Pouvez-vous nous parler de vous, de votre univers et de votre activité de créateurs ?
Marilyn : Alexis et moi, nous nous connaissons depuis quinze ans… Nous venons tous les deux de la scène musicale à la base, Alexis était musicien et moi j’étais journaliste spécialisée en musique.
Alexis : On s’est rencontrés puis on s’est oubliés. A l’époque, j’avais un label et Marilyn avait fait un papier sur un disque que l’on avait sorti. Sa chronique m’avait tellement marqué à l’époque, que j’avais même appelé la rédaction pour féliciter la journaliste qui avait rédigé cet article!
M : Et puis on s’est retrouvés complètement par hasard beaucoup plus tard à Berlin. Alexis était installé là-bas et moi j’y étais de passage pour faire la fête, pour un weekend. Et on ne s’est plus quittés, ça fait 6 ans aujourd’hui. Notre activité de créateurs est d’abord une histoire de passion, de voyages, notre histoire en somme. Nous avons beaucoup voyagé et sommes toujours à la recherche du lieu trésor, du petit objet, du petit foulard acheté dans une brocante… Puis nous avons décidé de revenir à Paris il y a deux ans, car la ville me manquait. A notre arrivée on se cherchait un peu, on passait tout notre temps tous les deux, l’envie de travailler ensemble se faisait de plus en plus ressentir. En quelques mois, il y a eu une avalanche d’idées et on a décidé de se lancer dans l’aventure de la création et du prêt-à-porter. C’est ainsi qu’est née la griffe Marilyn Feltz en octobre 2014.
Nous avons d’abord lancé notre e-shop et très vite les choses se sont emballées. Les gens nous ont trouvé tout de suite sur les réseaux sociaux et sur le web. Je pense qu’ils ont aimé le fait qu’on soit sincères et authentiques dans notre démarche et qu’on leur propose quelque chose d’assez pure. Trois mois après avoir lancé le e-shop, nous avons trouvé la boutique par hasard – qui n’était pas une boutique mais un débarras à l’abandon-. Nous ne cherchions pas véritablement à ouvrir une boutique tout de suite, mais le premier trimestre d’activité avait été très bon et nos clientes voulaient nous rencontrer, avoir un lieu où pouvoir toucher et voir les pièces avant d’acheter… Alors on s’est lancés dans l’aventure, nous avons tout retapé et décoré la boutique à notre image, puis l’avons ouverte en décembre 2014. Ce n’est pas un concept, c’est nous dans ce lieu, notre histoire, ce qu’on aime! Tout ce qu’il y a dans la boutique, les objets, les photos, etc. viennent de nos trouvailles… Le papier peint par exemple, c’est le papier peint qu’on avait chez nous à Berlin. On propose dans notre boutique ce qu’on souhaiterait trouver chez nous.
«Nous prêtons une grande attention aux objets, aux détails que personne ne regarde…»
A : Oui, en plus d’être créateurs et passionnés de musique, nous sommes aussi des collectionneurs. Nous prêtons une grande attention aux objets, aux détails que personne ne regarde… On a accumulé beaucoup de choses qui nous tiennent à coeur au fils des années, ce sont nos petits trésors.
Comment vous vient l’inspiration pour créer vos pièces ?
«On a cet esprit bohème que l’on essaie de garder dans notre ligne de prêt-à-porter.»
M : Tout commence par des dessins que je réalise, des silhouettes par exemple – mais c’est bien évidemment un centième de ce que j’ai dans la tête (rires)-. Tout est auto-produit. Je travaille avec des modélistes, dont un en particulier qui fait ça à l’ancienne avec des vieux patronages, pas du tout à l’ordinateur comme ça peut se faire aujourd’hui partout. Ensuite, je fais mes recherches de matières… J’essaie toujours de m’orienter vers des tisseurs français pour la soie, les jacquards, les broderies, la dentelle, etc. Pour les prints, on garde un pied en Allemagne puisqu’on se fournit là-bas. On a cet esprit bohème que l’on essaie de garder dans notre ligne de prêt-à-porter. Et puis nos voyages nous inspirent aussi beaucoup. J’ai vécu 7 ans à Los Angeles avant de revenir à Paris. Puis plus tard, j’ai rejoins Alexis à Berlin quand on s’est rencontrés. Tout ça se retrouve aussi dans notre travail.
