Au cœur du 9e arrondissement de Paris se cache l’antre de Victor Kiswell, collectionneur et dénicheur de pépites musicales. Véritable passionné et fou de disques depuis tout gamin, cet “archéologue” du son, gère depuis chez lui - où trônent près de 7000 disques soigneusement rangés - les ventes de ses précieuses découvertes. Également DJ, reporter à “Vinyl Bazaar” et directeur artistique à la célèbre Radiooooo.com, c’est tout naturellement que le chasseur de vinyles nous reçoit chez lui pour nous parler de ses voyages et nous faire écouter ses dernières trouvailles. Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Peux-tu nous parler de toi et de ton activité de “chercheur de musiques”?

Ça fait plus de 25 ans maintenant que j’achète des disques. C’est une vraie passion que m’ont transmis mes parents. Il y avait toujours plein de vinyles chez moi quand j’étais petit et ils m’ont habitué à écouter beaucoup de musique. Mon premier geste, de manière assez naturelle, a d’abord été d’acheter des disques, des 45 tours ou des albums.Mes parents n’avaient pas forcément un goût pointu comme des collectionneurs mais ils achetaient beaucoup de disques de bon goût, beaucoup de musique black telle que du reggae ou encore des vinyles de James Brown, mais aussi d’autres sons comme de la New Wave ou de la musique indienne et arabe…Les premiers disques que j’ai commencés à acheter étaient des disques de Rhythm and blues. Ma mère m’avait mis dans les mains des disques d’Al Green ou d’Otis Redding, j’ai donc commencé par explorer cet univers. Puis au fur et à mesure, je découvrais de plus en plus de choses, de musiciens différents, de styles différents, j’approfondissais et j’affinais mes goûts et mes recherches.

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

À l’époque, il y avait beaucoup de magasins de disques à Paris. La musique noire américaine comme la soul, le funk, le jazz, etc… était hyper chere. Avant l’utilisation massive d’Internet, c’était assez difficile de trouver des sons de soul et de funk américain à Paris, parce que c’était forcément importé des États-Unis et tout le monde voulait les mêmes disques… J’ai passé mon adolescence à écouter du Motown jusqu’à ce que je me mette à bosser parallèlement à mes études dans une boutique de disques qui avait la particularité d’être assez dynamique. On allait chercher des disques là où ils étaient, on n’attendait pas que les gens nous rapportent les leurs pour les acheter. Il y avait donc un gros “turn over” dans la boutique et fatalement les gens venaient presque tous les jours pour voir les nouveautés. On chinait les disques à des vendeurs qui ne connaissaient pas leur valeur. On se régalait même si nos connaissances étaient limitées à ce moment là. On s’approvisionnait dans des brocantes, sur les marchés, on faisait aussi des échanges avec des collectionneurs. Et on achetait aussi des disques à l’étranger qu’on revendait en France et vice versa. On pouvait par exemple ramener un disque de funk français dans une boutique américaine et l’échanger contre 20 maxis de disco US. Tout le monde était gagnant !

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.
Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Parallèlement à ça, j’ai commencé à mixer dans des bars. J’y ai pris goût puis je me suis vite mis à mixer dans des clubs puis pour des radios. A la fin de mes études, je me suis retrouvé face à la réalité : est-ce que je décidais de choisir un métier qui était en lien avec ce que j’avais fait ou bien est-ce que que je choisissais un métier en rapport avec ma passion qui était si dévorante. Le choix a été vite fait, j’ai choisi la musique !

On se retrouvait assez régulièrement avec des amis pour écouter de la musique… c’était avant internet, on ne s’envoyait pas de musique via Youtube à l’époque et il fallait se retrouver pour écouter les morceaux découverts par chacun. Un jour, il y a un de mes potes qui m’a demandé si j’avais des disques à vendre pour un collectionneur Japonais qui venait à Paris pour acheter des vinyles. J’ai préparé une sélection et me suis donc pointé à cette réunion où on a présenté chacun les disques qu’on avait trouvés spécialement pour lui… c’était ma première vente individualisée avec un gros collectionneur étranger. J’ai trouvé ça génial de pouvoir trouver des disques et de les revendre à un passionné. Tout le monde était content et c’est ce qui m’a donné envie de faire ce boulot là.Je me suis donc mis à acheter énormément de disques dans le but de les proposer à d’autres gens. Certes, il y avait d’autres mecs qui faisaient ça de manière informelle mais moi j’ai voulu me professionnaliser. C’est ainsi que j’ai monté ma boîte en 2001 puis mon site internet.

