Peux-tu nous parler de toi, de ton activité ?
Vaste programme (rire)… Je suis créateur costumier pour le théâtre, le cinéma, la danse et l’opéra. Je suis là pour mettre en image ce qu’un metteur en scène ou un réalisateur a dans la tête. Je suis là pour matérialiser sa pensée, l’approche de sa pièce. Mon métier est aussi d’aider les comédiens à incarner leurs personnages. En respectant les idées du metteur en scène, du comédien et mes propres goûts, j’essaye d’amener les gens là où ils n’iraient pas forcément, tout en apportant mes envies et mon propre style, mes désirs.
«À 6 ans j’étais collectionneur de costumes, avant même d’être costumier.»
C’est quelque part un moyen d’imposer ce que j’ai envie de raconter, mais aussi de respecter le cahier des charges, et de fait l’oeuvre de départ. Un costumier c’est comme un metteur en scène ou un comédien, il a des choses à raconter. C’est presque thérapeutique dans le fond…
Parles nous de ton parcours, d'où te vient cette passion pour les costumes ?
Au départ, rien ne semblait présager que je serais costumier. Je suis né au fin fond du Béarn, et puis j’ai fait un cursus tout à fait classique : Bac Littéraire et études à Bordeaux, dans une école de décorateur étalagiste basé sur la surface commerciale. Puis j’avais également au fond l’envie d’être costumier. Pour cela il fallait monter faire ses études à Paris, mais je n’en avais aucune envie, je suis très attaché au terroir. La seule concession à la ville que je pouvais faire, c’était de monter à Bordeaux.
Mais pour tout comprendre il faut revenir plusieurs années en arrière…
A 6 ans, mes parents se sont installés chez ma grand-mère et il a fallu faire du vide à notre arrivée. Ma grand-mère était une femme très coquette dans les années 30-40 et 50, elle avait une armoire qui devait faire 4 mètres de long ! Gamin, quand je rentrais dans ce dressing, je voyais toutes les robes alignées, les fourrures, et sur le sol de vieux papiers journaux étalés avec toutes ses chaussures, etc… Un jour, elle a voulu faire du vide et tout jeter… Je lui ai dit d’arrêter, j’ai tout pris, et selon le principe des vases communicants, j’ai tout ramené de son dressing à ma chambre. J’ai commencé ma collection de costumes comme ça. À 6 ans j’étais collectionneur de costumes, avant même d’être costumier. Et je le suis toujours, cela ne me quitte pas. Les copines de ma grand-mère trouvaient cela rigolo de voir un gamin de 6 ans collectionner des vêtements anciens… Elles m’ont ouvert leurs placards, leurs greniers et m’ont donné des choses que j’ai encore. Des choses qui dataient de la fin du 18ème siècle ! J’ai d’ailleurs un corsage qui date de 1880, c’est une splendeur, et c’est des choses comme ça que j’ai récupéré à droite à gauche. J’ai créé dans ma chambre le grenier qu’il n’y avait pas dans la maison. Et l’envie de ramasser, de collecter des vêtements ou des choses qui allaient peut-être finir à la décharge, c’était presque comme un travail de conservation. Je collectionnais sans avoir de culture du costume, ce n’était que du sentiment. Un patrimoine familial et culturel. J’ai toujours les robes de ma grand-mère, celles que ses copines m’ont données ainsi que tous les objets que je collectais étant gamin.
Et puis par la suite je suis parti faire mes études sur Bordeaux, j’ai fait de la décoration, et l’envie d’être costumier m’a complètement échappé. Puis ça m’a rattrapé en 1988, à la préparation du bi-centenaire de la Révolution Française. Je me suis présenté comme ça à une maison de production pour savoir s’ils avaient besoin de quelqu’un. On m’a dit d’aller “aux costumes”, et je me suis dit : mais oui! C’est ça que je veux faire! C’est là où est ma place! Et depuis, je n’ai jamais arrêté, je continue à faire ce métier avec passion. Je suis complètement autodidacte, je n’ai même pas un CAP couture. J’ai appris au contact de patronnières, de façonniers, j’ai fait un peu d’histoire de l’art quand j’étais à l’école. J’ai aussi une passion pour la peinture portraitiste, et j’ai lu… Je me suis fait ma propre culture.
