Cécile Léna, scénographe, met en espace, en son et en lumière des histoires. Le spectateur est immergé dans un univers infiniment petit le transportant vers un infiniment grand. Cécile questionne la réalité et l'imaginaire, la pérennité et l'éphémère. Elle nous ouvre les portes de son atelier. Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Pourrais-tu nous parler de ton métier et de ton univers ?

Je suis scénographe. Ma formation, mon univers, mes créations, mes collaborations, tout converge dans ce sens. Formée à la scénographie de théâtre, mes spectacles miniatures sont du théâtre et je travaille  en permanence avec des gens du spectacle (éclairagistes, capteurs sons, accessoiristes, comédiens… de théâtre).

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Très concrètement, je conçois et je fabrique des maquettes, des architectures "miniatures". Ces maquettes ne sont pas une reproduction du réel. Elles sont une réinterprétation de l'espace dans lequel je viens installer du son et de la lumière. Ceux-ci évoluent au fil de l'histoire contée. J'invite le spectateur à un micro-spectacle. Je l'invite à écouter les souvenirs d'un lieu face à une maquette. Aujourd'hui, il est également convié à rentrer dans un décor grandeur nature où se loge(nt) une ou plusieurs maquette(s). Il entre dans l'histoire, il devient acteur.

Quel sens donnes-tu à tes créations ?

« Mon « terreau », le point de départ de mes créations, ce sont les rêves et la mémoire.»

La dualité et l'indicible. Il y a une dualité permanente dans ma création. Elle est hors temps, hors espace… et en même temps très réaliste. Le spectateur fait un voyage tourné vers un ailleurs, l'extérieur… et en même temps vers son intérieur. Il y a aussi une dualité entre le réel et l'imaginaire, la pérennité des lieux et l'éphémère de nos vies.

Mon "terreau", le point de départ de mes créations, ce sont les rêves et la mémoire. Nos rêves ont cette force extraordinaire de s'imprimer dans notre esprit et de disparaître aussi vite. D'être à la fois réels et irréels.

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.
Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

La question du temps est capitale, je m'en affranchis en permanence. Tout est dans l'indicible. On s'aperçoit à peine que l'on est dans un univers miniature et que cela n'est pas plausible dans le temps et l'espace. L'imaginaire du spectateur trouve là toute sa place.

Pourrais-tu nous parler de ton cheminement ?

Toute jeune, j'étais un peu "fâchée" avec le cadre scolaire. J'ai alors trouvé un autre langage, celui des mains avec le dessin et le volume. J'ai intégré les Arts Déco de Strasbourg. Le courant art conceptuel ne m'a pas vraiment séduite. Je pensais ne pas avoir grand-chose à dire, je voulais juste apprendre. J'ai réussi à intégrer le Théâtre National de Strasbourg (TNS), malgré la démotivation de mes professeurs… ce qui m'a très certainement motivée ! Cela a été assez dur… comme la vie ! J'ai alors travaillé comme scénographe.

 

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.
Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Au bout de trois ans, j'ai eu l'impression d'avoir passé ma vie dans des boîtes noires. N'y trouvant plus de sens, je partis quelques mois en Asie, sac à dos et carnets de croquis en poche. Je rencontrais des personnes avec lesquelles je travaillais, et travaille encore, sur le design d'objets, la décoration d'hôtels. Je revenais de temps en temps en France pour faire de la scénographie. A un moment donné, j'ai souhaité arrêter le théâtre pour cesser l'intermittence. J'ai alors suivi une formation de graphiste. Au moment où j'allais être embauchée comme telle, deux metteurs en scène sont venus me chercher. Je poursuis alors le théâtre. Un double chemin se trace, l'un avec mes boîtes, l'autre avec la scénographie de théâtre. Je privilégie toutefois mes boîtes. Aujourd'hui, j'ai un rôle de metteur en scène… et de chercheuse de fonds pour financer leur production.

Quelques personnes ont été précieuses le long de ce chemin. Certaines m'ont aidée à démarrer… d'autres à continuer. Sans elles j'aurais arrêté. Il y a eu ma grand-mère, à qui j'ai dédié "Des airs et des accords", Philippe Delaigue, metteur en scène, Roland Thomas, Directeur des Champs Libres à Rennes. Dans le paysage bordelais, je peux citer : Yves Jouan de l'Opéra, Joël Brouch de l'OARA, Anne-Sophie Brandalise, Marie-Michèle Delprat du Théâtre des Quatre Saisons, Martin Hachet de l'équipe Potioc (INRIA) pour la recherche technologique, L'Eclat de verre.

Pourrais-tu nous raconter une autre histoire, celle d'un projet ?

«Une idée a jailli, celle de faire parler mes boîtes. Je me suis assise face à elles. Je les ai écoutées me raconter leur histoire.»

Je vais prendre l'exemple de "L'espace s'efface" car l'histoire est intrigante. Ce projet est né d'une étrange alchimie, celle d'une frustration mêlée d'une envie et d'un émerveillement… le tout imprégné d'un univers familial étoilé !

