Peux-tu nous parler de toi, de tes activités, de ton univers ?
Je suis conteuse. Je raconte des histoires et me suis rapidement intéressée à celles destinées au jeune public. Mon travail est marqué par une fascination pour l’univers de l’enfance. Je me suis d’abord interrogée sur ce qui me troublait quand j’étais petite et un processus de réflexion a commencé à s’imposer à moi : pourquoi ne sommes-nous plus des enfants ? à quel moment cesse t-on de faire des choses extraordinaires ?
«Mon désir de raconter née souvent d’une image que je vois, que j’entends ou que je lis.»
Plus jeune, j’écrivais des histoires qui m’aidaient, sans en être consciente, à réparer certaines choses de ma propre vie. Les histoires permettent de s’inventer et de se construire. J’ai toujours griffonné plein de carnets dès que je pouvais. Aujourd’hui, je prends conscience de l’univers de l’enfance mais avec mon regard d’adulte.
Toutefois, ce n’est que bien longtemps après que j’ai décidé de m’adresser à un éditeur pour être publiée. Je me suis d’abord inscrite dans le répertoire fondamental de l’oralité, par pudeur, par peur de le trahir puis je me suis autorisée à m’en éloigner et à écrire mes propres textes. Mon désir de raconter née souvent d’une image que je vois, que j’entends ou que je lis. Puis vient ensuite l’envie de poser des mots sur cette image pour l’incarner et créer à mon tour des images. C’est le même langage que les tout petits. Un mot tout seul est une coquille vide ; un mot qui a du sens est un mot qui crée une image. J’ai tout le temps des images qui me viennent !
Comment en es-tu arrivée à raconter des histoires ?
Après mon bac, j’ai fait un BTS dans la pub et j’ai ensuite travaillé un an en agence. Parallèlement, j’ai fait plus de 10 ans de mannequinat. Cela m’a donné une certaine assurance et un goût pour l’esthétique. Je suis sensible à la matière et aux costumes que je porte sur scène. De plus, quand tu es mannequin, il ne faut rien dire et rester belle. Quand j’ai commencé à raconter des histoires, j’ai adoré porter le récit et me mettre dans des états où je n’étais pas belle, où il fallait que je fasse des grimaces. C’est extrêmement jubilatoire de casser l’ordre. J’avais l’occasion de faire péter tout ça, c’était génial ! J’ai abîmé une image de moi qui n’était pas que celle que j’étais au fond.
J’ai ensuite fait plein de petits boulots… j’ai travaillé pour Canal+, créé des accessoires et des chapeaux. Toutes ces expériences m’ont permis de faire de belles rencontres et de me diriger vers ce pourquoi j’étais faite inconsciemment. C’est ainsi que j’ai créé ma compagnie « A corps bouillon » en 2013.
Quels sont tes inspirations artistiques ?
Depuis toujours, les auteurs que j’ai lus et les peintures ou images que j’ai pu voir ont nourri mon imaginaire et ont façonné mon univers. Quand j’étais petite, j’étais une gamine solitaire qui n’aimait pas trop l’école. Je passais beaucoup de temps dans ma chambre et suis tombée dans les livres assez vite. Je lisais tout et n’importe quoi. Le quotidien n’était pas très joyeux et je me suis plongée avec délices dans la littérature. C’était un régal. C’était une autre façon d’être, d’appréhender le monde. Je me suis également rendue compte qu’il y avait d’autres mondes existants et exaltants.
J’ai beaucoup lu de récits fantastiques du XIXe siècle et du romantisme allemand, tels que Le Journal d’un monstre de Richard Matheson qui m’a particulièrement marquée. Plus tard, j’ai lu Julien Green et j’avais l’impression qu’il me parlait, qu’il avait écrit pour moi. Il avait les mots justes pour décrire une émotion.
J’ai été également influencée par des auteurs et des peintres surréalistes comme Magritte. À 13 ans, j’ai peint une fenêtre sur ma porte. Je pense aussi à Léonor Fini, James Ensoret ou encore Roland Topor. Je tenais aussi un journal et je m’écrivais à moi-même une correspondance avec plusieurs personnages.
«(...) un monde est un millefeuille visible ou invisible rempli de “peut-être”.»
Il y a également ce que m’a raconté mon père, antillais, qui m’a influencé. Des légendes, des histoires de famille qui étaient importantes pour lui. On peut y croire, on peut les imaginer, les inventer. Dès lors, un monde est un millefeuille visible ou invisible rempli de “peut-être”. À la maison, mes parents lisaient des choses “bizarres”. Ils avaient des livres sur des choses inexplicables comme la sorcellerie, l’astrologie ou les ovnis. Dans ces livres, il y avait également des photos et des images violentes qui m’ont marquées comme dans La sorcière de Michelet ou les illustrations des Contes du diable. Je pense également au peinture de Gustave Doré ou de Jérôme Bosch.
Inconsciemment, c’est sûrement ce qui m’a fait m’intéresser aux zones troubles, à l’ambiguïté entre le réel et le fictif, l’imaginaire voire même la folie : Comment y aller, comment en revenir ? Je souhaite explorer et dire l’innocence aussi bien que la cruauté de l’enfance. J’aime regarder le monde à hauteur.
Tu es en ce moment invitée au festival Rumeurs Urbaines pour jouer tes deux derniers spectacles, peux-tu nous en parler un peu plus ?