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Au début, j’écoutais beaucoup de musiques mais je ne connaissais pas grand chose en sons non américain. Puis j’ai bossé pas mal de temps avec les Japonais, il y avait une certaine vogue à la fois sur le Brésil et la France à ce moment là. Les Japonais achetaient beaucoup de bossa européenne et de la pop française et du coup je les fournissais. Avec les Japonais, j’ai beaucoup appris surtout sur la musique française peu connue, sur les musiques de films, sur le jazz allemand ou suédois. C’est en grande partie grâce à eux que j’ai pu découvrir ces musiques et me mettre sur la voie de ce que je connais aujourd’hui.Ensuite, je me suis mis à vendre du hip hop à des producteurs. Quand j’étais gamin j’écoutais beaucoup de soul et de hip hop, j’ai donc fais la passerelle entre les deux en me constituant une grosse base de données de “samples”. J’avais réussi à identifier les sources musicales des différents producteurs et analysais les sons qu’ils samplaient. Je compilais les données que je découvrais et lorsque je les ai rencontrés, bien plus tard, j’ai pu répondre assez facilement à leur demande. Les premières fois, le courant passait assez vite, je connaissais déjà ce qu’ils aimaient, ce qu’ils recherchaient…

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.
Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Maintenant, j’ai ma boutique dans mon salon et je me sers de mon site internet comme une vitrine. Je préfère le contact avec les gens, c’est pour cela que j’essaie au maximum de les recevoir chez moi. J’ai entre 6000 à 7000 disques ici, mais cela varie en fonction de ce que je ramène et vends. J’en achète toujours autant que je n’en vends. Mon site internet me permet de donner envie aux gens de me contacter pour ensuite venir dans mon salon. Pour chaque disque présenté sur mon site, j’enregistre les meilleurs extraits sonores, puis je prends la pochette en photo et fais une petite description et enfin, fixe le prix. Les acheteurs qui sont à l’étranger ou qui ne peuvent pas se déplacer, m’écrivent et nous réglons ça à distance.

«Ce boulot est aussi un challenge, vendre un disque que j’aime bien et que je n’ai pas en double, cela me permet de me remettre en chasse pour le retrouver.»

Aucune de mes journées ne se ressemble et c’est aussi ça que j’aime. Je peux bosser sur mon site ou sur mes voyages en vue de mes futures recherches ou reportages. Je peux aussi bosser sur le montage ou la recherche de sons pour mes prochains films ou sur des musiques qui vont accompagner des films. Pour moi, ce boulot est aussi un challenge, vendre un disque que j’aime bien et que je n’ai pas en double, cela me permet de me remettre en chasse pour le retrouver.

Depuis 2 ans, je suis également directeur artistique musical pour Radiooooo.com. Ce travail me pousse à rechercher des musiques rares à travers le monde et à découvrir des pays que je ne connais pas telle que la Papouasie Nouvelle Guinée. Je fais des recherches sur internet ou discute avec des gens pour avoir des infos sur un artiste, un domaine musical, un label. Même si je préfère partir faire “l’archéologue” et ramener de la musique, je trouve ça chouette aussi de mener l’investigation de son bureau.

Comment déniches-tu tes disques ?

Je suis un aventurier mais j’ai aussi mes limites. Je n’ai pas envie de revenir bredouille de mes expéditions donc je prépare toujours un minimum mes voyages en faisant des recherches avant de partir ou bien lorsque je suis sur place aussi, je demande et me renseigne. J’ai aujourd’hui des contacts, des collectionneurs et des vendeurs, un peu partout dans le monde qui me permettent de savoir où trouver les disques. Le plus souvent, je me ballade dans un endroit que je connais ou pas, ça peut-être dans une boutique de disques, une brocante ou un marché; puis je fouille, chine et vais ensuite sélectionner ce qu’il y a d’intéressant.