Une frustration : j'ai réalisé peu de grands décors, comme j'en rêvais quand mon père m'amenait à la Comédie Française. Je n'ai pas travaillé comme scénographe sur de grandes productions lyriques avec des décors souvent majestueux. J'ai eu toutefois des aventures théâtrales extraordinaires.

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.
Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Une envie : un jour, j'ai fabriqué la maquette d'un décor de théâtre dont je rêvais.

Un émerveillement : celui des équipes de théâtre face aux maquettes que je réalisais pour les productions.

Un univers familial : mon père, Pierre Léna, astrophysicien, travaillait sur l'infiniment grand. J'ai eu envie de travailler sur l'infiniment petit…

«Mon père, Pierre Léna, astrophysicien, travaillait sur l’infiniment grand. J’avais envie de travailler sur l’infiniment petit…»

Quand j'ai créé ce projet "L'espace s'efface", j'étais imprégnée de l'architecture de l'Asie du Sud-Est où je travaillais, de la lecture de Marguerite Duras et des émotions d'un tel voyage à l'autre bout du monde. Je voulais raconter une maison. J'avais quatre espaces en tête : l’antichambre, la bibliothèque, le patio, la terrasse. J'ai beaucoup attendu. Ces quatre boîtes ont voyagé avec moi pendant 5 ans. Un jour, je suis arrivée à Bordeaux, déprimée. Un médecin m'a conseillée d'aller au bout de mon projet. Je lui voue une reconnaissance éternelle.

Un autre jour à Paris, j'écoutais Ella Fitzgerald. Une idée a jailli, celle de faire parler mes boîtes. Je me suis assise face à elles. Je les ai écoutées me raconter leur histoire. Elles parlent de l'impossible rencontre amoureuse, de la mémoire des lieux et de la création. Pourquoi crée-t-on ?

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Avec quelle équipe travailles-tu ?

Le binôme avec l'administrateur de production, aujourd'hui Violaine Noël, est capital car on forge ensemble le projet et on cherche le financement. Je conçois seule l'écriture artistique et la création des boîtes, pendant des mois. Les boîtes sont comme un texte au théâtre, elles donnent le scénario au fur et à mesure. A un moment donné, différents corps de métier entrent dans la création : l'éclairagiste, l'auteur (Didier Delahais), le créateur sonore, les comédiens pour les voix (Thibault de Montalembert sur "Free Ticket – Km 0"), les musiciens, le compositeur, le réalisateur… Les parties électronique, développement, informatique, électricité, construction du décor (Marc Valladon)… interviennent ensuite. Sur la dernière production, nous étions une vingtaine à travailler, sans compter les ateliers de l'Opéra, intervenus comme partenaire.

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.
Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Quelles sont tes sources d’inspiration artistique ?

Avant tout, les voyages avec les images, les couleurs, les émotions qui s'en dégagent. Ma culture artistique classique est aussi une source d'inspiration importante. J'ai appris l'histoire de l'art dans les musées en Italie. Mon scénographe de référence est Richard Peduzzi. Ma représentation des USA et de l'Asie nourrit aussi ma création. Mes autres ressources : la littérature française avec Marguerite Duras, la littérature japonaise (Haruki Murakami), le cinéma avec un réalisateur fétiche, Wong Kar-Wai ("In the mood for love"), tous les films en noir et blanc (ceux de Jean Carmet notamment), les polars… et la psychanalyse.

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Sur quel projet travailles-tu en ce moment… et lequel rêves-tu de réaliser ?

C'est un projet porté par le CREAC à Bègles. J'ai carte blanche pour créer un spectacle immersif dans une caravane sur le thème du cirque contemporain. Cette création a tout son sens, elle est la suite du projet "Free Ticket – Km 0". Elle parle du non-renoncement. La création sortira à l'automne prochain.

Parmi tous les projets en tête, j'aimerais réaliser "Les toits du monde", une création jeune public. L'enfant déambulerait dans une immense pièce peuplée de tous les toits du monde. En posant sur chaque toit un chat noir fabriqué par ses soins, il écouterait son histoire. Une manière de célébrer notre planète et cette diversité si magnifique.

En attendant de réaliser celui-ci, j'ai un autre rêve, celui de voir mes créations diffusées plus largement !

Un lieu où tu aimes te retrouver, te ressourcer ?

Luang Prabang au Laos. Je vais prochainement m'y rendre pour travailler sur un projet d'hôtel.

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.
Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

Un morceau que tu aimerais nous faire écouter ?

Adriano Viterbini "Sleepwalk" du blues contemporain.

Des personnalités artistiques à nous faire découvrir ?

Pierre Renollet, peintre, ancien directeur de l'école de Condé Créasud. On s'est retrouvé par hasard 25 ans après. Didier Delahais, auteur, Jean-Pascal Pracht, créateur lumière… une personnalité de l'ombre et Carl Carniato, réalisateur.

Cécile Léna, Scénographe à Bordeaux.

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