Au fur et à mesure des rencontres, j’ai mis un pied dans le monde du cinéma, ensuite dans celui du théâtre de 1989 à 1992 et puis le cinéma m’a rattrapé. Et j’ai découvert la danse… En 1999, j’ai commencé à faire de l’opéra. D’abord à l’Opéra de Bordeaux et puis un peu partout là où on me demandait. Mon point d’ancrage est le terroir. Je me suis toujours battu pour dire qu’il y avait des gens qui faisaient des choses formidables en “province”, je n’ai jamais eu mon certificat de vrai “parigo”. Cela fait 27 ans maintenant que j’exerce ce métier, et je n’ai décidément pas envie d’aller vivre à Paris, encore moins maintenant.
Quelle est la personne qui a le plus marqué ton parcours ?
Plusieurs personnes… Je pourrais évidemment revenir sur ma grand-mère, mais j’en ai assez parlé (rires). Si je fais le bilan, il y a eu deux personnes qui m’ont particulièrement marqué. D’abord ma prof de philosophie au lycée, Mlle Marie-Annick Lemoine. J’avais une vraie passion pour elle, elle m’appelait “Belami”, comme le personnage de Maupassant. J’avais de fines moustaches à l’époque. C’est une maïeuticienne comme Socrate… J’étais un être vivant, elle a fait de moi un être pensant et réfléchissant. Elle m’a appris beaucoup sur moi-même, la tolérance, l’approche de l’autre, l’empathie avec ce qui nous entoure. Puis je l’ai perdue de vue pendant 30 ans, et je l’ai retrouvée par hasard il y a peu de temps, et je continue à apprendre beaucoup grâce à elle.
La deuxième personne, c’est Madeline Fontaine, avec qui je travaille depuis une dizaine d’années. C’est une créatrice de costumes césarisée et oscarisée. Je participe à ses films. C’est une femme qui a fait tous les films de Jeunet, dont “Un long dimanche de Fiançailles” et “Amélie Poulain”. C’est une femme que j’aime, j’adore la regarder travailler, elle a un goût très sûr mais parfumé de doutes. Elle sait où s’arrêter et pousser l’idée du costume jusqu’au bout sans tomber dans le kitch, dans la reconstitution historique et chaque fois elle m’amène dans son univers avec une réelle confiance commune. Dernier projet en date sur lequel nous avons travaillé : la série “Versailles”, pour les saison 1 et 2. J’espère bientôt la saison 3 (rires)!
Quelles sont tes sources d'inspiration ?
Le passé, la peinture portraitiste. En termes de formes, cela me permet d’apprécier le costume au plus proche de l’intention d’un artiste. C’est un peu la photographie portraitiste de maintenant : faire le choix de se faire peindre dans ses plus beaux habits, le mieux coiffé possible afin de se montrer sous son meilleur jour et d’immortaliser ce moment afin de mettre en mémoire cet instant. La nature est aussi une matière d’inspiration sans fin, aussi mouvante que l’esprit. Je suis très contemplatif, je peux m’étonner des heures face à la forme d’une écorce, je vais observer les couleurs dans la nature, c’est pour moi un nuancier d’une extrême richesse. Il m’est également arrivé de photographier un plissement hercynien, quand les roches calcaires se sont mises à faire des plis, et ça donne des choses étonnantes – on le voit souvent dans les falaises, au pays basque en particulier -. Je me suis servi de choses comme ça pour faire des costumes, par exemple pour “Le songe d’une nuit d’été” de Shakespeare il y a une quinzaine d’années.
Sur quel(s) projet(s) travailles-tu en ce moment ?
J’ai toujours besoin d’un projet 6-7 mois à l’avance, qui me permet de rêver. Cette année est une année de danse, mais je ne me cantonne pas à un registre particulier. Cela m’ennuie profondément. Chaque projet me repose du projet précédent. L’année prochaine sera une année de cinéma, et cela me rend heureux. Je suis également sollicité sur des projets photographiques, des rencontres et des collaborations artistiques, et ça j’adore. Je travaille actuellement sur un projet photographique autour du thème de “Sodome et Gomorrhe”, je n’en dis pas plus (rires) mais l’expo est prévu pour le mois d’avril prochain à la Manufacture Atlantique de Bordeaux. J’ai également la saison 3 de Versailles qui se met en place. Et j’ai un projet de film sous le coude qui me suit depuis 3 ans. J’espère que ça va aboutir très vite, le projet est sur le bureau de la production…
Un métier que tu aurais aimé faire ?
