Pouvez-vous me parler de vous, de votre agence et de votre atelier de design ?
Martin : Nous travaillons ensemble depuis 3 ans environ. Thomas a quitté Paris pour Bordeaux pour des raisons familiales au moment où je venais de monter mon entreprise de design de mobilier et d’ébénisterie. J’ai été appelé par l’école de commerce Bernom pour faire l’intérieur de leur réfectoire et salle de repos; c’était l’occasion de vraiment m’éclater, mais je ne maîtrisais pas du tout le dessin 3D comme Thomas. C’est alors que nous avons décidé de s’associer pour ce projet, et de présenter un truc béton.
Thomas : Effectivement, nous nous sommes rendus compte de l’intérêt de bosser tous les deux: la présentation de projets sur des dessins 3D hyper-réalistes associée à la maîtrise de la production en interne était quelque chose de très séduisant pour le client. Nous avons donc réalisé que nous avions vraiment quelque chose à faire entre les ciseaux à bois et le crayon. Avoir ces deux casquettes permettait -et permet toujours- de savoir comment l’objet est fabriqué, comment il est assemblé, et donc maîtriser les coûts de fabrication. C’est là que notre agence est née.
Au départ, notre site présentait notre première collection uniquement par le dessin 3D. Nous avions évidemment réalisé des prototypes, mais nous réalisions nos objets au fur et à mesure des commandes, ce qui est utile d’un point de vue trésorerie.
Notre identité est également marquée d’un côté par le design d’espace, et de l’autre, par la réalisation d’objets de collection. D’ailleurs, l’un vient souvent nourrir l’autre, car lorsque l’on dessine un aménagement d’espace, un objet ou un meuble se détache du reste. Nous essayons alors de le développer, de le pousser un peu plus loin que le “one shot” pour un client.
Jusqu’à maintenant, nous avons essentiellement utilisé le bois car c’est un matériau que l’on connaît bien et que l’on sait travailler. Mais pour certains projets, nous collaborons avec des artisans qui travaillent d’autres matériaux, notamment lors de projets d’aménagement d’espace, et c’est ce qui est intéressant. Nous ne voulons pas rester figés dans le bois, bien que la plupart du temps les clients nous demandent d’utiliser du bois. D’ailleurs, on nous demande souvent combien coûte une table en bois, ce à quoi nous répondons “combien coûte une chaussure en cuir ?”. (rires)
Lorsque l’on intervient sur un aménagement, nous nous occupons de la partie conception, de la gestion des interventions des autres corps de métier et du suivi de chantier, comme un architecte d’intérieur en quelque sorte, mais en internalisant la fabrication. Notre manière de travailler consiste à faire pas mal d’allers-retours entre le dessin et la fabrication, ce qui nous permet de voir rapidement la faisabilité de l’objet, d’abord d’un point de vue de l’assemblage, et ensuite du point de vue du coût. Nous ne voulons plus réaliser ce que nous ne dessinons pas.
Nous désirons finalement apporter une sorte de micro industrie de proximité où l’activité de design prédomine sur la partie fabrication.
D’où vous vient cette passion pour le design ?
Thomas : Pour ma part, j’ai d’abord fait une formation en illustration, puis j’ai bossé dans l’animation et les jeux vidéo. Il y avait déjà la problématique entre le propos et la réalisation finale qui me plaisait, problématique que je retrouve maintenant dans le design. Et puis j’avais peut-être besoin de sortir la tête de l’écran pour aller vers quelque chose de plus manuel, et de créer un contenant plutôt qu’un contenu, quelque chose de plus concret.
Martin : Moi, je me suis dirigé assez tôt vers une filière d’ébénisterie car je ne me retrouvais pas dans l’apprentissage général, mais c’est mon grand-père qui m’a un peu initié à ce métier en me faisant travailler à ses côtés lorsque j’avais 15 ou 16 ans. J’ai donc fait des formations en ébénisterie, mais bien que ce fût par choix, j’ai souffert de la non considération de l’aspect manuel de ce métier, et de la distinction -à tort- entre le travail manuel et le travail intellectuel. Afin de ne pas rester un exécutant toute ma vie, et pour dépoussiérer les vieilles idées préconçues sur les métiers manuels, je me suis dirigé par la suite vers une école de design de produit.
Y-a-t-il une personne qui vous a particulièrement marqués ou influencés ?
Martin : Lorsque nous avons commencé, on aimait bien le travail de Young & Norgate, des designers et ébénistes anglais. Ils utilisent un savoir-faire traditionnel pour créer des lignes et des collections intemporelles, et il en est de même pour leur communication qui est un mélange de modernité et de tradition. Nous aimons leur manière de “dépoussiérer” le mobilier.
