit désormais à Poitiers et qui est plus rebelle que moi. Il connaît bien le monde de la musique et s’intéresse beaucoup aux théories du genre et du postcolonialisme qui sont des choses que je connais très mal. Il y à Jill Gasparina qui suit mon travail depuis très longtemps, que je connais depuis que j’ai 18 ans. Il y a aussi un texte de Stephen Knott, c’est la caution british. Il est historien des savoirs faire, du craft, de l’artisanat et de la céramique. Il a écrit un texte qui se référence beaucoup à l’histoire de la céramique et à l’Angleterre. Le quatrième est Joël Riff qui est un critique d’art et commissaire. Joël connaît aussi mon travail depuis longtemps et a un très profond amour pour la céramique. Il collabore d’ailleurs depuis peu avec la revue de la Céramique et du Verre. C’est quelqu’un qui suit de très près la jeune scène française. Infatigable, il n’a de cesse de parcourir la France pour visiter des ateliers. Je cherchais le point de vue de quelqu’un qui bouge, qui connaît à la fois l’histoire de la céramique, mais qui connaît aussi l’implication contemporaine de ce médium. Et le dernier texte est un texte des graphistes du livre Office ABC. Ils parlent à la fois de ce qu’ils ont voulu faire pour l’ouvrage et de mon travail à travers une image de Tintin et l’oreille cassé, décrite minutieusement. Les textes font écho aux jeux de regards, qui fixe qui, aux fantômes masqués qui peuplent mon travail.
Le livre est édité par Tombolo Presse qui a une petite maison indépendante fondé par un professeur à Nevers.
Quels sont tes futurs projets ?
Je participe à l’édition 2018 du Printemps de septembre à Toulouse pour une exposition de groupe. Ensuite, il y a la promotion du livre. On va faire des lancements qui entraînent des nouvelles petites productions comme des presse papiers en céramique ou des éléments en volume qui servent la présentation du livre. Je fais une exposition à Motto qui est une librairie d’art à Berlin. Là, je travaille avec Sarah Vadé qui est graphiste et on propose une relecture de Madame Bovary 2010' où l’on va au-delà de l’histoire. On a construit un imagier d’images de la féminité : des rubans, du lipstick, des fleurs, des brebis en porcelaine, des champs de blé avec des filles, des maillots de bain qui fait écho à une imagerie romanesque de la féminité présente dans les publicités ou le marketing.
Ces images sont assemblées dans des jeux de collages d’assez grands formats qui vont être présentés dans des vitrines à côté de mes petites céramiques. Ce sera des petites cloches avec des émaux sophistiqués, très sirupeux sur lesquelles il y aura pleins d'anémones de mer en plastique collées qui contaminent les petites sculptures. Elles vont être posées dans les rayonnages des libraires. Madame Bovary et les coquillages. Puis après, on participe avec des amis au salon MAD. Nous nous sommes cotisés pour un mini-stand que nous allons tenir à la manière d'une kermesse, chacun notre tour.
Est-ce qu’il y a une musique qui t’inspire actuellement ?
J’ai actuellement une passion sans fin pour la musique de l’Indonésie, ce que l’on appelle les gamelan . Ce sont des orchestres avec beaucoup de percussions, avec des xylophones très grands et très ornés. Ce sont des instruments où l’on joue à deux. C’est la musique qui accompagne les danses de masques à Bali.
Un autre artiste à recommander pour 10point15 ?
J’aime beaucoup Morgan Patimo qui est un jeune dessinateur basé dans le Sud.