Peux-tu nous parler de toi, de tes activités, de ton univers?
Je suis un auteur de bandes dessinées italien. Je ne vis plus en Italie depuis 1998, parce que j’ai beaucoup voyagé et j’ai vécu dans plusieurs pays en Allemagne, en Norvège et en Egypte. Avant de devenir dessinateur de bandes dessinées j’ai fait plein de travails, toujours en rapport avec le dessin mais dans plusieurs domaines, dessinateur pour des archéologues, architecte.
Dans L’Entrevue je prends comme personnage principal quelqu’un qui n’a pas du tout mon âge, plus vieux que moi, qui fait un métier complètement différent du mien, psychologue à l’hôpital. J’aime bien faire ça, parce que je pense que même quand on écrit une histoire, il y a de l’autobiographie et une forte partie de soi, alors autant laisser la forme la plus libre possible. On peut traiter les personnages d’une façon différente, eux sont plus libres. Si je parle d’une personne proche de moi, ami, frère, copine, c’est très dur de ne pas les blesser alors que dans la fiction, on peut métaphoriquement situer des gens, et je pense que c’est le but d’un livre, pousser jusqu’au bout l’expérimentation, même dans des endroits qui ne sont pas très politiquement corrects. Faire des histoires c’est aussi aller jusqu’au bout de certaines pulsions qu’il y a en nous, que l’on ne peut pas exercer dans la vie sociale ou personnelle. Rien de scandaleux, mais il y a des personnages par exemple que je trouve plus courageux que moi ou au contraire plus lâches. C’est comme si tu prenais des parties de ton caractère, disons 15% de courage, tu l’amplifies et tu vois comment auraient pu se passer les choses, et souvent avec moi c’est comme ça que les histoires prennent leur chemin.
Comme beaucoup d’auteurs de bandes dessinées j’ai commencé par des récits qui racontaient ma propre histoire. Il y a presque dix ans quand je vivais à Berlin, je faisais une espèce de journal intime d’un Italien qui doit quitter la ville. Au fur et à mesure je me suis éloigné de la dimension autobiographique, même dans mon livre le plus connu qui s’appelle Cinq Mille Kilomètres par seconde. À chaque fois je tiens à dire que ce sont des histoires inventées, mais c’est vrai que comme cela se passe dans des endroits où j’ai vécu, c’est très fortement imprégné de mon expérience personnelle. À chaque livre j’ai l’impression que j’ai fait un pas plus loin de moi-même.
«(...) même quand on écrit une histoire, il y a de l’autobiographie et une forte partie de soi (...)»
D’où te vient cette passion pour l’univers du dessin et de la bande dessinée?
L’intérêt est arrivé très tôt, j’étais enfant. L’un de mes premiers souvenirs est que mon père un jour a apporté à la maison une télé en couleur. Et je me souviens de la première émission quand on a allumé la télé, c’était Spiderman.
J’ai vu pour la première fois qu’il était en rouge et bleu et ça m’a vraiment saisi. Avant j’avais vu des séquences mais uniquement dans des niveaux de gris. Donc peut-être qu’avant la bande dessinée, c’était surtout le dessin animé. J’appartiens à la génération, fin des années 70, qui s’est pris “dans la gueule” un peu tous les dessins animés japonais comme Goldorak. Pour moi, c’était et c’est encore une expérience esthétique très forte. La couleur des dessins animés, cette couleur plate, ces histoires magnifiques de science fiction comme Albator etc.
L’étape qui a suivi, a été d’acheter dans les kiosques les publications qui racontaient les histoires que je regardais à la télé, des journaux pour enfants où ils mélangeaient un peu tout : Goldorak, Spiderman, Corto Maltese… Enfin, l’étape finale a été de dessiner tout ce que je voyais, inventer à ma manière les histoires.
Je me souviens qu’à l’école élémentaire, je prenais les cahiers, j’arrachais la couverture et je commençais à dessiner sur chaque page une histoire d’Albator ou de Goldorak. Je les mettais en vente, à 1000 lires (italiennes) la page, et quelqu’un en a acheté une. Je me suis rendu compte que pour tout un manuscrit dessiné ce n’était pas rentable comme business! (rires)
Dès le début j’ai eu un intérêt pour l'”art commercial”. Le monde de “l’art officiel” ne m’a jamais vraiment fasciné. J’ai toujours eu plus d’intérêt pour les arts appliqués, les livres, les affiches, les pochettes de disques, les dessins animés, ça, ça m’a plus saisi que le « grand art ».
Y-a-t-il une personne qui t’a le plus influencé ?