La parisienne on l’imagine très « Coco Chanel », très sophistiquée mais nous on la voit aussi avec une touche d’Hollywood et de Berlin! On s’est vraiment rendu compte de ce que Paris pouvait représenter lorsqu’on était à l’étranger. Il se passe quelque chose dans les yeux des gens quand tu parles de Paris, c’est magique et puis tu te sens vraiment fier. Notre interprétation de la parisienne est moins rive gauche que peuvent se l’imaginer les étrangers, mais plutôt Paris Belleville avec ses troquets, ses guinguettes aux Buttes Chaumont… C’est vraiment l’essence de la marque. Et puis lorsqu’on s’est lancés et qu’on a commencé à se demander comment on allait fonctionner, on a vraiment souhaité mettre en avant les talents, l’artisanat, les savoirs faire français, c’était quelque chose qui nous tenait à coeur. Le made in France est très à la mode en ce moment mais il a aussi milles et une facette. Nous, nous voulions faire du vrai made in France, avec celui qui est véritablement fait en France. Je pense qu’on est la seule marque de prêt-à-porter française à véritablement tout faire en France: du dessin, à la modélisation, en passant par la conception au montage puis à la vente.
«Nous ne voulions pas proposer des pièces made in France à des prix exorbitants.»
A : C’est tellement compliqué aujourd’hui de tout faire en France, tellement coûteux que les gens ne préfèrent pas tenter l’aventure. Surtout en ce moment où c’est une période assez compliquée pour le prêt-à-porter où les basses et moyennes gammes trinquent et se font avaler par les grandes marques. Moi, je considère qu’on est une marque de luxe mais accessible. Nous ne voulions pas proposer des pièces made in France à des prix exorbitants.
M : On voulait proposer des pièces que nous aussi on puisse s’offrir. Le luxe français c’est jolie à regarder en photos mais très concrètement cela reste du fantasme. Nous voulions pouvoir proposer des pièces uniques à des prix accessibles, certes cela reste plus cher que le prêt-à-porter de masse mais le fait de tout faire nous même, nous permet de proposer des créations made in France à des prix accessibles. Cela faisait partie de notre état d’esprit.
Alexis vient du nord de la France et a été à l’école avec les enfants de couturières, il souhaitait fortement que l’on travaille avec ces usines où il y a un vrai savoir faire et un vrai talent. On leur commande par exemple des froufrous en tulle et on leur fait ressortir leur archives.
A : Ce qui est malheureux, c’est que ce sont des savoirs faire qui se perdent… Les machines par exemple sont vendues à des pays comme l’Inde ou la Chine pour les remplacer par des machines plus performantes alors que celles-ci fonctionnent encore! On passe beaucoup de temps à aller à la rencontre des gens avec qui on travaille, on passe du temps avec eux, on leur parle, on les rencontre. On a en quelque sorte une démarche artistique en plus d’éthique. Il y a un réveil des consciences aussi de la part des acheteurs et nos clientes nous posent beaucoup de questions sur notre façon de produire et nous prenons le temps de leur expliquer, c’est important. Nos clientes préfèrent acheter moins d’articles mais de meilleure qualité au lieux d’acheter en masse et de dépenser le même prix.
M : On se rend compte qu’on a des clientes qui achètent que chez des créateurs, mais on a aussi des clientes qui ont plus l’habitude d’aller chez des grosses marques mais depuis qu’elles nous connaissent – et j’en suis très fière – elles nous disent faire plus attention aux détails de fabrication. C’est assez flatteur pour nous aussi !
Comment vous est venue cette idée un peu folle de vous lancer dans la mode sans avoir aucune formation dans ce business ?
«Je customisais déjà mes propres vêtements et j’ai toujours accumulé plein de silhouettes qui me plaisaient !»