Je dis souvent que si je n’avais pas été costumier j’aurais été psychanalyste, parce qu’en fait le costumier c’est un peu comme un analyste… C’est un travail d’écoute, d’accompagnement, mais aussi un moyen d’approcher l’égo des comédiens, des danseurs, des acteurs avec qui je travaille… A un moment donné je touche à ce qu’ils ont de plus précieux : leur image, leur fierté. Je suis là aussi pour écouter leur pudeur. Ce n’est pas moi qui vais porter les costumes sur le plateau mais eux qui portent ce que je vais façonner, je suis en quelque sorte le fil conducteur. Je n’ai pas envie de les mettre en danger donc je les accompagne dans cette démarche. Ce que je leur apporte va avoir une incidence sur leur jeu d’acteur et leur personnage.
Un morceau de musique que tu aimerais partager avec nous ?
Il y a tellement de choses… de la musique espagnole – je suis espagnol du côté de ma mère-. L’espagnol est pour moi une langue de l’intime qui m’est chère. Un de mes titres préférés est “Secreto” de l’album Plaza Francia de Catherine Ringer.
As-tu une passion particulière ?
Sans hésiter, encore et toujours, le costume. J’adore chiner, faire les puces, les brocantes, les Emmaüs, les vide-greniers. Quand je vais chiner des costumes, c’est vraiment pour les conserver afin de pouvoir continuer à les observer. Une manière de les arracher à la boue, au néant et de sauver des vêtements qui finiraient peut-être en bouts de chiffon. Premier réflexe avec un vêtement, c’est de le retourner pour regarder comment il est fait de l’intérieur, c’est un peu comme ça aussi que j’ai appris à coudre, en disséquant. Comme un squelette. Quand j’ai du temps, je peux passer des heures entières à restaurer un vêtement. J’aurais pu travailler pour les musées de France. Je ne fais pas d’intervention, je restaure simplement afin de sauvegarder l’objet en restant dans sa veine initiale. Je n’ai jamais été amateur des choses très sophistiquées, ni des dentelles, j’aime les choses hyper simples, qui ont traversé les époques et les modes et qui en disent parfois beaucoup sur les personnes qui les ont portées. Comme dans la peinture portraitiste, ce qui m’importe, ce sont les formes. Avant le vêtement, ce qui m’intéresse, ce sont les personnes qui sont dedans. C’est ce qui m’émeut. Le vêtement brave le temps, survit et nous laisse ainsi une trace du passé. C’est un peu de l’archéologie vestimentaire.
Un lieu où tu aimes te retrouver ?
Un endroit calme… Mon jardin par exemple, mon espace vital, entouré de vignes et de bois. Je travaille dans de grandes villes en France et en Europe et j’ai besoin de me retrouver dans un lieu qui me ressemble, un lieu de campagne. Je vis à la campagne, à 3 kilomètres d’un village qui compte 800 habitants. Je peux m’assoir des heures entières dans mon jardin et c’est un grand bonheur. J’ai un atelier chez moi, c’est là-bas que je vais travailler sur mes maquettes, car je ne peux pas travailler dans le bruit de la ville.
L’Espagne compte aussi énormément à mes yeux. Mes racines sont là-bas, quand je remets un pied en Espagne j’y retrouve mes sources… Au final, je me sens plus espagnol que français.
Quelle personnalité nous recommanderais-tu de rencontrer pour 10point15 ?
Estelle Douady « Estelle en Goguette » qui vient concocter des plats à la Manufacture Atlantique. Elle prépare aussi des buffets pour les artistes en résidence. C’est une passionnée, elle est aussi un très bon guide urbain et culturel. Elle gère également les expositions dans ce lieu. C’est quelqu’un qui utilise un ingrédient, le même que celui que j’utilise dans la création de mes costumes…. l’amour.