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.
Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Il y a deux catégories de disques que je peux trouver : ceux que je connais déjà et qui, je sais, pourront se vendre car ils sont super; et il y a ceux que je ne connais pas. Pour ces derniers, je les écoute attentivement, puis fais des recherches, parce que je peux aussi croire qu’ils sont rares alors qu’ils ne le sont pas. On n’est pas infaillible. Et enfin, en fonction du potentiel que je décèle, et de la personne qui pourrait être intéressée par le disque, je fixe un prix. Je pars toujours d’un prix maximum puis je descends; tout cela dépend de la qualité du pressage, de sa rareté, de son état général, de la pochette, etc. Il faut prendre en compte tous ces paramètres mais sans être dans l’extrême.

«J’ouvre des champs d’investigation, il y a des régions du monde ou des époques que je ne connais pas… il faudrait plusieurs vies pour tout découvrir.»

Je ne cherche pas forcément à vendre les disques très cher, c’est plutôt une sorte de challenge : essayer de trouver un disque et de le payer le moins cher possible tout en essayant de le revendre le plus cher possible. Mais il ne faut pas rêver, je ne les achète pas 2€ et ne les revends pas 1000€ non plus ! Je les vends relativement au prix du marché et puis je ne facture pas le temps passé, le conseil ou le service. D’ailleurs, si je vendais les disques aux prix qu’ils sont censés coûter, je serais riche aujourd’hui (rires) !

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Mais ce n’est pas tous les jours facile… Aujourd’hui, il y a des mecs qui essayent de revendre leurs disques sur internet pour arrondir leur fin de mois alors qu’avant ils les emmenaient en boutique pour les revendre… ce qui change les choses pour moi.Ces gens qui n’ont pas la connaissance des disques, vont sur internet pour découvrir la côte de leurs vinyles sans sortir de chez eux. Internet, c’est aussi à double tranchant… Ces mecs-là recherchent les mêmes disques que moi sur les brocantes alors qu’avant j’étais tout seul… et puis en même temps, ça me fait gagner du temps car ils font un premier écrémage. Cette nouvelle concurrence me pousse à être toujours en avance et à être à la recherche de choses nouvelles et inconnues. J’ouvre des champs d’investigation, il y a des régions du monde ou des époques que je ne connais pas… il faudrait plusieurs vies pour tout découvrir. Et puis, je ne peux pas passer toutes mes journées à écouter de la musique sinon je deviendrais dingue !

Pourquoi avoir choisi d’utiliser un “blaze” ?

Lorsque j’étais gamin, j’étais assez sensible au fait que les gens écorchaient mon nom de famille et déjà ça, en tant que petit enfant, ça avait tendance à me chagriner. Et puis en me mettant à mixer vers 19 ans, il fallait bien que je me trouve un “blaze” à mettre sur les flyers. J’en ai changé plusieurs fois avant de trouver le bon et même si je ne savais pas quelle vie allait avoir ce nom, il fallait que je n’en sois pas gêné au quotidien et que je ne ressente pas de honte en le prononçant. Ça a été dur de le trouver… Je ne voulais pas mettre “DJ quelque chose”, je voulais un nom de personnage de littérature ou de film, avec un prénom et un nom…

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

Et puis j’aimais bien Victor, ça a la même racine latine que mon vrai prénom… je l’aime tellement que je l’ai aussi donné à mon fils. Mais je me suis appelé Victor avant qu’il naisse (rires). C’est assez marrant, je cherchais quelque chose après Victor et en même temps je voulais un nom qui claque au niveau des sonorités et qui soit facile à retenir. Et puis un jour, je suis tombé par hasard sur le macaron d’un disque qui tournait où était écrit “Kiswell”, ça a tout de suite été une évidence. Je trouvais que le nom sonnait hyper bien. Le problème c’est que je ne me suis pas aperçu du sens de ce nom tout de suite…Avec mes diverses activités, mon “blaze” a fini par supplanter mon vrai nom… il y a des gens qui pensent que c’est mon vrai prénom alors qu’il me permet aussi de protéger mon intimité.

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

En ce moment, j’ai une commande pour sonoriser l’hôtel “Le Pigalle” à Paris, un lieu assez “arty” où il a été décidé de mettre une platine dans chaque chambre et de proposer aux clients une sélection de vinyles à découvrir. On m’a donc chargé de préparer une sélection de disques pour chaque chambre. C’est un boulot plutôt sympa.Et puis, j’ai aussi des dates pour mixer. C’est un exercice dans lequel je ne suis pas très à l’aise mais qui me fait plaisir.