M : J’ai toujours eu dans ma tête mon magasin idéal avec des pièces que j’aimerai trouver et ce depuis très longtemps. J’ai toujours acheté des pièces anciennes, parfois qui ne sont même pas à ma taille et que j’allais faire retailler, recouper pour les mettre à mon goût. Je customisais déjà mes propres vêtements et j’ai toujours accumulé plein de silhouettes qui me plaisaient ! Donc finalement, toutes les pièces que je crée aujourd’hui me prennent que quelques jours à dessiner, j’ai juste à piocher dans ma tête qui est submergée d’idées (rires)! La création est vraiment le plus facile. Le plus difficile finalement a été de savoir comment rendre ces dessins concrets ensuite!
A : Oui, on ne vient pas du tout du milieu de la mode, on ne connaissait rien à ce business! Alors, quand on s’est lancés on a commencé par se renseigner, à poser des questions : comment on fait? qui fait quoi dans ce business? où on peut s’approvisionner? vers qui se tourner?
M : Au début, le plus difficile a été de trouver les gens avec qui travailler. Les matières c’est pas le plus compliqué à trouver mais trouver les ateliers, les talents avec qui travailler, oui! Aujourd’hui, on travaille avec les meilleurs, des gens qui nous ont fait confiance. Mais au départ, ils n’avaient pas de temps à perdre avec des amateurs. Personne ne fait ça, je veux dire tel qu’on le fait! Quand les gens qu’on contactait voyaient que je n’avais pas le langage adéquat mais qu’à la place je ramenais mes robes de collections pour montrer et expliquer ce que je voulais, ils nous disaient que plus personne ne faisait ça aujourd’hui, et je pense que ça les a amusé. Au final, nous avons réussi à les convaincre car ils ont vu notre originalité et notre goût du beau. Ils nous ont fait confiance et le résultat correspond aujourd’hui parfaitement à mes attentes.
A : Nos « capsules » sont des petites quantités. Chaque modèle est produit environ à une cinquantaine de pièces. Ce ne sont pas des quantités qui font rêver les gens qui les produisent mais je crois qu’ils restent passionnés par les choses bien faites, et je pense que c’est ce qui leur a plu. Et puis il me semble aussi que le business est en train de changer et d’évoluer. Les ateliers qui prenaient avant de gros clients, travaillent maintenant de plus en plus avec de petits créateurs comme nous. Économiquement il y a 10 ans, ça n’aurait pas été possible.
Quelles sont vos inspirations artistiques ?
M : Ce qu’on aime bien et qui nous inspire beaucoup ce sont des lieux, la découverte de lieux. Ces lieux là peuvent être remplis de musique, d’histoire, d’ambiance. A Berlin ou à Londres, on adore aller dans de vieux clubs de jazz par exemple. C’est des lieux de séduction et aussi de beaux lieux pour rencontrer des gens bien habillés. Et quand un lieu me plaît, j’aime me demander quelle robe je vais porter pour y aller.
«La musique reste un lien très fort pour nous et entre nous. C’est pour nous indissociable de la mode, de notre mode.»
A : On aime les lieux qui sont dans leur jus et d’où ce dégagent quelque chose.
Et puis on adore aussi la musique évidemment ! Le jazz, le cha-cha, la samba, le rock… Il y a toujours un disque qui tourne ici à la boutique. La musique reste un lien très fort pour nous et entre nous. C’est pour nous indissociable de la mode, de notre mode.
Quels sont vos projets en ce moment et à venir ?
M : Je suis en train de finir les prototypes pour la saison automne hiver de cette année. Et puis, on vient d’ouvrir un corner au Japon, à Osaka. On a un projet pour Dubai aussi mais ça sera plutôt dans un format « pop-up ». Comme on ne veut pas vraiment vendre nos pièces à des boutiques, on préfère lancer des « pop-up » pour permettre à nos clientes de nous rencontrer et de faire connaître la marque de façon plus humaine. On l’a fait à Berlin, à Los Angeles, à Londres, à Bruxelles. Souvent on loue une suite dans un hôtel et on ramène toute la boutique! Pendant une semaine, on invite nos clientes à venir nous voir et à boire des cocktails le soir ! (rires) On a aussi pour projet de lancer un pop-up à Brooklyn bientôt!