Il y en a plusieurs, mais si je dois en choisir une, c’est Lorenzo Mattoti, un illustrateur, dessinateur de bandes dessinées, qui vit à Paris. Sa femme gère la galerie Martel où sont exposées mes œuvres en ce moment. Si je dois parler de maître classique, c’est lui, ce sont ses œuvres qui m’ont fait franchir le pas, et notamment son livre Feux, qui m’a fait me dire : je quitte l’architecture et je veux faire la même chose dans la vie.
Quelles sont tes inspirations artistiques ?
Là c’est vraiment très vaste. Mes inspirations c’est un peu tout! J’aime beaucoup la peinture, les dessins animés. J’aime énormément la musique, j’ai des goûts très incohérents, je passe très vite des Beach Boys à Stravinski. Comme tout le monde j’aime le cinéma.
Mais si j’ai une inspiration fulgurante pour faire une bande dessinée ça ne vient pas du cinéma, mais plutôt d’une peinture ou de la musique. Après c’est clair qu’il y a des chefs d’œuvre comme 2001 Odyssée de l’espace de Kubrick ou Rosemary’s Baby de Polanski. Je le dis parce que souvent la bande dessinée est associée au cinéma.
Évidemment il y a beaucoup de points communs mais moi j’en vois plus dans la chanson. C’est la même chose pour la littérature, il y a évidemment énormément de similitudes mais la bande dessinée a une forme qui peut tricher, parce qu’elle a la forme d’un livre mais ce n’en est pas un, c’est plus un disque. Par exemple le temps de lecture d’une bande dessinée est normalement plus proche de l’écoute d’un album que de la lecture d’un roman. Je me confronte plus à la chanson.
Pour L’Entrevue, j’écoutais beaucoup l’Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg. Je ne l’ai pas fait consciemment mais il y a des échos. Au début de la bande dessinée, il y a une histoire d’accident de voiture comme dans l’histoire de Mélodie Nelson – Serge Gainsbourg qui a un accident avec une gamine à vélo – il y a une histoire d’amour entre un homme âgé et une gamine et les tons sont très sombres.
Un autre métier que tu aurais aimé faire ?
Il y en a plusieurs, c’est bizarre mais j’aurais bien continué l’architecture. Au début j’ai fait des études d’architecture un peu par défaut, comme un compromis, mais finalement quand j’ai terminé et quand j’ai exercé en atelier, ça me plaisait. C’est un métier où il faut être rationnel et qui a un côté magique. Il y a cette espèce de flottement entre la réalité des choses et gérer des aspects beaucoup plus aériens comme la composition architecturale.
Sinon étudier la musique au conservatoire. J’envie beaucoup les gens qui savent lire des partitions.
Un artiste coup de cœur?
Un dessinateur de bandes dessinées : Oliver Schrauwen, qui vient de sortir Arsène Schrauwen, une histoire sur son grand père. Je pense que c’est un auteur qui est à l’opposé de moi et que j’admire beaucoup. Il a un univers de nonsense onirique très fort et complètement dépaysant. Parfois quand je lis ses livres, j’ai l’impression de revivre un rêve que j’ai fait. Il y a du grand art quand tu arrives à ça.
Un morceau que tu écoutes en ce moment ?
Je viens d’acheter ce disque de The Cure et j’écoute tout le temps “All Cats Are Grey”.
Une anecdote à nous raconter ?
Comme on a parlé de Lorenzo Mattotti, je repense à la première fois que je lui ai montré mes dessins j’avais 23 ans et il m’a cassé complètement. Quand je l’ai revu la seconde fois, j’avais évolué un peu, j’avais fait une première publication et il m’a dit : “Après ce que je t’ai dit la première fois, je n’aurais jamais cru que tu aurais continué à faire de la bande dessinée!” (rires)
Une passion particulière ?
J’aime le skateboard, j’étais skater, mais je me suis blessé donc j’ai arrêté. Je suis passionné par tout l’univers du skate américain, des documentaires, des vidéos. Avant d’aller me coucher je regarde toujours une vidéo de skate, ça me détend !
Une personnalité à interviewer pour 10point15 ?
Un artiste contemporain, Federico Maddalozzo, il fait de l’art conceptuel, des choses très bien sur la couleur. Par exemple, lors d’une exposition, il a laissé la galerie entièrement vide. Les spots lumineux éclairant le vide, il a classifié les nuances de blanc de la galerie. C’est à dire qu’il a catalogué tous les niveaux de blancs et a collé des stickers avec les Pantones correspondant sur chaque nuance de blanc. C’était vraiment top !