Un autre métier que tu aurais aimé faire ?

Lorsque j’étais étudiant, je me destinais à être chercheur en biologie marine, c’était quelque chose que je voulais faire depuis que j’étais gamin. Puis, je me suis rendu compte à la fin de mes études que ce n’était plus fait pour moi et que la musique avait pris une place importante dans ma vie. Je pense que je n’aurais pas été un scientifique très discipliné. Même si je me suis servi de ma rigueur scientifique pour effectuer mes recherches de disques, la musique et tout ce qui va avec a quand même effacé au fil des années cette rigueur.

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.
Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

J’aurais bien aimé être journaliste aussi mais il se trouve que je le fais un peu maintenant en tant que reporter pour Vinyl Bazaar. Je raconte l’histoire de la musique à travers des voyages, des villes, j’interview des acteurs de l’univers musical dans les pays dans lesquels je vais. On me demanderait de rédiger un article sur une thématique précise du jour pour le lendemain,je pense que je ne pourrais pas. Quand j’avais 20 ans, j’ai essayé d’écrire des articles et des critiques musicales mais cela ne venait pas tout seul. Et puis je suis trop perfectionniste, je pense que je mettrais trop de temps à rédiger pour être un bon journaliste de presse écrite. Et finalement, au fond, ça me gonfle. Je ne lis pas les chroniques musicales, ce n’est pas drôle, c’est toujours la même chose, et ça manque de vocabulaire, de connaissance, de culture et de références.

Un artiste coup de cœur à nous faire découvrir ?

Un artiste musicien colombien que j’ai découvert récemment… Climaco Sarmiento. Je fonctionne beaucoup à l’émotion et c’est un des derniers qui m’a touché. C’est un artiste que je ne connaissais pas avant l’année dernière et j’envisage d’utiliser son titre “La Pata Y El Pato” dans mon prochain film.

Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.
Victor Kiswell, Collectionneur, DJ et Reporter à Paris.

As-tu une petite anecdote à nous raconter ?

Lorsque je suis allé à Beyrouth l’année dernière, j’allais principalement dans le quartier arménien pour trouver et négocier des disques. Je prenais toujours le même chemin pour m’y rendre car je ne connaissais pas bien la ville. Un jour, j’ai pris un chemin différent et je suis tombé, dans une petite rue, sur une boutique de disques incroyable, une boutique avec des vinyles partout. Je n’avais pas beaucoup de temps alors le mec de la boutique m’a tendu sa carte et c’est là que je me suis aperçu qu’il était le boss du label Voice of Beirut, un label que je cherchais et que je n’arrivais pas à trouver. C’était fou et merveilleux ! Bien évidemment, j’y suis retourné et y ai passé des heures et des heures. J’étais encore à Beyrouth la semaine dernière pour l’interviewer.Aller où le hasard me mène est aussi une particularité de mon métier et c’est chouette !

Y a t-il un morceau en particulier que tu écoutes en ce moment ?

La tezeta de Mahmoud Ahmed, un artiste éthiopien que je connais depuis un moment et dont je ne me lasse pas. Je trouve cette chanson hyper belle, lente, majestueuse, sensuelle.

As-tu une passion autre que la musique et les disques ?

J’ai plein d’autres passions que la musique et toutes s’inter-connectent finalement. J’aime passionnément l’histoire, les langues, la littérature, le cinéma, l’étude des habitudes de vie des gens, la photographie, la géographie. La littérature et le cinéma ont eu beaucoup d’importance à une certaine époque de ma vie et aujourd’hui, par la force des choses, ils en ont moins, j’y consacre moins de temps et ça me manque.

Quelle personnalité nous recommenderais-tu de rencontrer pour 10point15 ?

Aurore Laloy, une auteur, metteur en scène, poétesse, chanteuse, actrice et aussi performeuse. C’est une chouette nana touche à tout, qui vient de sortir un disque et qui anime aussi une émission de radio. Elle me touche; j’aime beaucoup son travail, sa façon d’interpréter. Elle m’émeut.

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