Aussi, suite à une conférence qui soulevait la question de qui, entre l’artisan et l’architecte, était le plus légitime à être designer d’objet, nous avons fait quelques recherches sur des grands designers tels que Charles et Ray Eames ou Finn Juhl. Nous avons découvert qu’avant de faire de l’architecture, ils avaient fait une formation en ébénisterie. Ils auraient donc pu faire des objets en métal, mais c’est sûrement parce qu’ils avaient des connaissances en ébénisterie qu’ils ont fait des meubles en bois. Nous essayons, comme eux, de ne pas nous éloigner du processus de fabrication. Et si nous nous éloignons du bois pour un autre matériau, nous essayons de bien le connaître avant de dessiner le meuble ou l’objet.
Quelles sont vos inspirations artistiques ?
Thomas : Mon inspiration vient de l’illustration et en particulier de l’illustration contemporaine. Lorsque je cherche de l’inspiration, je vais souvent ouvrir des bouquins, et dans les formes, je vais pouvoir trouver l’essence de quelque chose qui ne sera au final pas du tout illustré. Je pense aussi aux illustrations de presse qui ont souvent une rythmique, une certaine lecture et une codification qui m’inspirent.
Taschen a sorti il y a environ un an Cabin’s, un ouvrage qui présente des projets architecturaux de manière illustrée : même les plans sont stylisés par des aplats de couleurs pastel. C’est typiquement cette association de l’illustration à l’architecture, ou ce genre de démarche, qui peut m’inspirer.
Martin : Pour ma part, plus proche de ce que l’on fait, il y a l’agence d’architecture Cigüe qui fait beaucoup d’aménagement de boutiques, telles que Aesop (ces boutiques ont chacune leur propre identité). Ce sont des types qui expérimentent énormément; ils essaient de trouver des réponses à des problématiques d’espace en utilisant des matériaux qui de premier abord ne seraient pas adaptés, et essaient alors de les transformer et de les sublimer, pour un rendu final impressionnant.Mais de manière générale, nos inspirations sont de l’ordre de la réflexion.
«J’ai toujours pensé que le temps passé à la réflexion autour d’une peinture, d’un objet, lui apportait une âme»
Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?
Nous travaillons surtout sur l’industrialisation de nos produits. C’est-à-dire à trouver comment passer de l’artisanat à la micro industrie, et sous-traiter la réalisation de nos produits. Il faut donc trouver des personnes de confiance avec qui travailler, et aussi s’ouvrir à la distribution pour que nos meubles et objets puissent être vendus ailleurs que dans notre atelier. Nous commençons à penser “série” pour devenir une vraie marque de mobilier et être sélectionnés par des maisons d’édition de mobilier.
Tout ceci consiste donc à chercher des procédés de fabrication industrielle afin d’économiser du temps, on fait également des calcules de coût… des trucs plus ou moins sexy et plus ou moins drôle, mais cela reste tout de même intéressant, car cela nous permet de rencontrer des industriels dans la région dont on ne soupçonnait pas l’existence. Cela ouvre aussi de nouvelles perspectives, notamment pour les aménagements.
Quel autre métier auriez-vous aimé faire ?
Martin : Médecin. Mes deux parents sont médecins, mon petit frère est médecin… je viens d’une famille de médecins, et j’ai toujours été intéressé par la biologie et le fonctionnement du corps humain. J’ai même passé le concours d’infirmier il y a quelques années; je ne l’ai pas eu car les examinateurs n’ont pas compris pourquoi je voulais “prendre le métier d’un autre” alors que j’en avais déjà un. Mais c’est sans regrets, car je suis très content de ce que je fais maintenant.
Thomas : J’aurais aimé travailler dans la cuisine, ou alors être psychiatre.
Avez-vous un artiste coup de coeur à nous faire découvrir ?
Cruschiform, l’illustratrice et graphiste qui a travaillé sur le livre Cabin’s dont on a parlé tout à l’heure.
Avez-vous un morceau que vous écoutez en ce moment ?
Martin : Je suis un grand fan de Gorillaz, et j’écoute régulièrement “Empire Ants”
Thomas : moi, j’écoute plus la bande originale des Gardiens de la Galaxie, un film Marvel qui est sorti récemment, mais qui n’a pas fait trop de bruit, alors qu’il est plein d’humour. La BO est hyper funky !
Une anecdote à nous raconter ?
Martin : Une fois, j’ai dû aller récupérer deux doigts coupés dans un gros sac de sciure. Je discutais avec un gars qui était en train de passer la scie circulaire de manière très automatique, et il s’est coupé les doigts. J’ai vu le sang gicler comme dans les films ! Il ne s’en est pas rendu compte tout de suite, mais en c’est en me voyant devenir tout blanc qu’il a ensuite regardé sa main et s’est écroulé. Les doigts ont donc été aspirés par le système d’aspirations de la machine, et j’ai dû aller les chercher. Finalement, il a pu se les faire recoller.
Quelle personnalité nous recommandez-vous d’interviewer pour 10point15 ?
Sébastien Jacquet de Full Metal Jacquet. C’est un ferronnier dont l’atelier est rue des Vignes, à Bordeaux. Il fait pas mal d’aménagement en métal, des verrières, et chine beaucoup aussi. Il a un super atelier dans le quartier Saint Michel, et mérite vraiment d’être connu.