Pouvez-vous nous parler de vous, de ce projet “Demi Tour de France”, de sa genèse et de son univers ?
Cela fait une dizaine d’années qu’on se connaît, on s’est rencontrées à Montréal. Marie était aux Beaux-Arts de Bordeaux et faisait de la photo. Anouck était en formation d’architecte, elle travaillait sur l’image, sur la représentation de la ville et du paysage.
Nous avions beaucoup de références communes en photographie. Anouck a fait par la suite un post-master en esthétique. Son mémoire portait sur la représentation du paysage contemporain comme objet de critique du territoire. En parallèle elle travaillait pour un bureau d’urbanisme et devait faire des enquêtes un peu partout en France. C’est comme ça qu’on a commencé à partir ensemble dans des coins où on aurait jamais mis les pieds normalement. Petit à petit on a accumulé pas mal de photos. On a alors eu une première exposition il y a deux ans, qu’on a appelée “Demi Tour de France”. On a décidé de garder ce nom qui correspondait bien au projet : on part sur les routes de France et on fait des demi tours sans arrêt pour prendre des photos.
«Les photos ne sont pas vraiment la finalité de notre démarche, c’est presque plus l’expérience et le fait de partir l’important.»
Les photos ne sont pas vraiment la finalité de notre démarche, c’est presque plus l’expérience et le fait de partir qui est important. On a réussi à faire plusieurs séries thématiques qui sont ressorties.
On commence à faire de la vidéo ou à prendre du son quand on rencontre des gens. Donc c’est vraiment un projet global. On travaille aussi sur des projets d’édition, pour finaliser toute la matière qu’on a accumulé sur deux ans et passer à d’autres projets, un peu plus dématérialisés que la photographie.
Demi tour de France est aussi devenu une association. On aimerait bien monter des projets pédagogiques, parce qu’on se rend compte que ces photos parlent à tout le monde. On prend des photos un peu surannées avec notre regard « romantique » sur la France qui est en bord de route.
Une France du quotidien qu’on ne regarde plus forcément, une espèce de banalité qu’on trouve esthétique. Les gens s’étonnent souvent de ce qu’on prend en photo, parce que pour eux c’est leur vie. Ce qui est intéressant c’est de rester dans l’endroit et de parler avec les gens, au départ ils sont surpris mais quand on leur explique le projet ils trouvent ça intéressant, ils nous expliquent leur vécu et du coup ils nous conseillent des endroits, il y a un coté très narratif. C’est pour cela que ça parle à beaucoup de gens, ce qui éveille le regard sur l’environnement immédiat.
Finalement c’est un premier travail sur la photo qui devient un mode de pensée général et maintenant on est ouverte à tout médium. On collabore à des projets sonores, ou d’éditions et laissons également carte blanche à d’autres artistes. On a dernièrement travaillé avec les éditions Kiosk. On se nourrit vraiment de rencontres, de nos amis.
Quelle passion a avant tout guidé ce projet ?
La photographie. On en a toujours fait. Ça a toujours fait partie de nos vies. On a un univers assez similaire, on aime les mêmes photographes comme Stephen Shore, Raymond Depardon, Jeff Wall.
Quand ça a commencé on a juste fait ce qu’on voulait faire, on s’amusait. C’est un peu Thelma et Louise quand on part sur les routes, on a vraiment vécu plein d’anecdotes.
Une anecdote à nous raconter justement ?
La mécanique c’est vraiment primordial dans Demi Tour de France. Dernièrement on est parti un jour férié pour aller à Oléron, on prenait de l’essence à Porte de Saint-Ouen lorsque la voiture n’a plus voulu redémarrer ! Le garage d’en face était fermé mais le mec nous a dit que notre démarreur était mort. Il a poussé la voiture et nous il nous a dit : “ vous pouvez plus vous arrêter maintenant”.
Donc on a fait 500 bornes sans s’arrêter !
Quelle personne vous a particulièrement influencées ?