En effet, je sors de deux semaines de résidence au festival Rumeurs Urbaines où j’ai joué mes deux dernières créations : Imago ou la métamorphose du papillon pour le jeune public et il ne faut pas déranger les anges pour les tout-petits. Cela fait un an que je suis sur ce dernier spectacle. Je souhaitais parler de la nuit, quand l’enfant se retrouve seul, de quoi sont fais ses rêves. Pour ce spectacle, je convoque la douceur et la poésie. La scénographie tient une place importante. Je veux que les enfants rentrent comme dans un rêve. Le spectacle est constitué d’un répertoire de comptines et de jeux de doigts dont le récit est extrêmement rythmé. Je suis attachée au langage poétique et aux rimes. Il y a également une création musicale de Timothée Jolly, pianiste dont j’aime particulièrement l’univers.
Quant à Imago ou la métamorphose du papillon il s’agit d’un spectacle sur l’enfermement et sur la façon dont l’enfant prend son envol à travers l’imaginaire. Il s’agit d’un dialogue interne de l’enfance. Dans ce spectacle, j’ai eu envie de travailler avec la vidéo. J’ai voulu créer un face-à-face entre l’imaginaire et les images. Il y a une forte théâtralité dans ce spectacle. J’envisage de plus en plus aujourd’hui la scénographie dans mon travail. J’aime la magie des mélanges.
Quels sont tes projets à venir ?
Je vais faire tourner mes nouveaux spectacles.
«J’ai envie de réinjecter du sens dans ce que l’on dit.»
J’ai également des livres en cours et deux ouvrages à paraître prochainement : Hop là dans la lune dans la collection Polichinelle de chez Didier Jeunesse où je garde le personnage principal de la petite souris et Ribambelle chez Lirabelle avec l’illustratrice Laura Fanelli.
J’écris aussi sur des sujets d’actualité : les sans-abris, l’immigration… J’aimerais faire entendre ces paroles-là également. Mais il y a peu d’éditeurs. J’ai envie de réinjecter du sens dans ce que l’on dit. J’aimerais aussi écrire pour les adultes ; sur une figure féminine comme Nancy Cunard, muse d’Aragon, poète anglaise, excentrique et indépendante ou sur la cause noire. J’ai aussi pour projet d’écrire un guide sur l’accueil des touts-petits au spectacle.
Côté jeunesse, j’aimerais faire un jour un spectacle autour de l’héroïne de mon enfance “Fifi Brindacier” et peut-être sur les Contes du chat perché de Marcel Aymé. Je pense aussi à adapter des bandes dessinées comme La danse macabre. C’est un univers étrange et beau.
Mais je crois que je vais prendre mon temps. La lenteur est une chose essentielle pour moi.
Quel est ton dernier coup de coeur artistique ?
Isa Barbier, une artiste plasticienne qui créée des oeuvres avec des plumes. Elle en remplit des pièces entières accrochées par des fils transparents. Cela créée des installations à la fois géométriques et très poétiques. Ce sont des œuvres éphémères et d’une grande légèreté. J’aime ce qui est mobile, ce qui flotte et ne touche pas le sol.
As-tu une autre passion en dehors des histoires et de la scène ?
Je suis cinéphile. J’aime les courts métrages de films d’animation tels que Le cyclope de la mer de Stéphane Julien et Alma de Rodrigo Blaas ainsi que le cinéma fantastique japonais. J’aime les univers de Carlos Seura, de Dario Argento ou encore d’Yan Svankmayer Jodorowski. J’aurais aimé faire du cinéma et peut-être même passer derrière la caméra. Écrire et réaliser… Il y a la même volonté d’embarquer le spectateur dans une histoire à travers une image.
J’aime aussi le théâtre et la danse bien-sûr : Gisèle Vienne, Carlotta Ikeda, Marie Chouinard ou Ilka Shonbein. J’aime beaucoup danser, j’ai pratiqué la danse classique quand j’étais petite. D’ailleurs, mes enfants n’aiment pas quand je me mets à danser dans la rue (rires).
Et puis j’aime aussi ne rien faire. C’est un moment total d’écoute de soi et du monde. On se place dans une posture réceptive.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute en boucle Postman de Mélissa Laveaux en ce moment. Mais j’aime aussi beaucoup d’autres choses comme l’afro-beat, le R&B, le rap, le reggae, l’afro-cubain et tout particulièrement le jazz. J’aime la musique quand elle est mosaïque. J’aime également les compositeurs qui créént pour les spectacles de danse à l’image de John Adams, Steve Reich ou Meredith Monk. Enfin, il y a des goûts qui se façonnent avec le temps et les rencontres.
Une anecdote à nous raconter ?
Cette année, à la fête du livre de Bron où j’ai été invitée en tant qu’auteure, un homme assis à côté de moi m’a fait l’éloge d’un auteur à l’accent espagnol. Ce dernier était encore sur le salon alors j’ai décidé d’aller le rencontrer. Je lui ai achèté trois livres que je lui ai fait dédicacer. C’était un cubain. Nous avons discuté du conte, j’ai parlé de moi, il m’a parlé de lui… C’était une très belle rencontre. Quand je suis rentrée chez moi je me suis aperçue que j’avais déjà un livre de lui que j’avais adoré. Il s’agissait de La dame n° 13 de José Carlos Somoza.
Quelle personnalité nous recommandes-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Mariette que j’ai rencontrée il y a 3 ou 4 ans sur un salon de l’enveloppe illustrée à Vienne. Elle exposait des cartes postales. J’ai adoré l’univers de cette femme très pétillante. Elle crée notamment des poupées qui font échos à l’enfance et au féminin. Son univers s’inspire de la religion, de la poésie ou encore du fétichisme. Elle transpose sa vie en oeuvre. Il est d’ailleurs possible de visiter « la maison de Mariette » à Saint-Laurent-du-Pont, un vrai cabinet de curiosités. Avec mon amie Myriam Pelicane, également conteuse nous allons souvent lui rendre visite.