A : Installer les choses prend du temps, alors on y va petit à petit. On essaie de ne pas aller trop vite. On refuse beaucoup de demandes de partenariat parce qu’on veut vraiment une expérience authentique. Et puis, on veut aussi collaborer avec des projets qui nous plaisent et qui correspondent à notre état d’esprit !
M : Oui c’est vrai ! Notre démarche est authentique et on ne pas s’associer à une enseigne ou une marque qui ne partage pas notre façon de travailler. Ca serait contre productif et nos clientes ne comprendraient pas !
Et puis dans quelques mois, nous serons trois… C’est aussi un gros projet (rires).
Une anecdote à nous raconter ?
M : Quand j’étais toute petite, j’étais complètement fascinée par les cheveux et les robes de Dalida! C’était une obsession. (rires) J’adorais cette femme, elle me fascinait! Ma mère en reparle souvent, comme si à l’époque je la prenais pour quelqu’un que je connaissais! Je devais avoir 5 ou 6 ans… Bien plus tard, quand Alexis et moi avons commencé les esquisses de la marque, nous avons collaboré avec une dame modéliste à la retraite. Quelqu’un de très réputé dans le milieu de la couture et qui refusait dorénavant de collaborer même avec les plus grandes marques, mais qui a accepté de travailler avec nous uniquement parce que notre démarche authentique et pure l’a touchée. Nous avons passé des après-midis et des soirées entières chez elle dans le haut du 18ème arrondissement à dessiner, couper des toiles, refaire, apprendre… Un jour quand nous étions en train de finir notre robe en soie Opéra “Marlène”, je lui ai dit que j’aurais bien vu Dalida porter cette magnifique robe! Elle nous a répondu que c’était drôle que je parle d’elle, car son premier job avait été d’être son habilleuse à domicile! Puis, elle a commencé à l’imiter parfaitement bien, en disant qu’il fallait défier les lois de la gravité et tout remettre à sa place, tout ça en faisant des gestes de Diva! (rires) Je me suis dit qu’il n’y avait pas de hasard!
Un lieu où vous aimez aller ?
M : On adore aller au Rosa Bonheur dans le parc des Buttes Chaumont! C’est à deux pas de chez nous, et que ce soit en journée ou le soir on s’y amuse à tous les coups! Le staff est adorable, et Zouzou la patronne est aussi une fidèle cliente de notre marque depuis nos tous débuts! Vivement les beaux jours et cette vue incroyable sur le couché de soleil derrière le Sacré Coeur!
Un morceau que vous écoutez en ce moment ?
A : Vertige de l’Amour de Bashung… Evidemment! On adore Bashung c’est un génie!
Une passion particulière ?
M : Les talons hauts à échancrures plongeantes, et les petites fleurs en points de croix!
A : Les perfectos ! Ma passion pour ce modèle de blouson de cuir remonte à très longtemps… Gamin, j’étais assez fasciné par la mode punk de Vivienne Westwood et Malcom Maclaren. Les perfectos cloutés portés par les punks londoniens relèvent des images mythiques de la mode… Sex Pistols, Stranglers mais aussi les américains comme les Ramones qui portaient le perfecto très cintré comme un uniforme de guerre. C’est aussi un blouson qui se porte avec un certain état d’esprit, tel que celui de « La Fureur de Vivre » de Nicholas Ray… J’en ai des dizaines, tous pareils pour le néophyte mais tous différents avec le petit détail qui tue pour moi ! Ils sont tous vintages, je n’aime pas acheter du cuir neuf.
Quand je vois Maitre Gims en perfecto ça m’agace… En réaction, je porte des vestes en tweed et des foulards en soie (rires) !
Une personnalité artistique que vous nous recommandez de rencontrer pour 10point15 ?
Tatiana Gerusova, notre photographe attitrée et qui fait entièrement partie de notre aventure! Elle nous a fait confiance, et a traversé la terre entière pour shooter notre premier catalogue alors que nous n’avions que des dessins et des échantillons de matières à lui montrer! On l’aime à la folie, et son travail de photographe est complètement le miroir de notre travail de designers! Une artiste à suivre, indéniablement!