«On aime des photographes qui ont cette conception de la photo assez lente, pas dans l’instant.»
Tout le monde nous compare à Depardon, ce qui est un peu pénible. On l’a rencontré, il est vraiment hyper cool, un personnage très intéressant et ouvert. Sinon, Stephen Shore, Jeff Wall… Avant de faire des photos, Marie faisait de la peinture, ce qui a une grande influence sur nos images. On a travaille beaucoup sur le paysage, un terme qui vient d’ailleurs de la peinture, et qui a une temporalité très lente. On aime des photographes qui ont cette conception de la photo assez lente, pas dans l’instant. On travaille très peu au numérique d’ailleurs, soit à l’iphone, soit au moyen format, soit à l’argentique. On travaille à la chambre qui là encore est un processus très long, on aime l’errance et la lenteur. On ne fait pas de commande donc a le temps de faire des choses et on prend ce temps.
Sinon des auteurs comme Walter Benjamin, des vidéastes, des cinéastes comme Chris Marker, des personnalités comme Jean-François Chevrier. La musique est également très importante. C’est ce qui fait naître une série, on a plein de playlists. On part souvent chacune de notre côté en écoutant de la musique, écouteurs aux oreilles. Chaque voyage a sa compile presque.
Quelles sont vos inspirations artistiques ?
«On a aussi une culture assez rap, on a cette culture “caillera vénère” qui est sûrement due à la démerde et au voyage.»
Les gens qui nous entourent. Le fait de discuter avec des amis débloque beaucoup de choses, c’est primordial dans notre travail.
Sinon c’est plutôt par vagues, on va s’intéresser à des choses à certains moments, par exemple la cartographie, les archives, les atlas ont une place importante en ce moment. Sinon Roland Barthes, Gilles Deleuze, Guy Debord, Walter Benjamin, c’est cliché mais c’est des gens qui ont quand même apporté beaucoup à la construction de notre regard, depuis qu’on fait des études. On a cette culture de l’image, commune à beaucoup de gens.
On a aussi une culture assez rap, on a cette culture “caillera vénère” qui est sûrement due à la démerde et au voyage. Parce qu’on est deux meufs, toutes seules.
Quels sont vos projets à venir ?
On aimerait formaliser les séries qu’on a fait dans un projet d’édition. Un gros travail, d’archives, d’editing, de post-prod, donc c’est vraiment se poser, ne plus partir, réfléchir, créer une narration sur tout ce qui a été fait.
Fin juin, nous ferons une exposition à la galerie Les douches à Paris. On participera au projet “Jardin Partagé” de Mains d’Oeuvres à Saint-Ouen.
On fait aussi beaucoup de prospections pour des résidences. On veut faire du documentaire et on se lance dans l’associatif.
Un métier que vous auriez aimé faire ?
Travailler avec les plantes pour Anouck et infirmière pour Marie qui aime bien s’occuper des gens ou sinon chimiste ou biologiste, un truc un peu cool !Faire des reconstitutions de crimes pour “Faites entrer l’accusé” et des clips de rap !Donc faire des clips, s’occuper des plantes, être infirmière ou chimiste ! (rires)
Un artistique coup de coeur ?
Colombey, il parle beaucoup dans ses textes d’être sur la route, ça parle beaucoup d’amour et son iconographie est assez similaire à la notre.
Un morceau que vous écoutez en ce moment ?
“Noise Mafia” de Pizza Noise Mafia, un autre groupe de Thibault Gondard aka Colombey et TG Gondard. Il a ce groupe avec Mathieu Levet, ils passent en concert le 18 mai aux Instants Chavirés à Montreuil.
Une personnalité à interviewer pour 10point15 ?
Christelle Noel qui fait des pièces uniques brodées. Elle a un univers pour chaque campagne… Pour sa première collection c’était sur les crevettes, les fruits de mer et les crustacés ! Elle fait des dj set aussi, c’est une fille hyper active, à interviewer absolument !