Peux-tu nous parler de ton univers en quelques mots ?
«Je suis le Bachelor, sapeur, adepte des couleurs, vendeur de cacahuètes, un peu con, un peu intelligent.»
Ce pays, la France, est devenu le mien il y a 38 ans. J’ai fait un parcours classique : lycée en Seine-et-Marne, gestion à l’Université de Créteil-Paris XII puis en école.Je ne me destinais pas à cette activité que j’exerce aujourd’hui. Ce n’est pas l’univers dont je rêvais… il m’a trouvé tout simplement ! Pendant mes années de faculté, je portais déjà des vêtements très colorées, des pantalons rouges. J’aimais bien Daniel Hechter. Un jour, on m’appelle : il manquait un vendeur dans l’une de ses boutiques. J’ai alors travaillé au rayon femme. Je vendais beaucoup et j’ai été très vite embauché de façon permanente.Les trois couleurs qui primaient dans les collections d’Hechter étaient le bleu marine, le noir et le gris. De nombreuses personnes, notamment des étrangers qui passaient à la boutique, me demandaient souvent où ils pouvaient trouver des pantalons comme les miens… C’est à ce moment là que j’ai eu la volonté de promouvoir les couleurs en créant ma marque. J’ai d’abord habillé les gens à domicile pendant quelques années. Puis ma mère m’a légué cette boutique, un ancien restaurant, alors que j’étais prêt à repartir au Congo. Les gens du quartier disaient qu’une boutique de vêtements ne fonctionnerait pas ici, qu’il fallait être fou car dans cet arrondissement seul l’alimentaire primait. C’est ainsi que j’ai créé Connivences et ai déposé la marque en 1998. J’ai eu de la chance car le nom tombait dans le domaine public à ce moment là. J’ai ensuite ouvert ma boutique en juin 2005.La culture de la Sape est ainsi devenue la mienne. La Sapologie consiste à associer avec bon goût, sans les révéler, des marques de créateurs et des couleurs. La S.A.P.E, la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes, est née au Congo dans les années 70. Ce sont ces dandys à l’africaine qui imitent les bourgeois français du XIXème siècle. Ils en ont fait un art de vivre… qui est devenu le mien !Depuis quelques années, il y a un regain d’intérêt des médias pour la Sape. En témoigne notamment, l’exposition L’Art d’être un homme présentée en 2010 au Musée Dapper.Je suis également consulté par de nombreuses marques telles que Nike et Lacoste pour leurs publicités de marques.
D’où te vient cette passion pour l’univers coloré de la Sape ?
Je n’aime pas la norme. Avec le bleu marine, tu n’intéresses personnes. Pour être un sapeur, il faut d’abord s’aimer à 80% soi-même. C’est une philosophie de vie. Je défends les valeurs Connivences au pluriel. Je suis dans le partage de l’instant. Je suis pour la vie, les relations humaines. Mon métier consiste à vulgariser des couleurs. Je pratique une Sape des couleurs. Je veux être acteur de la vie et que la Sape soit reconnue d’utilité publique. Il faut savoir que je ne tombe jamais malade. La maladie respecte le Bachelor. Dès qu’elle voit les couleurs flamboyantes que je porte, elle fuit (rires) !
Quelle est la personne qui t’a le plus influencé ?
Mon père. Mon père a plus d’habits dans sa garde-robe que ma femme. C’était une personne plutôt « classique » mais un réel passionné par les vêtements. C’est moi qui cirais ses chaussures. Mon père est décédé est 2002. Il était un amoureux des vêtements. Et puis il y a aussi mes « grands frères »… Nos aînés, que je respecte profondément.
D’où te vient ton inspiration ?
De ma folie. De mon audace. Je regarde beaucoup les mannequins dans les magazines, comment ils sont habillés… puis je les réinterprète à ma façon. Je visualise les silhouettes que je créé en associant telles ou telles couleurs de chemise avec telle veste. J’aime particulièrement le style italien de Dolce et Gabanna.Pour les coupes des vestes, j’ai des ouvrages de références tels que Mode Men de Julien Scavinni et L’Eternel Masculin de Bernhard Roetzel. Je suis fasciné par les manches de chemises. L’art d’ajuster les manches par rapport à la veste… Elles doivent dépasser de quelques centimètres et être bien ajustées. Elles doivent être droites et bien visibles.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Je veux prendre quelqu’un au magasin pour s’occuper des ventes, des clients. Ce qui me laisserait plus de temps pour suivre et créer mes collections. Aller en Italie par exemple où je fais fabriquer les chemises. Et puis, il y a le site internet qui est en train d’être refait.Il y a aussi une opportunité de franchiser Connivences à Chicago. Mais c’est pas sûr…J’aide également les autres petits à se lancer… en donnant des conseils. J’essaie de les aider comme je peux.Et puis, je suis aussi souvent invité à participer à des soirées… D’ailleurs, on a insisté pour que je participe à l’une d’entre elles demain soir! Il va falloir que je me prépare. Je serai sur mon “32”, ça va envoyer du lourd, “ça va être grave, ils vont souffrir” (rires) !
Une anecdote à raconter ?
Bon, ce n’est pas vraiment une anecdote. C’est quelque chose qui s’est passé et qui m’a fait réfléchir. Un jour, un sapeur passe à la boutique pour acheter une chemise. Je lui en propose une, qui lui plaît mais il me dit : « C’est quoi ça ? Il ne faut pas mettre Connivences ».Tout le paradoxe était là. « L’Africain » n’achète pas. Je travaille pour une niche. Il faut assumer sa culture. Alors la Sape devient politique. Elle est économique. On vit rarement de sa marque. Ma mère a dû plusieurs fois m’aider financièrement. Mais je me bats. Je veux être un modèle. Il faut défendre sa marque, sa passion.
Un métier que tu aurais voulu faire ?
Ministre! Je me vois grand cadre dans mon pays. Je pense réellement avoir un avenir politique au Congo. La France m’a beaucoup donné mais maintenant, il faut que je donne à l’Afrique. Mon rêve est de développer la Sape en Afrique. Etre un petit Yves Saint Laurent africain. En commençant par monter une usine de chemises à Brazzaville. La Sape est une tribune pour taper sur l’injustice de la misère.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
L’album Kanga Bwe d’Elba Top A, le mage de la rumba congolaise. C’est moi qui l’ai habillé pour la pochette de son album !
Une passion particulière ?
La Hifi. J’ai beaucoup d’amplis et de disques chez moi. J’aime la musique et j’aime danser. Je suis un bon danseur.
Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Papa Wemba. C’est un musicien et chanteur congolais. Il est également sapeur. Il a démocratisé la sape. Dès qu’il passe à Paris, il vient me voir. Je l’ai habillé pour plusieurs de ses clips. Il faut l’interviewer!